© Peuples Noirs Peuples Africains no. 15 (1980) 31-59



LA PERCEPTION MAJEURE DE L'AFRICAIN, DE SA CULTURE ET DE SA CIVILISATION A TRAVERS L'ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE ET DE LA GEOGRAPHIE EN FRANCE :

Un mensonge et un mépris intellectuel semi-collectif qui contribuent à l'entretien du racisme

Tingé Coulibaly

L'AFRIQUE, depuis son viol par l'Occident catholique, a été considérée, depuis le XVe siècle, comme le continent sans passé[1], vierge, néanmoins peuplé de barbares, de sauvages à civiliser.

Malgré les progrès de la recherche historique et ceux de l'historiographie moderne, sans oublier les travaux des historiens colonialistes de l'épopée impériale[2], la [PAGE 32] tendance dominante reste malheureusement encore celle d'une AFRIQUE sans identité dont l'avenir devrait dépendre de l'adoption du modèle européen de l'existence.

De la gauche[3] à la droite, exception faite d'esprits clairvoyants et tolérants, l'Afrique ne peut être que ce que l'Europe a été et sera. Car dans la psychologie générale dominante en Occident aujourd'hui, il n'y a pas de modèle possible hors du champ philosophique élaboré à partir des formations sociales européennes au XIe siècle.

Cette situation est entretenue par l'éducation, essentiellement historique et géographique. En valorisant sur le plan intellectuel l'idéologie de la supériorité de la civilisation occidentale perçue comme la civilisation universelle, les deux formations contribuent à la diffusion et à la pérennisation du racisme au sein du peuple.

Trois étapes se distinguent dans cette éducation géo-historique où la formation et l'entretien de l'esprit racial et raciste sont omniprésents. Du primaire (6 à 12 ans) en passant par le secondaire (12-19 ans), le continent africain et ses habitants apparaissent comme le continent végétal et animal, peuplés par des sous-hommes, qui retiennent, d'ailleurs, moins l'attention des élèves que les troupeaux d'éléphants, les hordes de gros singes anthropomorphes et de plus en [PAGE 33] plus, depuis 1971, la famille et les enfants maigres, décharnés mourant de faim.

A l'Université, quand commence la spécialisation géographique ou historique sur l'Afrique, les images simplistes, loin de disparaître, s'intègrent harmonieusement aux conceptions colonialistes, néocolonialistes et impérialistes des prétendus africanistes.

Si des individualités, comme Jean Suret-Canal, R. Mauny, Jean Dresch[4] ne peuvent être confondues avec la masse, la tendance dominante est de censurer, chez les Africains conscients de notre identité, toute approche originale et nationale de notre géographie et de notre histoire. Ce qui confirme, encore à ce niveau, le caractère euro-centriste et impérialiste[5] de ces deux disciplines. [PAGE 34]

1. - LE SENS DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN HISTOIRE ET GEOGRAPHIE

Nous sommes, en effet, face à une situation quasi cyclique, un véritable cercle vicieux.

Quand les élèves entrent dans ce cycle, ils ont déjà, par leurs parents, des éléments des systèmes de valeurs dominants dans la société française, transmis déjà par l'école qui reçoit leurs enfants. Dans cette perspective, l'école primaire codifie déjà certaines conceptions.

En tant que pays colonisateur et dominateur, la perception de l'histoire officielle du dominé, du colonisé, ne peut être que partielle et partisane quand on accepte de l'écrire et de l'enseigner. Quant à la géographie, elle n'y échappe guère. Elle reste exotique, paternaliste et descriptive.

Cette écriture et cet enseignement en France prennent leurs racines dans l'idéologie coloniale des années 1880-1890 où Jules Ferry exaltait le génie, la culture et la civilisation françaises et leur supériorité sur celles des colonisés[6].

Si le ton a changé, si la forme s'est transformée, le fond reste toujours identique. Les deux matières véhiculent l'infériorité de la culture, de la civilisation africaine, mais aussi un esprit d'assisté. Dans le « Nouveau Livre de l'Histoire de France », classe CE 1 et CE 2, édité chez A. Colin, 1968, page 33, les auteurs nous apprennent que Brazza « achète des esclaves au roi noir Makoko, non pour les faire travailler, mais pour leur rendre la liberté ». Quand on connaît par [PAGE 35] ailleurs les travaux forcés sur les plantations, sur les chantiers comme celui du chemin de fer Congo-Océan qui a décimé les populations de la région et dont les conséquences marquent encore la géographie humaine, on ne peut que dire aux auteurs qu'ils déforment la réalité en apprenant aux petits Français « que Brazza s'est fait aimer des Noirs, en les libérant » [7].

Dans les classes suivantes, CM 1 et 2, la réalité coloniale, la vie des indigènes, leur passé, leur formation sociale sont toujours profondément cachés aux élèves. L'objectif par ailleurs de l'entreprise coloniale n'est-elle pas de faire table rase du passé du vaincu en francisant sa personnalité tout en le déculturant ?

C'est à cette entreprise que l'histoire et la géographie vont être utilisées, perdant toutes leurs vertus formatrices.

C'est ainsi que « l'Histoire de la France et des Français » du Cours Moyen des Editions de l'Ecole, Paris 1964, p. 100, fait de la piraterie la cause de l'intervention des Français en Algérie. Alger aurait été « prise en 1880 » ? c'est-à- dire 40 ans après la date réelle, 5 juillet 1830; nous pensons qu'il s'agit là d'une erreur de frappe. C'est néanmoins inadmissible pour des élèves de ce niveau qui ont besoin d'être sérieusement informés d'autant plus que, depuis 1962, les Français d'Algérie sont rentrés. Pourquoi ne pas accepter de dire la vérité aux enfants en montrant l'utilisation de la force et de l'illégalité du régime impopulaire de Charles X, qui, [PAGE 36] pour redorer son blason aux yeux du peuple, entreprend la conquête de l'Algérie contre, par ailleurs, la volonté de nombreux députés et l'indifférence de la population française ?

Pourquoi ne pas évoquer les luttes entre l'impérialisme français et britannique qui cherchent à dominer la Méditerranée ?

Il n'est plus nécessaire, après l'éclatement des empires coloniaux, de continuer à mentir et maintenir, artificiellement, dans l'esprit encore malléable des enfants de 6 à 12 ans, la mentalité raciale et raciste d'antan; Gallieni, nous dit-on, p. 115, « ne veut pas seulement conquérir, il veut aussi civiliser, aider, guérir ». C'est encore l'éternelle assistance à l'Afrique, à ses populations qui ne savent rien faire, auxquelles l'homme blanc a tout apporté.

Le résumé à apprendre est encore plus gros à avaler. « Pour protéger l'Algérie, nous avons fait la conquête de la Tunisie, du Maroc et du Sahara. » L'Algérie après un demi-siècle de luttes (d'Abd El-Kader aux Kabyles, 1830-1882) contre la pénétration française ne s'est jamais vue menacée par ses voisins. Mais on veut nous montrer, chaque fois, que c'est la France qui apporte la paix aux barbares africains.

C'est malheureusement la même conception qui prévaut dans « Ma Géographie » chez Fernand Nathan 1978, classe de 2e année du Cours Moyen. p. 85, on apprend à l'enfant que « les Français ont amélioré la vie des indigènes par la pacification, l'enseignement, la lutte contre la famine ».

Quand on connaît l'extermination des résistants (Samory et ses troupes, Lat-Dior, Abd El-Kader, Abd El-Krim), on ne comprend plus le sens du mot pacification.

Et l'Enseignement ? Pour nous, Africains, il a été le symbole de la mort de notre culture en séparant celle-ci de l'éducation, en faisant de beaucoup d'entre nous des Noirs à la logique blanche.

La lutte contre la famine est un mensonge de taille que tout économiste sérieux démentira facilement.

Avant 1900, toute l'Afrique, du nord au sud, d'est en ouest se suffit sur le plan alimentaire[8]. [PAGE 37]

A partir de l'installation coloniale, les équilibres sociaux, écologiques sont rompus par l'introduction massive des cultures de rente (arachides, coton, café) et par la création de nouveaux flux commerciaux qui drainent la force de travail du cœur du continent vers les ports. (Dakar, Abidjan, Oran, Alger, pour ne citer que ceux-là.)

C'est l'Afrique qui constituera, avec l'Asie du Sud-Est, les sources de richesses qui amplifieront l'accumulation au niveau français.

