© Peuples Noirs Peuples Africains no. 15 (1980) 10-22



LA MORTALITÉ DES ENFANTS EN REPUBLIQUE POPULAIRE DU CONGO

PROBLEMES ET PROPOSITIONS

Tchichellé Tchivela

Comme ailleurs en Afrique, la mortalité des enfants pose au Congo des problèmes dont la gravité nécessite des solutions urgentes et correctes. Au vrai, celles-ci sont dans la plupart des cas connues, mais elles restent souvent inapplicables ou inefficaces. C'est à la compréhension de cette situation et à l'exposé de quelques propositions susceptibles de l'améliorer que je vais consacrer cet article. Non sans avoir auparavant présenté la République Populaire du Congo (je pense surtout aux lecteurs non-africains de « Peuples Noirs-Peuples Africains ») et ensuite exposé les activités pédiatriques d'un centre hospitalier de ce pays.

I - BREF APERÇU GEOGRAPHIQUE DU CONGO

Abritée à l'ouest par la République Gabonaise, adossée contre le fleuve Congo qui la sépare du Zaïre à l'est, la République Populaire du Congo s'étire comme un couloir que limitent au nord le Cameroun et la République Centrafricaine, au sud le Cabinda et le Zaïre, et que baignent au sud-ouest les eaux tumultueuses de l'océan Atlantique. Elle se trouve entièrement dans la zone équatoriale, mais [PAGE 11] l'extrême sud du pays connaît plutôt un climat tropical. La température moyenne varie entre 22 o 53 au sud et 25 o 71 au nord.

Selon le recensement effectué en février 1974, le Congo, qui s'étend sur 342 000 km2, compte 1300 120 habitants, avec un taux d'accroissement annuel de 2,4 pour 100. Sa densité est de 3,8 habitants par km2. La zone la plus peuplée (75 pour 100 de la population) est située au sud est au sud-ouest du pays, mais elle ne représente que le tiers de la superficie totale. Le Congo possède deux villes importantes : Pointe-Noire, port maritime, et Brazzaville, la capitale, qui abrite 302 000 habitants.

Enfin, trois traits principaux caractérisent la population congolaise : une forte concentration rurale (62 pour cent qui reste néanmoins faible par rapport à celle (80 à 90 pour 100 environ) des autres pays africains, une prédominance des femmes (51,4 pour 100) et une forte proportion des jeunes (41,2 pour 100 de moins de 15 ans).

II - ACTIVITES PEDIATRIQUES AU CONGO

La R.P. du Congo dispose de plusieurs services hospitaliers des enfants, notamment à Brazzaville qui, dans le secteur public, compte six maternités, six services de pédiatrie et le service des maladies infectieuses qui accueille les enfants atteints de rougeole, de varicelle, de méningite, etc. Une brève analyse du « Relevé des Statistiques, année 1977 » de la Maternité Blanche-Gomès permettra de se faire une idée des activités pédiatriques au Congo.

Située en plein centre de Brazzaville, non loin de l'Hôpital Général, la Maternité Blanche-Gomès, qui porte le nom de la première sage-femme congolaise, regroupe les services de gynécologie, d'obstétrique, de pédiatrie, de réanimation et de médecine interne. Véritable centre hospitalier, elle dispose des moyens les plus modernes de diagnostic et de traitement, et reçoit, comme les autres formations sanitaires des centres urbains congolais, des malades qui viennent des localités périphériques, et quelquefois des régions très éloignées.

En 1977, on a recensé 2747 accouchements dont 8,2 % d'accouchements prématurés, 1,6 % d'accouchements gémellaires, et surtout 40 % d'accouchements dystociques (c'est-à-dire [PAGE 12] pénibles, difficiles, compliqués) qui constituent la principale cause des mort-nés. Si on ajoute à ces dystocies les accouchements à domicile ou pendant le transport à la maternité, le nombre élevé des mort-nés et des mères décédées pendant l'accouchement, on saisit L'urgence de renforcer la protection de la grossesse (consultations prénatales plus nombreuses, plus complètes et touchant un plus grand nombre de femmes) et la surveillance des accouchements, de multiplier les centres de P.M.I. et de soins, et de les rapprocher de la population.