Le résumé du bas de page conclut : « Les Français ont mis en valeur les ressources naturelles du pays. » Comme exemple les bois sont cités. A ce sujet, l'exemple ivoirien apporte un démenti total[9], comme par ailleurs celui du Gabon où les espèces précieuses ont disparu ou existent avec des taux de dispersion incroyables pour un milieu équatorial (l pour 7 km2 selon les spécialistes pour certaines essences encore généralisées il y a quelques années).

Mais le mensonge se double du paternalisme qui consolide dans la pensée de l'enfant la légitimité de sa supériorité matérielle et intellectuelle « Les pays indépendants d'Afrique (lit-on au dernier paragraphe de la page 85) ont conservé des liens fraternels avec la France (souligné par l'auteur) qui grâce à ses ingénieurs, à ses professeurs, à son argent, les aide à se moderniser. »

Quand on subit et quand on continue de subir les contrôles d'identité du métro, les exactions et les mépris des personnels des commissariats de police pour les [PAGE 38] renouvellements ou établissements de carte de séjour, quand dans les transports en commun les usagers vous fuient, quand pour se loger on voit les propriétaires vous refuser, quand enfin des chefs d'entreprise vous bouchent l'accès au travail, il apparaît très difficile de saisir la portée « des liens fraternels» qui unissent l'Afrique noire à la France.

La rupture entre l'école et la vie, la pratique sociale, est ici patente. Perçu donc dans l'espace vécu par l'enfant, commun besogneux, un assisté, l'Africain reste l'homme du bas de l'échelle sociale qui n'a pas de valeurs ni de systèmes de références propres. J'ai eu à l'observer dans mes classes par les réactions des élèves du secondaire, de la 6e à la terminale.

2. - LE SECONDAIRE OU LA PFRPETUATION ET LA CONFIRMATION D'UNE IDEGLOGIE

Si, depuis trois ans, il existe une modification formelle des programmes de la 6e à la 4e, la vision de l'Afrique, sa Part dans les programmes n'ont guère augmenté. C'est le contraire qui s'est produit, mais pas innocemment. Nous examinerons donc les nouveaux puisque c'est la réalité actuelle des deux disciplines dans les trois premières années du premier cycle du secondaire. Notons qu'il n'est pas nécessaire de considérer tous les éditeurs, de toute façon le programme est identique pour tous dans la mesure où il est imposé par le ministère de l'Education nationale. C'est le hasard qui préludera au choix des manuels considérés.

Dans le livre 1 du manuel de 6e de chez Hatier, édité en 1977, les auteurs qui titrent « A la découverte du passé : Préhistoire et Haut Moyen-Age » ne mentionnent même pas le mot Afrique dans le plan d'étude.

L'Egypte présentée sur une dizaine de pages indique, pour qui le désire, que le continent africain existait en cette période.

N'y a-t-il pas là une malhonnêteté intellectuelle impardonnable ? les travaux de Cheikh-Anta-Diop, de Ki-Zerbo, de Tasmir Niane, de Furon[10] pour ne retenir que ceux-ci ont montré, de [PAGE 39] façon irréfutable la richesse de notre passé pendant la période étudiée par les auteurs.

Pourquoi ne veut-il pas faire apprendre aux jeunes Français les formations historiques africaines ? Il s'agit à notre avis de perpétuer l'idéologie coloniale qui a toujours caché au peuple français la vie de nos sociétés, leur organisation, dans le but de justifier l'exploitation de nos richesses. Mais d'autre part, on ne comprend pas pourquoi les auteurs au long de leur développement ne disent jamais où se situe l'Egypte d'où sont venus ses habitants qui dès 5000 avant J.C. utilisent l'écriture hiéroglyphique. Loin d'être azonale, la civilisation de l'Egypte pharaonique est la résultante des civilisations de l'Afrique noire. La péjoration du climat a, en effet, conduit les agriculteurs néolitiques africains dans la vallée du Nil, alors verdoyante. Sans passé, des bribes d'Afrique apparaissent spontanément dans le Livre II « d'autres milieux, d'autres hommes, à la découverte de notre planète » en est le titre.

Mais comment peut-on connaître des hommes, tout en ignorant leur passé, leur comportement devant l'environnement, la vie, bref devant l'espace géographique qu'ils ont sécrété pendant des siècles ?

Ce ne sont pas les photographies des pages 148 et 151 sur les milieux intertropicaux qui éclairciront davantage la vision de l'Afrique du moins celle des pygmées et du village de pêcheurs béninois à la page 53. Cette fausse approche visuelle de la géographie, ici tropicale, est dangereuse et pour les élèves et pour les professeurs chargés de la commenter. Elle cache la réalité sociale, les rapports entre les hommes et la production, entre celle-ci et sa répartition. Elle enterre, dans la formation de l'espace géographique, dans sa conservation, l'influence et le poids des pouvoirs politiques qui, à notre avis, ne sont pas indifférents à l'élaboration des paysages.

En passant en 5e, la curiosité de l'enfant reste marquée par une Afrique d'une part verdoyante (village du Togo [PAGE 40] page 152) ou dénudée (hutte pygmée de la page 153). Il garde donc l'image d'une Afrique vierge et pauvre dont la civilisation lui a été cachée.

Si les autres civilisations lui sont présentées enfin, il constatera que l'Afrique n'en a pas.

Car s'il y a dans le programme officiel un chapitre sur la civilisation musulmane, un sur la civilisation indienne, un sur la chinoise, un sur la civilisation de l'Amérique précolombienne, il n'y a pas un mot sur celle de notre continent.

Nous rejoignons les vieilles conceptions : l'Afrique sans histoire, sans culture. Les sept professeurs qui ont collaboré au Manuel de 5e, chez Delagrave, 1978, semblent ne pas contredire ces visions.

En effet, le seul chapitre consacré à l'Afrique « L'AGRICULTURE EN AFRIQUE NOIRE » 3 pages sur 254 (avec la page 235-240 consacrée à la Côte-d'Ivoire; 241-246 à l'industrialisation de l'Algérie) insiste, par la présentation de l'agriculture traditionnelle[11], sur une structure de production et non la formation sociale dans sa totalité. A la page 231 nous lisons « l'Afrique desservie par l'histoire » (mais quelle histoire ? car on n'en parle pas aux enfants en se, à moins qu'on veuille dire n'ayant pas d'histoire) n'est guère favorisée par la géographie.

Le déterminisme aidant, l'Afrique apparaît comme le continent maudit « ce milieu est particulièrement agressif pour la vie de l'homme ». Mais pourquoi les Français se sont-ils maintenus en colonie, pendant un siècle et pourquoi, depuis le XVe siècle, restent-ils au Sénégal ? Comment peut-on rester attaché à un milieu qui « se gorge d'infections et de parasitismes qui rendent la vie, l'action et toute initiative fragiles et périlleuses » ? page 231. Il y a, pour répondre à [PAGE 41] cette interrogation, un mensonge dans l'information qui, perçue par des non-africains, est transmise par une sensibilité différente qui, nécessairement, la marque et la déforme.

Les conséquences, pour nous, Africains, en contact avec les Français ou l'Occident sont fâcheuses, parfois énervantes, voire conflictuelles. C'est ainsi qu'innocemment un de mes élèves de 6e me demandait s'il y avait « des hommes et des maisons en Afrique et un autre, comment vit-on là-bas ».

Car, avec toutes les maladies évoquées, il est difficile d'imaginer que 400 millions de personnes y vivent. Quant à la façon dont ils vivent, c'est sans importance pour nos géographes, mais heureusement pas pour les jeunes Français. La façon dont les livres sont écrits, mais aussi dont les professeurs les emploient, contribuent à massacrer l'Afrique et à donner une image très fausse des Africains.

La classe de 4e consacrée essentiellement à l'Europe (Histoire et Géographie) n'apporte rien de nouveau sur l'Afrique. Eurocentriste, le programme ne parle que de l'Extrême-Orient (Chine et Japon en 2 pages 190-191). Cf. Manuel de chez Larousse. Collection G. Duby, 1979.

Arrivé en 3e l'élève n'a jamais appris qu'il y a, en Afrique, une histoire que des peuples, des Haoussas aux Mandingues, des Bambaras aux Peulhs, des Ibos aux Almohades et aux Almoravides, pour ne citer que quelques-uns parmi d'autres, ont élaboré des systèmes socio-politiques efficaces.

Cependant, de façon abrupte, il apprendra dans sa géographie (consacrée essentiellement à la France) que la France « aide » le Tiers-Monde, mais essentiellement les Africains. Mais pourquoi les aide-t-il ? (si aide il y a), le livre est muet à ce sujet.

Chose dégradante pour les Africains, toutes les photographies illustrant « l'aide au Tiers-Monde » pages 249, 252, 253, sont portées sur les Africains. La première est titrée « A l'école d'agriculture de Louga (Sénégal) un jeune Français donne un cours de géographie (quelle géographie ?) à des élèves noirs ». La deuxième photo, prise en Mauritanie nous montre une assistante technique donnant des cours de couture à des Mauritaniennes.

La troisième photo fait examiner par un médecin français des jeunes Ougandais. Enfin la dernière nous présente un coopérant français du Sénégal « donnant sur le terrain des cours de vulgarisation agricole ». On peut se demander ce que ce dernier peut apporter, honnêtement, aux paysans [PAGE 42] sénégalais qui, dans une proportion de 98 %, n'utilisent même pas le français et moins les méthodes culturales françaises.

Comme dans le primaire, le rôle de la géographie contribue à ternir l'image de l'Afrique et des Africains, perçus, traités comme des éternels assistés, des éternels incapables. Comment s'étonner de la réaction d'un élève de 4e « ils (les Africains) ne savent rien faire » ? Comment pourrait-il imaginer autre chose, à moins d'avoir des parents mieux informés ? Ce qui n'est pas le cas général. Les professeurs doivent cependant savoir qu'il y a une technologie africaine, un savoir faire africain qui, malgré les interdits[12] de la période coloniale, sont encore, heureusement, vivaces. Par simple éthique intellectuelle, pourquoi pas morale, évitons de réduire la géographie de tout un continent à des images d'Epinal.

Si chez Hachette le chapitre consacré aux « Européens dans le monde » dans la collection Isaac, 1977, mentionne les résistances à l'occupation française, c'est encore présenté aux élèves avec un certain dédain. « Les troupes qui vinrent de l'Ouest pour occuper le bassin du Niger eurent à combattre des bandes fanatisées par des meneurs musulmans, Amhadou et Samory. Pourquoi les soldats africains seraient-ils des « bandes » et les Français des « troupes » ? Dit-on en France que Vercingétorix était un fanatique, que les résistants à l'occupation allemande en étaient ? Pourquoi nos Nationalistes seraient-ils des « meneurs d'hommes » ? Les deux professeurs agrégés qui ont écrit le livre ne nous disent pas un mot sur l'organisation des Etats africains, comme si c'était, à leur arrivée, l'anarchie totale.

Les deux pages sur la décolonisation de l'Afrique (si décolonisation il y a) n'éclaircissent pas davantage la curiosité [PAGE 43] des élèves et soulignent, certes, de façon fine, la perception de l'Afrique chaotique. « Les jeunes Etats formés en Afrique cherche malaisément leur voie ». page 358. Le mot jeune prête à confusion, car les élèves n'ayant vu aucun Etat à l'arrivée des Français (le livre n'en parle pas) peuvent en déduire que l'Etat en Afrique est une création de la colonisation, ce que notre histoire dément.

Le programme de seconde en histoire, qui va de la Révolution française (1789) à la révolution de 1848, englobe une période où l'Algérie était, avec les Comptoirs Sénégalais, les seuls points occupés en Afrique par les Français. Ici encore le développement présenté par les auteurs des Cours Malet-Isaac de chez Hachette (1971) sur les guerres d'Abd El-Khader reste du moins tendancieux pour un Africain. « Brusquement (apprend-on, page 437), en 1839, prenant pour prétexte que les Français s'étaient avancés dans une zone qui lui était réservée, Abd El-Khader se jeta sur la riche plaine de la Mitidji, au sud d'Alger et la mit à feu et à sang. » Il paraît même, toujours page 437, « que les Français l'aidèrent à imposer son autorité aux autres tribus ». Quand on connaît l'intensité de la destruction des villes côtières, le dénuement imposé à la campagne par la politique de la terre brûlée des colonnes mobiles de Bugeaud, Lamoricière et d'autres encore, nous comprenons l'intervention de l'émir pour sauver son peuple, sa terre et ses villes[13]. « Traqué » (comme une bête) c'est le mot employé page 438 par nos auteurs, « après ses meurtrières surprises » même page (celles des Français ne l'étaient peut-être pas) « il dut finalement se rendre au général Lamoricière (1847). » Des généraux européens traités ainsi par les historiens français sont très rares, peut-être même inexistants. On ne peut plus que penser à nos observations ci-dessus et conclure que, jusqu'en seconde, il en sera de même par la suite, le but de [PAGE 44] beaucoup d'historiens de manuels scolaires, loin d'enseigner notre passé aux enfants, est de les déformer et surtout de ternir l'Africain pour confirmer l'idéologie raciale qui, signalons le fait, a fait beaucoup de dégâts à l'Europe aussi.

La géographie de seconde n'apporte aucun élément nouveau, car consacrée à la géographie physique et humaine générale. Cependant les erreurs de jugement et les généralités sont nombreuses. Exemple du livre de seconde chez Delagrave de S. Derruau-Boniol, 1961, p. 230. « La terre appartient à la tribu qui l'a défrichée collectivement. » C'est une image. Qu'est-ce que la tribu[14] " aujourd'hui en Afrique? Le collectivisme agraire est de plus en plus battu en brèche par l'introduction des cultures industrielles et la diffusion de certains éléments de l'économie capitaliste dans nos sociétés.

La géographie de première, essentiellement consacrée à la France, contribue à renforcer chez l'élève, par le chapitre unique réservé aux Etats africains et malgaches, le sentiment de l'Afrique, éternelle assistée. « La colonisation française, qui a débuté en 1830 avec la prise d'Alger, dota l'Afrique du Nord d'un équipement économique. Le développement fut amorcé avec la mise en place d'une agriculture d'exportation, de l'industrie extractive et d'un début d'industrialisation. » Page 323 de la géographie de Première des Cours Prevot Belin, 1968[15].

En 1830 l'infrastructure économique de l'Algérie n'a rien à envier à celle de la France de l'époque. C'est ce que confirment Shaw « Voyage dans la Régence d'Alger » Paris 1830, et Razet. « Presque tout le peuple sait lire, écrire, compter en 1830 ». cité par Y. Lacoste, A. Nouschi, A. Prenant « Algérie, Passé et Présent », Paris, 1960. [PAGE 45]

D'autre part, la conception du développement chez les auteurs nous semble assez paradoxale : comment peut-on développer un pays avec des cultures d'exportation ? Le vignoble algérien (dans un pays qui, pour des raisons socio-culturelles, ne consomme, théoriquement, pas de vin) est-il honnêtement un facteur de développement pour les paysans algériens ?

Les auteurs savent tous, et tous les gens de bonne volonté, que ces terres de vignoble ont été arrachées, par la violence, pour la plupart, aux fellahs[16], refoulés dans le djebel[17]. Ils connaissent également la destination des capitaux issus de la vente des vins qui s'investissent en Métropole. Par quel miracle pouvait-il y avoir développement ? L'industrie extractive, comme son nom l'indique, sort immédiatement du pays et ne peut servir de base à une industrialisation. On parle « d'un début d'industrialisation » (mais laquelle ?). Celle, bien sûr, qui fabrique des éléments de consommation, sur place, pour la société coloniale et que les économistes nomment, à juste titre : industries de substitution d'importations.

C'est la même conception qui prédomine dans la vision de l'histoire. Dans le chapitre « la portée sociale de la colonisation », p. 472 de la collection Jean Monnier, chez F. Nathan, 1961, nous lisons « la Métropole était un pays évolué, disposant de la force matérielle et de la supériorité technique », p. 473. S'il est vrai que la supériorité technique est à l'origine de la victoire du colonisateur sur le colonisé, il est absolument faux et prétentieux de pouvoir en déduire une classification en « évolués » et « peu évolués » ou « pas évolués »; à moins de partager l'idéologie colonialiste qui distingue « les peuples civilisés » et les « sauvages », les premiers constitués par les races supérieures, les seconds par les inférieures. Il faudrait aussi que le mot évolué laisse de côté les aspects socio-psychologiques de l'homme en le réduisant à sa production matérielle. Mais ce qui est inadmissible, p. 475, c'est de présenter « les points positifs de la colonisation » sans demander l'avis des colonisés.