22 828 enfants sains, nés à Brazzaville et âgés de moins de un an, ont été examinés dans le service de P.M.I. de la Maternité Blanche-Gomès. On a enregistré 16 784 consultations des enfants âgés de 0 à 4 ans, qui étaient le plus souvent atteints de paludisme, des infections des voies respiratoires, des diarrhées ou dysenteries, des parasites intestinaux, de l'anémie ou de la drépanocytose. 677 enfants ont été hospitalisés en pédiatrie, 102 à la maternité et 107 en gynécologie, cette dispersion s'expliquant par l'insuffisance des services pédiatriques.

78,9 % des enfants de moins de un an qui sont décédés en 1977 à la Maternité Blanche-Gomès étaient des prématurés, La prématurité est en effet la plus fréquente des principales causes de mortalité néo-natale, qui sont : l'infection néonatale, l'anoxie, l'infection des voies respiratoires, la drépanocytose et le paludisme qui sont souvent associés. D'une manière plus générale, le taux de mortalité des enfants est très élevé au Congo. Il est égal à :

– 180 pour 1000 pour les enfants âgés de moins de un an. C'est ce qu'on appelle la mortalité infantile dont voici la définition exacte : « c'est le nombre de décès d'enfants de moins de un an (364 jours révolus) rapporté à 1000 naissances vivantes ». Le taux de mortalité infantile est considéré comme un des meilleurs indicateurs du niveau socio-économique de la population. Il est de 200 pour 1000 au Niger, de 110 pour 1000 au Cameroun, de 15,5 pour 1000 en France (en 1973), et de 9,9 pour 1000 en Suède (1973).

– 127 pour 1000 pour les enfants âgés de 1 à 4 ans révolus. Ce taux est un indicateur très sensible des conditions d'hygiène et de nutrition. Il était en 1974 de 0,74 pour 1000 en France, 0,47 pour 1000 en Suède et de 2,66 pour 1000 au Portugal.

Comme on peut le constater, les quatre premières années [PAGE 13] de la vie – et surtout la première année – constituent un cap particulièrement difficile à franchir au Congo (et ailleurs en Afrique). Les efforts doivent donc se concentrer sur cette tranche d'âge, mais aussi, comme je l'ai écrit plus haut, avant la naissance et pendant l'accouchement.

Analysons maintenant les problèmes pédiatriques que pose la mortalité des enfants congolais.

III - PROBLEMES LIES A LA MORTALITE DES ENFANTS AU CONGO

Ils sont de plusieurs ordres : infrastructures, personnel de santé, maladies, malnutrition et contraception.

1) Problèmes de l'infrastructure

Le service de santé congolais dispose, suivant le « Rapport des Statistiques sanitaires congolais, année 1975 », de 428 formations sanitaires ainsi réparties :

    – 3 hôpitaux généraux (2050 lits)
    – 1 hôpital secondaire (235 lits)
    – 8 centres hospitaliers (948 lits)
    – 27 centres médicaux (1973 lits)
    – 307 dispensaires
    – 82 infirmeries (1706 lits).

Ce qui totalise 6 912 lits, soit 7 lits pour 1000 habitants environ. C'est dire que les services hospitaliers congolais sont insuffisants et, partant, surchargés. En effet, il est courant de voir dans un service de pédiatrie deux ou trois enfants recroquevillés dans un même lit et veillés par leurs mères. Trois causes principales expliquent cette situation : l'inégale répartition des formations sanitaires, la pauvreté de leur équipement et l'insuffisance numérique du personnel de santé.

L'implantation des établissements sanitaires, qui s'est faite sans toujours tenir compte des populations desservies, contraint certains malades à parcourir de longues distances pour atteindre le centre médical le plus proche. Là, ils sont accueillis par un personnel soignant qui, bien souvent, manque de moyens techniques et pharmaceutiques pour travailler convenablement. Réduit, il ne parvient pas en outre à s'occuper de tous les malades qui se présentent dès l'aube, et dont la plupart retourneront à midi chez eux sans avoir [PAGE 14] été examinés. Il en résulte que les Brazzavillois préfèrent consulter la nuit l'infirmier de garde de leur dispensaire, pour exiger et obtenir qu'il les adresse à l'hôpital. Quant aux malades de l'intérieur du pays, ils désertent leurs formations sanitaires qui sont de ce fait insuffisamment utilisées, et vont se faire soigner à Pointe-Noire ou à Brazzaville, où les hôpitaux sont mieux équipés et pourvus de cadres sanitaires plus nombreux et plus compétents,

Pour améliorer cette situation, il conviendrait donc de couvrir le pays d'un réseau serré de centres de soins en tenant compte de la démographie de chaque région, et de former en nombre suffisant le personnel médical et paramédical, ce qui ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes que je vais examiner à présent.