« L'ordre a été établi », les Allemands avaient-ils établi l'ordre en France ? La Résistance nous répond, par son patriotisme, que non. [PAGE 46]

Comme les manuels de 6e, 5e, on nous dit, « l'enseignement et la médecine se développent ». Mais on ne dit pas que l'enseignement n'est pas le nôtre, qu'il ignore les langues africaines, les cultures africaines. La santé, en soi viable, a malheureusement enterré la médecine africaine et bloqué, pendant un siècle, le développement de notre pharmacopée. Au moment où apparaissent les médicaments qui révolutionnent la médecine occidentale, l'Afrique est occupée, pillée et aussi traumatisée. Elle s'est donc tue, se renfermant sur elle-même. Comme à tous les niveaux de la formation historique et géographique, les premières apprennent, page 475, « la construction des routes, des voies ferrées, de ports, de lignes télégraphiques » et bien d'autres agents civilisateurs. Pour qui construit-on ? Et qui construit ? Pourquoi on construisait ? Les auteurs ne disent mot sur ces interrogations qui hantent cependant l'esprit des grands de première.

En terminale, ils ne seront pas mieux informés, pas plus à l'Université, à moins de faire des recherches personnelles et de vouloir sortir du système.

Ils apprendront, l'année du Bac, pour couronner leur cycle d'histoire (toujours la collection Monnier, classe Terminale, p. 148) « qu'on considérait la possession de ces territoires (les colonies), comme un fait acquis, pour le plus grand bien des indigènes que l'on fait accéder à la civilisation ». (Les deux mots sont soulignés par nous.) Mais quel colonisateur, des Anglais, en passant par les Portugais, jusqu'aux Français, a demandé l'avis des indigènes ? Etaient-ils, en 1885, à la conférence qui a partagé l'Afrique à Berlin ?

Nous savons tous, évidemment, que non. Quel bien alors les indigènes ont-ils tiré ? Nous répondons : absolument rien; ils ont, au contraire, tout perdu, car leur civilisation, perturbée, a régressé. Et nous pensons que l'esprit dominateur, qui confond la civilisation européenne avec une civilisation universelle mythique, est fondamentalement impérialiste et entretient le racisme.

Si la présentation et l'analyse « du monde africain noir » et des « Peuples et civilisations de l'Afrique noire » montrent enfin, après six ans d'études, des empires et leur histoire, des remarques tendancielles expriment toujours une idéologie à coloration raciale. « Il semble que ce royaume (il s'agit du Ghana) ait été fondé à partir du IVe siècle de notre ère par une aristocratie de souche blanche et un fond sarakollé. [PAGE 47]

Ce n'est pas la première fois qu'on nous refuse la possibilité de créer. Jusqu'à nos systèmes agraires, on nous dénie le génie inventeur.[18] D'autre part, si on nous dit, p. 298 « que l'histoire des Africains n'a pas été moins complexe que celle des autres peuples », très vite, p. 300, l'auteur apprendra à l'élève, que Samory, l'un de nos grands résistants « est un chef de bande cruel, le dernier chasseur d'esclaves de l'Ouest africain ».

Comme Abd EI-Khader en Algérie, encore un barbare qui refuse la civilisation universelle.

A côté des déformations de l'histoire contemporaine de l'Afrique il y a, au niveau de la terminale, des silences complices, très volontaires. Prenons toujours la collection Monnier. Les Africains sont absents de l'étude des deux guerres mondiales (1914-1918, 1939-1945). Pourquoi ? Personne n'ignore, cependant en France, leur participation.[19] [PAGE 48]

Et pourtant aucun mot. Signalons que 400 000 Africains ont défendu la France de 1914-1918; dont 200 000 Noirs et Malgaches, 200 000 Maghrébins.

Quant à la géographie de terminale, la formulation du programme exclut l'étude de l'Afrique. Il s'agit en effet de l'étude « des Grandes Puissances Mondiales ». Cependant les références à notre continent sont loin d'être objectives, comme par ailleurs celles à l'ensemble du Tiers-Monde dont « les structures sociales sont figées », collection Maurice Le Lannou, chez Bordas, 1969; p. 15 du livre de Terminale, « Les Grandes Puissances Economiques du Monde ». Les pages 14, 15, 16, 17, 18 nous présentent « l'Aide aux Pays Sous-Développés, la dépendance vis-à-vis de l'étranger » mais ne mentionne pas les responsables du « sous-développement », qui sont les Européens qu'on nous présente comme les bienfaiteurs.

Chez Hachette, les « Cours de Géographie », Classes Terminales 1966 nous opposent, pages 16, 17, les images des sous-développés (culture des arachides en Afrique, un artisan du Tchad, tissage au Cameroun) à celle des développés (moisson aux Etats-Unis, travail à la chaîne à Detroit, filature à Tokyo).

Peut-on illustrer l'état du « sous développement » par trois simples photographies? Pourquoi prendre tous les exemples visuels à présenter aux élèves sur l'Afrique (car il y a encore, à la page 16, une autre photo du Hoggar qui oppose une caravane du Sahara, « aux chevaux à vapeur dans le centre de San Francisco »).

L'Afrique, continent démuni, image éternelle des livres d'histoire et de géographie apparaît clairement. Mais, comme toujours, aucun mot sur les causes, les responsables de cette situation.

Plus inquiétante est la simple juxtaposition, sans commentaire, de photographies représentant deux formations sociales différentes où les systèmes de valeurs sont radicalement opposés. Il faudrait montrer aux élèves que les images africaines s'intègrent à la sociologie africaine et que celles relatives aux formations européennes sont en adéquation avec l'histoire et la mentalité européennes. Rapprocher mécaniquement les deux conduit inévitablement à un classement, à une hiérarchisation de valeurs formées dans les logiques différentes, et peut déboucher, et c'est souvent le cas, sur un [PAGE 49] comportement impérialiste. Ce qui est facilement perceptible au niveau universitaire.

3 - UNE HISTOIRE ET UNE GEOGRAPHIE AU SERVICE DU POLITIQUE

Quand le jeune Français a fini le cycle secondaire, à moins qu'il ne s'intéresse particulièrement à l'Afrique, il ne sait rien d'authentique sur la civilisation africaine, sinon des images stéréotypées, déformées auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés. L'Université ne l'informera pas davantage, à moins qu'il accepte lui-même de dépasser l'idéologie dominante partout présente dans les livres, manuels et cours.

La majorité des maîtres de la géographie africaine en effet par leur expérience de terrain sont en bons rapports avec les pouvoirs d'état africains. Or la plupart de ces responsables sont loin d'être l'expression de la volonté des travailleurs et des peuples africains. Servant de liaison (ici culturelle) entre l'ancienne puissance colonisatrice et la Métropole, le géographe et l'historien africanistes français sont limités, nécessairement, dans leur approche socio-politique et psychologique de la réalité africaine. Ce blocage est très net quand on passe des cours de Licence, plus généraux, aux Maîtrises touchant des situations particulières où les Africains abordent les problèmes concrets de l'Afrique par leur sujet de recherche.

Dans les séminaires, les choix des professeurs sont, en majorité, même pour certains qui se prétendent libéraux ou de Gauche, en faveur des Etats comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire, qui sont cités en modèle. La Guinée-Conakry, la Tanzanie, l'Algérie appellent systématiquement la réserve.

Quand ce cap est passé, le système de notation est des plus arbitraires (en fonction du contenu idéologique et jamais du caractère scientifique, du moins très rarement). La mention a de fortes chances d'être très bien si l'auteur a évité les analyses de la situation politique de la production, comme si la géographie et l'histoire étaient neutres. (Tels étudiants qui étudient les villes de la Côte-d'Ivoire ou du Cameroun sans parler de la main mise du capitalisme français sur l'armature urbaine seront bien notés, alors que ceux qui en parlent feraient de la compilation et seraient mal vus.) [PAGE 50]

Quand même les professeurs sont de gauche, ils n'admettent pas, sinon très difficilement, en tout cas pas toujours, l'originalité du travail d'un Africain. (On taxera un de maoïste quand le patron est communiste et d'excessif quand celui-ci se prétend libéral; ou une expression française ou un mot pourraient ternir le travail ou diminuer la mention en n'oubliant pas que nous sommes en Géographie et en Histoire et non en Français.[20])

A côté de ces aspects mesquins qui peuvent déboucher sur la recommandation à l'Université du pays, de l'étudiant (cf. l'affaire Biny), le fond idéologique, sur la perception civilisationnelle et culturelle, reste : « Une race inférieure, nous dit Augustin Bernard, ne peut s'assimiler les acquisitions intellectuelles d'une race supérieure que lorsqu'il s'est produit une évolution préparatoire. » Dans le Tome XI de la Géographie Universelle, Afrique Septentrionale et Occidentale, 1937.

Comme dans les deux cycles précédents, le géographe justifie l'oppression des Africains par les Européens, présentés comme des êtes supérieurs, faits pour dominer. Les cas sont nombreux. Prenons un des grands tropicalistes français. Pierre Gourou, le maître de nombreux africanistes, après la période du déterminisme en géographie, n'a jamais pu se détacher de sa conception coloniale. En fin de carrière, dans ses « leçons de géographie tropicale » donnée au Collège de France de 1947 à 1970, chez Mouton, p. 6, l'expression « Civilisations généralement peu efficaces » des pays tropicaux remplace chez P.U.F., 1947, page 126, celle de « Civilisations arriérées ». Comme si la civilisation se confondait à l'efficacité matérialiste, comme si ce mot était synonyme de technicité. Même en gardant l'acception originelle, celle du XVIIIe siècle, c'est-à-dire celle des philosophes, notre géographe oublie le contexte social dans lequel s'élabore le progrès (car la civilisation et le progrès devaient aller de pair).

Si après les travaux de G. Sautter et de P. Pellissier[21] la [PAGE 51] géographie agraire africaine s'est assainie, les auteurs n'insèrent pas cependant l'espace agricole dans le processus global de la production de l'économique en Afrique. Nos structures agraires sont prises d'assaut par le modèle urbano-polarisant[22] qui fausse la tentative d'approche structuraliste de mes anciens professeurs. La production arachidière cotonnière qui croît, même en période de sécheresse, le café et le cacao qui occupent le sol pendant longtemps (7 à 5 ans pour produire) sont des réalités que les vraies structures agraires africaines n'intégraient pas. Ainsi si le Droit africain règle toujours la possession théorique de la terre, son utilisation, pour les cultures de rente, dépend de l'Etat.[23] C'est à ce niveau que se situe la carence des approches précédentes qui ne sont, cependant pas racistes. D'autre part, la vision des [PAGE 52] Africain ne sachant rien faire n'a nullement, par ailleurs, disparu du supérieur.

Elle est, vue la formation que reçoivent les étudiants dans le primaire et le secondaire, très fréquente chez eux. C'est ainsi qu'un de mes camarades agrégatifs, devant une carte à commenter du Sud Ivoirien, s'écriait, à propos de plans bien rangés, « ce sont les Français qui ont fait ça ». Pourtant, la légende aidant, et avec un peu d'attention, ils apparaissent comme l'œuvre de paysans ivoiriens. Ma réaction et l'intervention en ma faveur de l'assistant qui est M. A. Prenant, toujours chargé des mêmes T.D., ont amené l'étudiant en question à me présenter ses excuses à la sortie. Qu'en faire ?

L'Histoire n'échappe pas à ce mépris du complexe de supériorité de l'ancienne société colonisatrice. Ainsi cet Assistant d'histoire africaine qui, devant son auditoire, s'excuse, tout en riant, de ne pouvoir prononcer les noms de nos rois (Hughes Capet, Napoléon, sont-ils plus faciles pour nous ?)

Les Africains, éternels sauvages, c'est ce qui revient toujours. Ainsi, sous la plume de professeurs d'universités, des expressions dégradantes subsistent. Jean Pouquet, dans son « Que sais-je » (l'Afrique Equatoriale Française, 1954), maître de Conférence à l'époque, parle, p. 71, « de peuplades attardées » et, p. 70, « de coutumes dites primitives » (avec primitives entre guillemets, mais sans explication).

D'autre part, à l'Université aussi circulent les schémas simplistes ou la dignité africaine est bafouée comme à ce séminaire de Maîtrise où l'exposant, un jeune Français ayant étudié un terroir africain au Togo, affirme à l'assistance : « ils sont tout de même paresseux ». Ce qui apparut normal à tout le monde sauf à moi, bien sûr. (Cependant ils disent aussi bien travailler comme un nègre.)

On pourrait citer aussi ce professeur du haut de sa chaire, affirmant : « L'épargne n'existe pas en Afrique. » Imprévisibles, vivant au jour le jour, encore un cliché répandu[24] pour caractériser l'Africain. On ne doit pas oublier ce tropicaliste [PAGE 53] en période révolutionnaire, nous sommes en mai 1968, proclamant : « Nous avons décolonisé trop tôt. » Une imagerie populaire, les Noirs, de grands enfants à guider. Dès qu'il s'agit ainsi de l'Afrique, l'esprit critique disparaît chez la majorité des enseignants. Comme celui-ci connu pour ses idées progressistes qui légitime la présence française en Afrique. « Si nous partons, les Américains vont venir. » Ici, l'esprit colonialiste fait place à celui de l'analyse géographique. Pourquoi lier, sinon, sa fonction à celle de la présence française en Afrique de l'Ouest dont il est spécialiste ? Pourtant les Américains sont économiquement présents en France. Qu'est-ce qui empêcherait alors les Africains de travailler avec eux si leurs intérêts sont sauvegardés ? On voit bien le mépris que ce professeur porte aux peuples africains qu'il prétend faire connaître aux étudiants, et auxquels il dénie même le droit de pouvoir choisir leur partenaire économique et culturel. On peut, malheureusement, regretter que la plupart de nos responsables politiques confortent notre spécialiste dans sa vision paternaliste et dominateur en le recevant dans leurs universités. Ainsi apparaît, dans toute sa nudité, la liaison entre formateurs géographes et historiens et pouvoir politique.

Cependant il n'y a pas seulement les pontes des universités qui végètent avec leur conception rétrograde des Africains et de l'Afrique. Il y a aussi les plus jeunes et parmi eux certains qui prétendent révolutionner[25] la géographie et l'histoire. Nous retenons des membres de l'équipe de la revue « Espace Temps ». C'est l'article prétentieux, insultant et impérialiste d'Alain Bidaud qui retiendra ici notre attention « L'Afrique sans région ».

Après une définition structuraliste de la région « la région est une division d'ordre immédiatement inférieure à l'Etat-Nation; elle est une instance de la formation économique et sociale du pays considéré », l'auteur nous fait l'historique de la géographie africaine avec son contenu colonialiste [PAGE 54] et raciste. Mais il se garde bien de nous dire ce qu'il entend par Etat-Nation et formation sociale.

En effet, il y a, dans une première approche, une antinomie, une contradiction insurmontable entre « Etat-Nation » et « Formation Sociale », l'existence du premier entraînant la réduction du second. Dans une deuxième approche, il est hasardeux et téméraire de définir la région géographique par la juxtaposition de ces 2 notions. En France même, la Bretagne, la Corse, parties intégrantes de l'Etat-Nation français, sont, par ailleurs des nations et ont été, pendant une partie de leur existence des Etats (pourquoi pas, des Etats Nations ?). Où se situe alors le niveau immédiatement inférieur dont parle l'auteur ? On parle bien en France de nationalistes bretons et corses, qu'en pense notre géographe ?

Par ailleurs, n'étant pas impérialiste comme M. A. Bidaud, je pense que la Corse, la Bretagne, l'Occitanie ont leur formation sociale qui ne se confond pas avec celle de l'Etat Nation. Alors que devient sa définition de la région ?

D'autre part, a-t-on le droit de plaquer une vision marquée par le centralisme à la française sur tout un continent où existent 43 Etats (je ne dis pas forcément Etat-Nation, car un Etat peut comprendre plusieurs Nations).

Combien d'Etats notre professeur a-t-i1 étudié, disons simplement visité pour faire une généralisation ? au plus, pour être généreux, une demi-douzaine – 5 sur 43 ? Où est donc le caractère scientifique d'une telle approche.

L'affirmation « L'AFRIQUE SANS REGIONS » me fait penser à la présentation de l'Afrique dans le secondaire et le primaire. L'Afrique vierge, inorganisée : elle s'intègre parfaitement dans la perception colonialiste qui niait à l'Afrique un passé et des espaces politiques endogènes. « L'Afrique sans région » c'est ce que me disait aussi en 1975 à l'Université d'Oran mon collègue M. Jean Suret-Canale, pourtant connu pour ses travaux et sa présence en Afrique. Cependant discussion aidant, l'ancien membre du Comité Central du Parti Communiste français finit par dire « s'il y en a ce n'est pas pareil ». (Je rends sa phrase mot à mot.) Remarquons que Différence ne signifie pas Négation.