2) Problèmes liés à la formation du personnel de santé

En 1975, et d'après la même source que plus haut, la R.P. du Congo comptait 107 médecins dont 90 Congolais (soit environ 1 médecin pour 9 000 habitants), 19 pharmaciens dont 17 congolais, 1 chirurgien-dentiste, 19 sages-femmes, 218 matrones-accoucheuses, 18 auxiliaires-puéricultrices, 9 puéricultrices. Ce qui n'est pas suffisant.

En effet, comme ailleurs en Afrique, le Congo se caractérise par une pénurie du personnel de santé qualifié et une flagrante disparité entre la médicalisation des villes et celle des campagnes. Il est donc urgent de former le personnel médical et para-médical en nombre suffisant. Mais où ?

A l'étranger, où ils vivront forcément longtemps, les médecins formés auront tendance, du moins certains, à ne plus rejoindre leur pays. Quant à ceux qui rentreront, l'enseignement qu'ils reçoivent ne les prépare pas à exercer convenablement leur art en Afrique, ni à plus forte raison en zone rurale. Et, tout naturellement, ils chercheront à se concentrer tous dans les centres urbains, contribuant ainsi à perpétuer la fâcheuse disproportion qui existe entre la densité médicale rurale et celle des villes. « Dans l'exode des cerveaux, la part préoccupante est l'exode des campagnes vers les villes, plus que des villes vers l'étranger », écrit D. Morley (in « Pédiatrie dans les pays en développement. Problèmes prioritaires », Paris, Flammarion, 1977, p. 406).

Sur place, la formation des médecins exige une nécessaire adaptation des programmes aux réalités africaines, ce qui pourrait poser le problème de l'équivalence des diplômes [PAGE 15] avec certaines universités étrangères. Il existe au Congo des Centres de formation médicale (institut National des Sciences de la Santé) et para-médicale (L'Ecole Nationale de formation para-médicale Jean-Joseph-Loukabou, et l'Ecole Kimpa-Vita).

A vrai dire, la majorité des étudiants congolais en médecine sont formés à l'étranger, notamment en France et en U.R.S.S. Quoi qu'il en soit, il ne suffit pas que les médecins soient présents dans leur pays pour que la situation sanitaire de celui-ci s'améliore. D'autres conditions doivent intervenir : bonnes conditions techniques et psychologiques de travail; utilisation et répartition rationnelles, autorité et responsabilité qui font souvent défaut, et bien d'autres. Il ne suffit pas non plus que des écoles de formation Paramédicales existent au Congo pour disposer d'un personnel de qualité. Les conditions dans lesquelles se font les recrutements, les études, les stages, les examens et les affectations expliquent en grande partie pourquoi les parents d'enfants hospitalisés se méfient et se plaignent du personnel paramédical, et bien souvent tiennent à soigner eux-mêmes leurs propres malades. Ce qui ne va pas sans conflits.

3) Problème Budgétaire

Le budget de santé du Congo est dérisoire : 9 Pour 100 du budget national. il est en outre absorbé en majeure partie par les hôpitaux urbains. Mais pour réduire la mortalité des enfants congolais, il ne faudrait pas attendre l'amélioration des conditions sanitaires et socio-économiques. Une bonne organisation d'un service de santé infantile y contribuerait efficacement. J'en reparlerai plus loin, à propos de la consultation intégrée mère-enfants. Examinons à présent les problèmes relatifs à la morbidité des enfants.