Nous tenons également à dire à l'auteur de « L'Afrique, Société et Civilisation » que les Africains ne cherchent nullement à avoir chez eux des régions à l'européenne ou à la française. C'est même impossible, les rapports de l'homme [PAGE 55] à son milieu étant radicalement différents. Si l'Européen a toujours cherché à maîtriser, dominer la nature, l'Africain a cherché à cohabiter avec elle. Il n'en a jamais fait une marchandise, une catégorie exploitable à merci. Son espace intériorisé est donc diamétralement opposé à celui de l'occidental européen. Il suffit d'ailleurs de réfléchir; car si le rapport des Africains à leur espace était identique à celui qui lie les Français au leur, la colonisation n'aurait jamais eu lieu.

Ces observations faites, nous demandons à tous les chercheurs impérialistes et réductionnistes trois choses préalables :

    1 – Se débarrasser de leur complexe de supériorité.
    2 – Faire de la linguistique et étudier les langues africaines.
    3 – Vivre le plus longtemps possible au milieu du peuple (pas des coopérants).

Ainsi seraient évités les généralisations faciles et les clichés.

Pour finir, quant à notre jeune géographe d'« Espace Temps », je lui dis que les dessins des pages 110, 111, 113, 114, 115 ne font pas du tout rire les peuples africains.

Les nègres nus portant le Blanc, le missionnaire civilisateur sont pour nous des images d'oppression. Si elles font rire la bourgeoisie et les intellectuels qui défendent leur idéologie, les images illustratives de M. Bidaud nous font pleurer, car elles représentent encore le mépris qu'on porte à notre peuple. Qui oserait illustrer, aujourd'hui en France, une étude sur l'occupation par les supplices des résistants ou la brutalité des méthodes de la Gestapo sur le peuple français ? Pourquoi la revue « Espace-Temps » se le permet-elle pour l'Afrique ? Il y a là une insulte à la dignité et à la personnalité africaine encore inadmissible. Elle dénote chez M. Olivier Ferrière, l'auteur et chez les 7 membres du Comité de Rédaction qui ont laissé paraître le dessin, la persistance des imageries coloniales et racistes. A tous les niveaux, la géographie et l'Histoire transmettent une perception arrangée de l'Afrique qui en fait, avec ses populations, une catégorie inférieure qui devra permettre de rire, de se moquer. Mais heureusement pour la France, tous ses fils sont loin de se comporter de cette façon. Comme dit A. Gide, cité par J. Pouquet, « Que sais-je », ci-dessus, « moins le Blanc est intelligent, plus il rit du Noir ».

Ce qui est tout de même embêtant, car il y a des conséquences, [PAGE 56] c'est celui des professeurs, éducateurs des générations futures qui véhiculent des conceptions d'un autre âge qui, par ailleurs, et mon expérience me l'apprend, n'intéressent plus les élèves.

4 - UNE HISTOIRE ET UNE GEOGRAPHIE QUI MENENT UN COMBAT D'ARRIERE-GARDE.

Trois observations fondamentales s'imposent :

1 – Les clichés, les idées qui traînent dans les manuels scolaires, les livres du supérieur, dans la presse, la télévision aussi, ne sont pas ceux que les Africains se font d'eux, de leur place et de leur passé dans l'œkoumène.

On dit bien : «Le chien aboie, la caravane passe. »

Rappelons que la diffusion de l'idéologie coloniale pendant les cent années de présence française ou anglaise n'a guère empêché la libération politique du continent, en attendant, certes, celle de l'Afrique du Sud.

2 – D'autre part, nos auteurs de manuels ou de livres n'apportent rien, pour la plupart, aux enfants. Car, dans les familles, en dehors de l'école, ils prennent connaissance des images faciles et des lieux communs. Ils aimeraient, à l'école, apprendre autre chose.

Quand on connaît actuellement le malaise socio-culturel du monde occidental dont la France est partie intégrante, on s'étonne que beaucoup de professeurs d'histoire et de géographie soient restés encore sous l'emprise des temps révolus, où on admettait, exception faite des esprits lucides, la supériorité sans faille de la civilisation occidentale.

L'heure est depuis longtemps venue pour vivre, accepter les différences culturelles et civilisationnelles et les transmettre telles que, sans complexe, aux jeunes générations.

C'est seulement dans cette perspective que l'on pourra tuer le racisme sous toutes ses formes (anti-arabe, anti-juif, anti-nègre). Il y va de l'intérêt de toute l'humanité et particulièrement de l'Etat français qui vient d'être critiqué par les Congressistes de l'Institut National de droit d'expression française réunis à Dakar du 24 au 29 septembre.[26] [PAGE 57]

3 – La géographie et l'histoire, pour aider à l'entente des peuples, des groupes humains, doivent changer de méthodes.

La première, qui se contente, le plus souvent, dans son approche structuraliste, de décrire, parfois très minutieusement, l'espace et son organisation, n'analyse presque jamais la logique ou les logiques existentielles ou spirituelles qui sont à l'origine de leur élaboration.

Quant à l'histoire, marquée dès sa naissance par le mythe occidental de l'écriture, elle a été défavorable à l'Afrique. Nous savons maintenant, grâce à de nombreux travaux les coïncidences entre les récits de l'histoire écrite et ceux oraux de nos griots, de nos anciens. On pourrait voir A.D. Tamsir Niame « l'épopée mandingue », Présence Africaine 1975. Ajoutons qu'il existe en Afrique plusieurs types d'écritures dont les hiéroglyphes, l'écriture arabe, l'écriture Guèze, la Bamoum, la Vai, par exemple.

Enfin notons que l'histoire contée ou racontée ne cède en rien à celle écrite. L'appréciation, encore une fois, dépend du contexte culturel. L'écriture n'a-t-elle pas une fonction sacrée dans certaine formation sociale ? On ne doit donc pas en faire le critère d'une historicité, moins d'une quelconque supériorité.

CONCLUSION :

Au lieu de faire apprendre aux enfants du primaire comme dans le livre du Cours Elémentaire de Delagrave que « Gallieni ouvrit des écoles où on leur (aux indigènes soudanais) apprenait le français, des marchés où ils pouvaient acheter des étoffes (il s'agit des indigènes) et de petits [PAGE 58] objets; qu'il fit construire des routes et des chemins de fer », ne vaudrait-il pas leur rappeler ces mots d'un des artisans de la colonisation française au Mali, nom véritable, par ailleurs du Soudan? « Bien que sa civilisation diffère de la nôtre, dit le colonel Archinard, Djenné est réellement une ville civilisée. (Souligné par nous.) 16 écoles sont très fréquentées et les annales de la région sont tenues à jour. » Celui qui prit Djenné, la Venise malienne en 1893, continue dans son rapport : « Pour moi, affirme Archinard, c'est la ville la plus riche (il y en a d'autres) et la plus commerçante que j'aie vue au Soudan (Mali); c'est celle qui, pour un Européen, ressemble le plus à une ville... Je pense même que Djenné, bien qu'éloignée de la mer, a donné son nom au golfe de Guinée sur les bords duquel elle envoyait ses commerçants et ses marchandises. [27] »

Je pense que la connaissance, par les jeunes Français, du vrai visage de notre histoire, éviterait, chez eux, la formation du complexe de supériorité, dont sont victimes nos auteurs de manuels et bon nombre d'africanistes. Car seule la vérité permet de surpasser les instincts racistes et raciaux qui ne peuvent résister à une analyse rationnelle.

Enfin la forme civilisationnelle de l'Occident européen n'est qu'une parmi tant d'autres. Comme toute création humaine, elle est temporelle et appelle à un dépassement dialectique. Personne ne peut empêcher cette tendance. Les révolutions peuvent l'accélérer, les conservatismes la retarder, mais rien [PAGE 59] ne peut l'empêcher même pas la malhonnêteté intellectuelle de nos historiens et géographes qui cherchent à enterrer notre passé et à déformer notre géographie. Autant marcher dans le sens de l'évolution de l'humanité.

Tingé Coulibaly
Maître Assistant de Géographie


[1] De Hegel (Cours sur la philosophie de l'histoire en 1830), en passant par Gaxotte, cité par Ki-Zerbo, page 10 dans son histoire de l'Afrique chez Hatier, 1973, la perception est identique. « Ces Peuples (vous voyez de qui il s'agit) n'ont rien donné à l'humanité et il faut bien que quelque chose en eux les ait empêchés. Ils Worit rien produit, ni Euclide, ni Aristote, ni Galilée, ni Lavoisier, ni Pasteur, Leurs épopées Wont été chantées par aucun Homère. » Quant aux marxistes comme André Sik « Histoire de l'Afrique Noire » Akademiai Kiado, Budapest, 1965, Tome 1, la Perception est la même. L'Afrique n'a pas d'Etats, pas d'histoire, pas de civilisation.

[2] Nous pensons à Delafosse qui voit dans les manifestations de notre histoire l'esprit arabe ou berbère, bref la trace dun homme blanc; à Beraud Villars, Charles André Julien pour qui l'Afrique Noire se dérobe à l'histoire, à E.F. Gauthier, grand chantre de la colonisation française qui nous rattache à des Méditerranéens.

[3] L'adoption, par les intellectuels africains, de l'idéologie marxiste pour nous sortir de la domination impérialiste est une attitude normale, historiquement nécessaire, mais nullement suffisante. En Afrique nous sommes d'abord des Noirs, des Pygmés, des Berbères, des Arabes avant d'être des marxistes. Le marxisme en tant que superstructure et structure ne constitue qu'un moment de notre histoire qui ne pourrait se réduire à celui-ci. Partout où se trouve en Europe l'Africain, et notre expérience nous l'a montré, il est certes un prolétaire, mais un prolétaire particulier, traité comme tel. Nos frères des Amériques, exception faite à plusieurs égards de Cuba, connaissent bien cette situation spécifique qui fait d'eux, après 300 ans de vie américaine, des minorités marginales cantonnées dans les espaces les plus sordides de la société massive de consommation américaine. La réussite d'une petite-bourgeoisie noire ne doit pas nous faire oublier cette réalité dominante.

[4] En géographie les travaux de J. Dresch restent valables aprés les indépendances. Aucun mépris culturel ni civilisationnel n'y apparait, c'est déjà moins net chez J. Suret-Canale, R. Mauny chez lesquels l'histoire de l'Afrique ne s'éclaircit que par les références européenne. En ce sens le livre de l'historien R. Mauny : « Tableau géographique de l'Ouest africain au Moyen Age », 1961, Ifan, Dakar, Sénégal, est très révélateur. Peut-on, et doit-on parler vraiment de Moyen-Age ? Cette période historique caractérisant la société féodale en Occident peut-elle être transposée chez nouse mécaniquement ? L'intensité de la vie économique de nos empires (Mali, Gao, Etats Haoussa, du Kanem-Bornou, Bénin), pendant cette époque historique de l'Afrique, ne nous permet pas de parler, comme en Europe, d'âge moyen.

Comme pour Ki-Zerbo, page 129, de l'histoire de « l'Afrique Noire» 1973, chez Ratier, c'est pour nous, Africains, l'ère des grands siècles. Nous devons donc subdiviser le passé de lAftique en rejetant les partitions européennes arbitrairement plaquées sur notre passée. C'est en ce moment que notre histoire commencera sa désaliénation. Cependant, la présence au Maroc, en tant qu'enseignant français, de J. Dresch dans un pays qui a sa langue, sa culture en période d'occupation coloniale, nous paraît critiquable. Sa place aurait peut-être, pour la lutte anticolonialiste, mieux servi l'Afrique, s'il était resté en Métropole; ceci est aussi valable pour Suret-Canale.

[5] Si l'approche méthodologie n'est point la même qu'en français, la répression des patrons africanistes ou faisant passer des mémoires, maîtrises ou thèses en langues, sciences humaines, à des étudiants africains est similaire.

On pourrait se référer à l'article de Traoré Biny et de Mongo Beti dans le numéro 10 de Peuples Noirs-Peuples Africains : le mépris de nos patrons y paraît nettement.

[6] Notons cependant que l'expansionnisme colonial élabore ses théories à partir du 15e S., c'est-à-dire, à partir de cette période que les historiens européens appellent « Les Grandes Découvertes », comme si les Amériques, l'Afrique étaient perdues. C'est le pape Alexandre VI qui, par une Bulle de 1493, partage entre Espagnols et Portugais les régions alors visitées pour que les « Nations barbares soient subjuguées et réduites à la foi » (Encyclopedia Universalis, p. 704). Depuis lors, cette théorie subsiste, civiliser les sauvages. Jules Ferry n'est qu'un continuateur, « les races supérieures, affirme-t-il, ont un droit vis-à-vis des races inférieures; elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ».

[7] Il en est de même de Lyautey à la page 85 « qui aurait apporté la paix et la prospérité au Maroc ». C'est le résumé à retenir que nous présente l'auteur.

Cependant le développement de la leçon nous montre un général débonnaire qui vient aider les tribus marocaines, incapables de s'entendre, afin de leur apprendre « à exploiter leurs terres, leurs mines, leurs ports », page 85, 20 paragraphe.

Dans les deux cas, c'est la sève civilisatrice qui est mise en avant qui cultive chez l'enfant le sentiment, non pas d'une différence, mais d'une supériorité à l'autre.

Dans le premier cas, l'esclavage s'est présenté comme une donnée inhérente à la nature africaine. L'étude des colonies, à la page 84, est réduite à la libération d'esclaves noirs du joug de la servitude. Ici encore l'image d'une France libératrice des Noirs (mais de quels maîtres ?) est mise en avant. La colonisation dans l'esprit de l'enfant se réduit à l'arrivée d'une France bienfaisante.

[8] Cette autosuffisance alimentaire est valable pour l'Asie, l'Amérique du Sud. Comme l'Afrique, elles exportent, jusqu'en 1939,C'est-à-dire avant la Deuxième Guerre mondiale, des céréales. Aujourd'hui, les trois ensemble (Afrique, Amérique du Sud, Asie) importent 71 millions de tonnes de céréales. D'après les projections de la F.A.O. l'Afrique, en prenant les indices en volume 1969-1971 = 100, sera en 1985 pour la production à l'indice 145 tandis que la demande sera à 176. (Voir dossier Jeune Afrique no 2, janvier-juin 1975.) On peut se demander d'après notre géographie ce qu'il « appelle la lutte contre la faim ». L'indice de disponibilité alimentaire africaine n'est-il pas passé de 100 (1961-1965) à 99 en 1972? Avec une population qui croit de presque 3,5 % par an, en moyenne.

[9] En 1956, la Côte-d'Ivoire disposait de 11 800 000 hectares de forêt sur son territoire. En 1978 il ne reste plus que 3 400 000 hectares. Selon les planificateurs, le pays ne disposera, dans l'hypothèse tendancielle, c'est-à-dire dans les conditions d'exploitation actuelle, que de 1 400 000 hectares en 1982. S'il y a «mise en valeur», elle s'est faite au détriment du patrimoine végétal ivoirien, de ses hommes et de l'équilibre de son espace ambiant qui est partie intégrante du biotope africain.

[10] Cf. Cheikh Anta Diop « Nations Nègres et Culture. Présence Africaine 1954-1958 et antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique », Paris, Présence Africaine, 1967.

Ki-Zerbo – « Histoire de l'Afrique Noire », Hatier, 1973.

Tasmir Niane D.T. Recherches sur l'empire du Mali au Moyen-Age.

Présence Africaine, 1975, et « Sondjata ou l'épopée mandingue », Présence Africaine, 1971. Furon « Manuel de Préhistoire Générale », Paris, Payot, 1958.

[11] Ce mot a une connotation de mépris, et est pris dans le complexe de l'impérialisme occidental. Est traditionnel, ce qui n'est pas moderne, européen. Or en Afrique ce que les auteurs considèrent comme traditionnel (pas cependant la culture itinérante de plus en plus inexistante) est moderne et actuel.

Le système agraire SERER au Sénégal, ou la riziculture en Cazamance, ou encore l'agriculture auréolaire des pays bambaras au Mali ont une intensité qu'aucune modernisation de type occidental ne peut dépasser sans dégrader les sois

Qu'on cesse donc de donner des leçons à nos paysans.

[12] Au Sénégal, les autorités françaises ont bien arrêté un artisan qui avait fabriqué un fusil. En France, il aurait eu un brevet, peut-être, d'invention. Au Mali, dans la région de Ségou, non loin de mon village natal, un bûcheron a été arrêté parce qu'il avait fabriqué un vélo. Jusqu'en 1950, et c'est encore visible, l'actuel chef-lieu d'arrondissement de Samabogo, région de Sikasso, dans le sud du Mali, était un centre métallurgique réputé; les hauts fourneaux parsèment encore l'espace villageois. Si notre élan historique n'avait pas été brisé par l'oppression coloniale, l'esclavage, il n'est pas du tout évident que l'Occident aujourd'hui nous mépriserait tant, et le sous-développement n'aurait pas eu lieu sans doute.