4) Problèmes pathologiques

1 - La rougeole

La mortalité par rougeole est très importante au Congo. Plus forte en zone rurale qu'en ville, elle frappe surtout les enfants de 1 à 4 ans, qui, bien souvent, n'arrivent à l'hôpital que pour y mourir peu après. Il s'agit le plus souvent de petits enfants âgés entre six mois et deux ans, malnutris, souffrant aussi de pneumopathies, de paludisme ou de parasitoses intestinales, et qui se présentent à l'hôpital au stade [PAGE 16] de complications : encéphalite, déshydratation aiguë. Pourquoi donc les parents congolais tardent-ils à aller à l'hôpital ?

D'ordinaire, ils préfèrent garder leur enfant malade à la maison pour éviter les « piqûres de l'hôpital », comme ils disent, qu'ils soupçonnent d'empêcher l'éruption de la rougeole. Si la maladie s'aggrave, ils consultent un guérisseur. Insatisfaits, et alors inquiets, ils s'adressent à l'hôpital. On voit là le rôle que peut jouer l'éducation sanitaire pour combattre ce comportement, dans le cadre d'une lutte contre la rougeole.

A vrai dire, cette lutte comporte de nombreuses difficultés. La vaccination, si simple à administrer et si efficace, est coûteuse et difficile à réaliser sur le terrain. Il en va de même de l'éducation sanitaire qui doit être prolongée, orientée vers l'amélioration nutritionnelle, la modification des habitudes alimentaires et le changement de certaines attitudes nocives pour le malade.

2 - Les diarrhées

Les diarrhées aiguës constituent un motif important de consultation, d'hospitalisation et de décès des enfants au Congo. Elles peuvent être d'origine nutritionnelle ou infectieuse, et souvent ces deux causes s'associent et réagissent l'une sur l'autre. En outre, des facteurs comme les climats chauds et humides, l'insuffisance de l'hygiène, l'utilisation des biberons et tétines mal lavés et mal stérilisés, et des laits industrialisés par des mères analphabètes et ignorantes expliquent la gravité et la fréquence de ces diarrhées infantiles. L'assainissement de l'eau et l'hygiène alimentaire et corporelle sont deux moyens de lutter contre leur survenue. Mais ici encore l'action éducative est prépondérante, qui consiste à enseigner aux mères à bien alimenter leur enfant, à utiliser l'eau potable et à leur rappeler l'intérêt de la propreté dont les Africains acquièrent très tôt la notion.

3 - Le paludisme

La situation du paludisme est actuellement très grave dans le Tiers-Monde. Cette maladie frappe surtout les jeunes enfants, et sa recrudescence est due à l'inefficacité des moyens utilisés pour l'éradiquer. Cet échec s'explique notamment par « l'absence d'infrastructure sanitaire dans de nombreux pays sous-développés et par l'absence de motivations des [PAGE 17] populations qui ne comprennent pas l'importance de l'enjeu, pour elles-mêmes comme pour le pays, et ressentent les opérations comme une intrusion dans leur vie privée (F.J. Tomiche, Afrique-Asie, No 166, du 24 juillet au 6 août 1978, pp. 59-61).

Il est donc nécessaire d'expliquer aux populations ce dont il s'agit pour obtenir leur aide. Il faudra aussi agir sur l'environnement (travaux de drainage, boisement, etc.). Quant à la pulvérisation des insecticides, elle ne pourra avoir de portée qu'à la condition que les pays limitrophes y recourent simultanément, tant il est que les moustiques n'ont pas besoin de passeports ni de visas pour franchir les frontières dans un sens comme dans l'autre. Parmi les moyens actuellement préconisés (poissons prédateurs, moustiques stérilisés), la culture in vitro du parasite suscite un très vif intérêt. Car elle pourrait aboutir à la fabrication d'un vaccin. Mais quel en serait le prix d'achat?

4 - Problèmes nutritionnels

La malnutrition constitue actuellement un grave et préoccupant problème de santé publique. On en distingue deux aspects : le marasme, dû à la sous-alimentation et le Kwashiorkor qui résulte d'un déséquilibre alimentaire par manque de protéines. L'association de ces deux formes réalise le tableau de la malnutrition protéino-calorique.

Celle-ci apparaît chez l'enfant de 2 à 3 ans, généralement après le sevrage. Voici quelques-uns de ses facteurs et causes de survenue, qu'il faut connaître pour promouvoir une bonne politique de prévention.

a) Les mauvaises habitudes alimentaires
– alimentation au sein jusqu'à l'âge de 2 ans,
– tabous et interdits alimentaires, concernant surtout les aliments d'origine protéique.

b) Le sevrage mal conduit
– modification brutale du régime alimentaire,
– sevrage précoce (séparation, maladie ou grossesse prématurée de la mère).

c) Le faible pouvoir d'achat
qui empêche de disposer des protides d'origine animale (viande, poisson, lait, œuf) qui sont souvent coûteux.

d) L'ignorance
par la mère des valeurs nutritionnelles de certains aliments. En outre, elle se laisse abuser en ville par une publicité [PAGE 18] tapageuse qui l'incite à utiliser des laits en boîte, ce qui provoque presque toujours des diarrhées.

e) Les maladies infectieuses
Il existe en effet des interactions entre les infections et les troubles alimentaires. Les gastro-entérites retentissent sur l'état de nutrition qui les aggrave à leur tour, surtout à partir de un an. La rougeole qui frappe un jeune enfant ayant une malnutrition protéino-calorique discrète ou modérée entraîne presque toujours une aggravation de l'état nutritionnel. De même, la malnutrition aggrave l'évolution de la rougeole, favorise ses complications et élève la mortalité.

Il faut donc apprendre aux parents à prévenir la malnutrition protéino-calorique. Cette prévention exige d'informer les populations sur les causes de malnutrition et de leur donner les moyens d'améliorer le régime alimentaire des enfants. Les consultations de P.M.I. permettent d'éduquer les mamans et de dépister une malnutrition précoce chez les enfants. L'éducation nutritionnelle des mères peut se faire individuellement ou collectivement lors des séances regroupant plusieurs femmes. Après les avoir informées et sensibilisées, on fera des démonstrations devant elles, on leur fera faire le plat conseillé, puis on ira se rendre compte, par des visites dans les familles de l'efficacité de cette éducation.

Le tétanos et les infections des voies respiratoires constituent avec les maladies précédentes les six principales causes de mortalité des enfants congolais âgés de 0 à 4 ans, ainsi que l'indique le tableau à la page suivante.

5 - Problème de la contraception

La gravité de la malnutrition, l'importance de la famine et l'explosion démographique ont amené certains agronomes et économistes à recommander la contraception au Tiers-Monde. Cette curieuse attitude cache mal des arrières-pensées inavouables. En effet, la croissance des hommes ne gêne pas nécessairement la production alimentaire; au contraire, elle peut la soutenir. La faim, qui sévit dans des pays sous-développés, n'est pas la conséquence de la surpopulation. (En 1977, l'Afrique comptait 451,2 millions d'habitants, soit 10,47 % de la population mondiale, contre 478,8 millions d'Européens, soit 11,31 %.) Ce qui importe avant tout c'est [PAGE 19]

l'amélioration de la production, le contrôle des naissances étant un moyen plus nécessaire à l'équilibre des familles qu'au développement du pays. Car c'est le développement et l'urbanisation qui font fléchir les taux de natalité, et non la baisse de natalité qui entraîne le développement. Enfin, la contraception atteint difficilement les populations rurales qui constituent 80 à 90 % des populations des pays africains. [PAGE 20]

Cela dit, à défaut d'une politique nationale pour réduire le taux de mortalité qui ne se justifie pas au Congo, il convient d'encourager les séances de la planification familiale, bien que celle-ci aboutisse à long terme au ralentissement – voire à l'arrêt – de la poussée démographique. En effet, la contraception devrait être préconisée :

    a) aux mères de familles nombreuses qui pourraient ainsi se reposer et s'occuper mieux de leurs jeunes enfants.
    b) aux femmes qui travaillent.
    c) aux jeunes filles en âge de procréation qui veulent poursuivre leurs études.

Pour tout dire, la contraception concerne avant tout le couple, l'individu. Mais elle peut aussi intéresser un gouvernement plus soucieux d'assurer une vie décente à ses administrés que d'augmenter leur nombre.

IV - PROPOSITIONS

Comment résoudre ces différents problèmes ? Tout en les examinant, j'ai indiqué certaines mesures qui devraient réduire la mortalité des enfants Congolais. Voyons à présent comment organiser et coordonner leur application, en vue d'une très grande efficacité.