[13] Le capitaine de Smith, dans son rapport de guerre datant du 20 mai 1841 « Campagne d'Afrique 1835-1848 » décrit Medea « comme un amas de ruines, un tas de décombres ». La ville avait 10 000 habitants à l'entrée des Français. Mostefa Lacheraf, qui cite ces mots à la page 167 de « l'Algérie Nation et Société » nous apprend qu'après le passage des Français à Cherchell il ne restait qu'un mendiant idiot contrefait, p. 168. Mascara, Oran sont également détruites. La dernière, de 40000 en 1831, passe à 1000 en 1838. Alger, Mostaganem, Tlemcen ne seront pas épargnées.

[14] Dans quelles tribus classer les techniciens étrangers, les conseillers divers.

[15] Etait-il vraiment nécessaire, surtout en 1968, de faire croire aux jeunes de première que la France « avait mis en valeur (par l'entremise de la colonisation) le Tell ? P. 324, premier paragraphe.

Nos agrégés devraient savoir que le Tell (bonne terre) depuis les temps protohistoriques est mis en valeur par les Algériens. Les différents envahisseurs s'y sont, périodiquement installés et l'ont exploité.

Les Français, en tant que derniers colonisateurs, n'ont fait que continuer une occupation de l'espace préexistante. L'Afrique vierge, voici ce qui ressort de ce cours de géographie.

[16] Fellahs, nom du paysan en Algérie, en arabe.

[17] Djebel : montagne, terres fragiles soumises aux glissements, à l'érosion.

[18] Avant Delafosse qui attribuait la fondation du Ghana aux Libyens (de race blanche à l'occasion), nous trouvons les écrivains arabes qui lui donnent aussi une origine blanche. C'est l'opinion de Mohamoud Kati dans le Tarikh-El-Fettah au XVe siécle, C'est aussi celle du Tarrikh-Es-Sudan qui montre la présence de 44 rois avant 750. Ce qui est certain c'est que les Cissés qui ont porté le Ghana à son apogée jusqu'à sa destruction par les Almoravides au XIe siècle, sont bel et bien des Noirs. D'autre part, soulignons que ce nom répandu dans l'Ouest africain n'est porté que par des Noirs africains.

[19] Dans ma famille, je parle de la famille africaine, 4 personnes ont défendu le drapeau français malgré elles. Deux pendant la Première Guerre mondiale et deux pendant la seconde. Parmi les deux premières, une est morte, il y a peu de temps comme pensionnaire, l'autre, qui a été blessée, n'a jamais eu de pension. Ils ont, comme les précédents, combattu sur les champs de bataille les plus cruels (Dardanelles, Marne). Notons que leurs pères mes aïeux, ont défendu, 5 jours durant, leur village contre les colonnes sénégalo-françaises. Je suis loin d'être le seul. Ils sont nombreux, les Africains, qui font partie de familles d'anciens combattants, malgré eux, et qui ont perdu des membres de leur famille et qui ont aussi défendu leur patrimoine. Il est inadmissible que les historiens français n'évoquent pas leur mémoire. Il y a là une malhonnêteté impardonnable. A la p. 250, quand l'auteur, professeur agrégé, Docteur ès lettres, présente le bilan physique, il omet purement et simplement les pertes africaines, à moins qu'il ne les inclue dans les 620000 personnes tuées en France. Il aurait fallu dire, dans ce cas « l'Empire Français » ou bien ces vies ne valent pas les autres, et ne méritent pas d'être mentionnées.

[20] J'ai connu des étudiants de grandes écoles, de préparation à ces écoles (Maths, Physiques, Chimie) ou faute d'observations sur les matières scientifiques on inventait la maladresse de l'expression pour baisser la note. Quand je vois le niveau, en cette langue chez mes élèves de terminale, il est peu brillant par rapport à celui écrit en Afrique par les élèves de même niveau qui, souvent, n'utilisent point cette langue dans leur milieu familial.

[21] G. Sautter « les structures agraires en Afriques tropicale » – Les Cours de Sorbonne 1968, P. Pelissier « Les Paysans du Sénégal, les Civilisations Agraires du Cayor à la Casamance » Saint-Yrieix 1966.

[22] Dans ce modèle, la ville, depuis les travaux de François Perroux, est perçue comme le cœur du développement d'une région. Simple conséquence du développement capitaliste du XIX siècle européen, analysée, par ailleurs après coup, elle est aussi, aujourd'hui un des aspects dominants des économies africaines. Le poids d'Abidjan dans l'économie ivoirienne, de Nairobi dans celle du Kenya, de Dakar dans celle du Sénégal est bien révélateur du succès du modèle chez nous. C'est valable pour l'immense majorité de nos capitales.

[23] On peut évoquer ici le cas malien de l'opération arachide – coton, où la paysannerie se plie aux besoins financiers de l'Etat par l'entremise des sociétés étrangères.

Ainsi la C.F.D.T. (Compagnie Française de Distribution de Textiles) opère dans 2500 villages maliens dans les zones rurales les plus riches au détriment des cultures de mil, de riz, aliments de base. En 1960, il y avait 42 000 hectares de coton au compte C.F.D.T., il y avait en 1972, 66 000 produisant 58 000 tonnes dont 53 000 commercialisées au moment où le Mali reçoit des dons de vivres des Etats-Unis.

L'opération arachide sera confiée, en 1967, au B.D.P.A. (Bureau Pour le Développement de la Production Agricole) et financée par la F.A.C. qui a versé, depuis 1967, près de 1256 millions de francs maliens. Cette somme aurait mieux servi l'agriculture vivrière à notre avis et au lieu de concerner que 570 villages, elle aurait profité à plus de paysans.

On pourrait aussi évoquer les plantations de café, de cacao en Côte-d'Ivoire auxquelles les villageois s'opposent de plus en plus, car, disent-ils, « elles mangent nos forêts ».

[24] Pour qui connaît le paysan Bambara, Sénoufos, Serer, pour ne citer que ceux-ci, les Peulhs omniprésents partout, les commerçants Moulas, l'affirmation n'est que gratuite. Les greniers des premiers sur plusieurs années, les bœufs des seconds, et l'ancienneté de l'activité marchande des derniers démentent de tels propos; sans oublier le système de « pari » des sociétés africaines et le succès mercantile des femmes des pays du golfe du Bénin.

[25] Dans le numéro spécial « Espace-Temps » B.P. 10 94230 Cachan, no 10-11, à la dernière page, les auteurs veulent « encourager la formation d'une histoire et d'une géographie aussi scientifiques que possible, en combattant tous les empirismes et toutes les falsifications idéologiques ». Cette profession de foi semble ne pas s'adresser à l'Afrique. Sinon l'article d'Alain Bidaud, no 10-11, p. 109-123 «L'Afrique sans régions» n'aurait pas dû paraître.

[26] Cf. L'Hebdomadaire « Jeune Afrique » no 980 du 17 octobre 1979, p. 52. On a parlé de « la situation intenable des immigrés arabes et négro-africains ». Tout le monde sait que cette situation dérive de l'ignorance, des images forgées, mais malheureusement entretenues par l'enseignement, et aussi les mass media, Encore hier soir aux informations d'Antenne 2 (25.10) un spécialiste de l'alimentation, après les photos décharnées denfants, apprend aux téléspectateurs que les « Africains, Maghrébins, qu'ils voient en France, meurent de faim chez eux ». Comment peut-on aimer quelqu'un qui vient prendre votre pain? Inutile d'évoquer ici les véritables causes de l'immigration; quand on connaît les sommes énormes que paient les migrants maliens ou sénégalais ou bien ce que doivent les migrants maghrebins avant de sortir, on sait pertinemment qu'ils ne mourraient pas de faim chez eux.

[27] Cité par Ibrahima Baka Kake in « Mémoire d'Afrique. Les Villes Historiques », Casterman SA. Belgique (Tournai) 1976. Voir p. 6.

Le rapport d'Archinard est confirmé par Georges Bastard dans « Tour du Monde 1900 ». Les Djenneukais forment... une population maritime, oserai-je dire agricole et industrielle, réunissant toutes les qualités des marchands et des cultivateurs, comme ils témoignent d'un goût architectural très particulier. » Notons que d'autres villes historiques sont aussi célèbres comme les royaumes dont elles sont l'expression économique. Retenons entre autres Koumbi Saleh, au VIIIe siècle capitale du Ghana, Tombouctou, symbole de la grandeur des souverains maliens, Bénin City, place commerciale internationale qui a porté l'art du bronze à son point le plus élevé. En 1897, les Européens la pilleront, emportant les pièces dans leurs musées. Enfin Zimbabwe avec ses palais aux murailles cyclopéennes au Xe siècle, capitale du Monomotapa, le pays de l'or.