1) La Consultation intégrée mère et enfants

Il s'agit de mettre à la disposition des familles d'une zone géographique déterminée une organisation permettant à la mère et à ses enfants de recevoir, le même jour, en un même lieu et d'un même agent, les soins, les conseils et les vaccinations dont ils ont besoin, Les principales activités d'un tel centre de consultation seront comme celles d'un centre de P.M.I. (consultations prénatales, des nourrissons et jeunes enfants) avec, en plus, des vaccinations et des séances d'éducation sanitaire qui se feront tous les jours.

2) Institut National de l'Enfance

Une fois créé, cet établissement servirait de courroie de transmission entre les services centraux de l'enfance, et les services extérieurs du ministère de la Santé. Ce serait aussi un centre de formation, ou, mieux, de recyclage des agents professionnellement engagés dans la protection de la santé maternelle et infantile. [PAGE 21]

3) Service d'Education pour la Santé

Nous avons vu combien l'éducation sanitaire était importante dans la prévention des maladies et la lutte contre la mortalité des enfants. Mais elle ne doit pas toucher seulement les mères, elle doit concerner la population tout entière qui doit y participer effectivement et durablement. C'est dire la nécessité de créer un service national d'éducation pour la santé, et de l'organiser de manière qu'il sensibilise et motive tous les Congolais.

Ainsi, pour réduire la mortalité des enfants, l'éducation sanitaire devra obtenir des parents qu'ils fréquentent plus régulièrement les centres de P.M.I., et qu'ils consultent à temps les services pédiatriques des hôpitaux. Pour y parvenir, elle devra s'attaquer d'abord à la superstition, aux croyances magico-religieuses et à l'ignorance, ainsi que le montre le dialogue suivant extrait d'un roman camerounais :

    « – Frérot, on ne va pas laisser ce pauvre gosse continuer à s'ébattre dans cette saloperie, au risque d'embrasser un serpent bananier.
    – Et alors ? Mère disait que, tout petit, j'ai bien marché plus de cent fois sur les plus sales bêtes, et je n'ai pourtant jamais été piqué. Il y a une Providence pour les enfants... Le Bon Dieu a dû dire aux serpents en les créant : « surtout n'allez pas me piquer mes tout petits ».


    – Tiens donc ! Il y a aussi une Providence pour les Noirs, comme vous dites souvent, et le Bon Dieu a dû dire aux microbes : « Surtout n'allez pas me tourmenter mes pauvres Noirs », et c'est pour cela, voyez-vous, que les Noirs sont invulnérables aux microbes.
    – Très juste. Ecoute-moi un peu : un jeune missionnaire est mort récemment à Ngwa-Ekeleu, un certain Van Hout ou Vant Out, peu importe ( ... ). Tu sais de quoi il est mort ? Il avait bu une eau suspecte selon les uns; pour les autres, il a mangé une sardine avariée. C'est vrai qu'il venait d'arriver de leur pays; mais enfin mourir d'une eau suspecte ou d'une sardine avariée, tu as idée, toi ? Combien de fois serais-je déjà mort alors, moi? et mon petit NSimalen ? »

    Mongo BETI (« Perpétue », Paris, Buchet-Chastel, 1974, p.30) [PAGE 22]

Vingt ans après l'indépendance, le taux de mortalité des enfants d'âge préscolaire reste encore élevé en R.P. du Congo. Cette situation résulte de nombreux problèmes dont la résolution est affaire de volonté, de planification et de persévérance dans l'effort.

Mais cela ne suffit pas. Les Congolais, si longtemps asservis par la superstition et l'ignorance, devraient avant tout changer de mentalité pour changer de comportement et gagner la bataille de la santé, dont la protection de l'enfance constitue un front important. Pour y parvenir, il faudrait organiser ce qu'un ministre angolais de la santé appelait « l'alphabétisation sanitaire » de la population : les campagnes d'éducation pour la santé.

Ainsi, animés par notre nouvelle tournure d'esprit, nous pourrons, nous Congolais, cultiver le Congo avec la houe de nos rêves.

Tchichellé Tchivela