© Peuples Noirs Peuples Africains no. 14 (1980) 120-132



POEMES

Nisyi OSUNDARE & Alphonse NDZANGA

STRANGER IN THE CITY

A smart-looking lady refuses
The only vacant seat in a crowded bus
She would rather stand with her kind
Than sit with a nigger.

The notice screams there are rooms
To let. But the landlord would rather
Lease them to mice and roaches than
Brook tenants that are not blond.
His doctor says your skin rubs off
Brown on whitewashed walls.

The professor gives you an A
With a shower of praises
Before discovering the oddness
Of your name. Intellectual prudence
Dictates that certain marks do not go
With certain names. So he gives you a D
To match your name. [PAGE 121]

A firm's board bemoans a lack of hands
You dust your C.V., and your coat and tie,
Black shoes to match and a glass-smooth shave
(So you don't look a Communist)
The personnel tease you with one or two questions
And promise to call. You fasten the telephone
To your ears but the talking magic is mute.
Now listen, there must be something
In your skin that makes jobs disappear.

Powell and Duke and the cross burners
Shout Africa is home of the negro
Ship them back, all of them
Except a few to
    cut our cane
    pick our cotton
    man our blast furnaces
    tend our young
    sweep our streets
    carry our excreta
The rest ship back where they daily boost
The yield of our foreign orchard.

In the streets kids take furtive looks
Hey, mama, look the nigger boy
Their mothers shoot a scanty grin at you
Over the potato and cabbage of dinner
And in the insulated security of their castle
They tell the kids :
That man you saw is
A descendant of Kinta Kunte.

by Nisyi OSUNDARE.

[PAGE 122]

ETRANGER DANS LA VILLE[1]

Une dame élégante dédaigne
Dans un bus comble le seul siège vacant
Plutôt que de s'asseoir aux côtés d'un nègre
Elle restera debout avec les siens.

Des chambres à louer clame
L'annonce. Mais le propriétaire préfère
Les livrer aux souris et aux cafards que
De tolérer des locataires qui ne soient pas blonds.
Le brun de votre peau dit son docteur
Déteint sur les murs d'un blanc de chaux.

Le professeur vous donne un A
Et des louanges en cascades
Avant de découvrir l'étrangeté
De votre nom. L'esprit de sagesse
Enseigne que certaines notes jurent
Avec certains noms.
Il vous gratifie donc d'un D
Qui s'harmonise à votre nom. [PAGE 123]

Une compagnie déplore un manque de main-d'œuvre
Vous époussetez votre C.V., et votre manteau et votre cravate
Des chaussures noires assorties et un menton poli comme un miroir

(Ainsi vous ne ressemblez pas à un communiste)
D'une ou deux questions le chef du personnel vous taquine
Et promet de vous rappeler. Vous fixez le téléphone
A votre oreille mais la voix magique reste muette.
Croyez-moi, il y a sans doute quelque chose
Dans votre peau qui fait s'évanouir les emplois.

Powell et Duke et les brûleurs de croix[2]
Crient que l'Afrique est la patrie des nègres
Embarquez-les, tous tant qu'ils sont
Sauf quelques-uns pour
    couper la canne
    cueillir notre coton
    remplir nos hauts-fourneaux
    garder nos enfants
    balayer nos rues
    vider nos excréments
Rembarquez le reste, là-bas chaque jour ils élèveront
Le rendement de notre lointain verger.

Dans les rues des enfants jettent un coup d'œil furtif
Regarde m'man, regarde le nègre
Leurs mères grimacent un sourire contraint
Par-dessus les pommes de terre et la salade du dîner
Puis dans le refuge douillet de leur domaine
Elles disent aux enfants :
Cet homme que vous avez vu est Un descendant de Kinta Kunte.[3]

Niyi OSUNDARE
(traduit de l'anglais)

[PAGE 124]

Né le il septembre 1949 à Ile Mbamou (Brazzaville), Alphonse NDZANGA est inscrit en Première Année de Maîtrise de Langues vivantes étrangères à l'Université Marien NGOUABI de Brazzaville.

UNE NUIT A SOWETO

Pour Sechala MONTSISI[4]

Des statues encre de Chine hissent haut
Dans les rigoles de sang leur sang
Oriflammes rouges
Mangé boue et bu jusqu'à la dernière lie
Les tourments ataviques des fistons de Cham
                         MAIS
Sous herbes vertes un grillon mâle bat
– gamme majeure – mesure d'une ère naissante
Constellations dans la nuit opaque
Des artères montent bave vagues
Hymne polyphonique futur. Sûr
La nuit n'est plus loin du jour
                         PEUPLE
Je vois ta charpente de levain qui gonfle [PAGE 125]
                        qui hurle
                             gueule
Ton échine tordue telle arc d'arbalète
Se redresse prompt. C'est droit des masques en cage
                         PARLE
Qu'importe voix et poudres
Qui a diarrhée n'a point peur de la nuit.

Octobre 1977

[PAGE 126]

CAVERNE[5]

« De la douleur naît le chant »
                                            ARAGON.

A Nelson MANDELA[6]

1. Nuit, l'âpre nuit
M'asphyxie
Le jour s'en est allé
La nuit s'en est installée
Où est ma vie
Ta vie la Vie ?
Elle est aussi fétide
Que Cette-caverne
De tant de cyclones
Ici on y confond
Jour et nuit
Semaine et mois
Année et Vie
Et ils défilent [PAGE 127]
Insipides monotones
Ces-jours-ces-années
Telle litanie échappée
Des gosiers de nonnes
Apres, âcres, aigres
Dans Cette-tombe
D'hommes-lion
Vautrés dans la carnassierie
Dis, où donc est ta vie
Ma vie la Vie ?
Le soleil n'est-il pas
Bien planté
Au sommet de nos crânes ?

2. Et ces masques
Ces masques flasques
Dorment dorment
Un sommeil éveillé
Horrible
                Pénible
Yé ééé Nanengo !
Où a-t-on vu

Des hommes-loir ?
Ah! ça non
Nom de mon père!
Trop longtemps
Dure le sommeil
Moi je veille
Ma conscience est debout
Elle saigne de boue
De dégoût
De nausée
De honte
Dans Cette-Caverne
Où on ne mange pas
On ne boit pas
On ne danse pas
On ne chante pas
On ne parle pas
On ne rit pas
On ne lit pas
On ne... pas [PAGE 128]
On ne... pas
Et ma conscience saigne
Saigne
Et d'étouffement
Et d'isolement
Et de haine
Et de peine
Et de colère
Et d'ulcère
Et de ... et caeteri
Et de ... et caetera

3. Nuit trop sombre
Sombre nuit trop lourde
Pour remonter hors
De Cette-Caverne
Pouah! comment vivre!
Je m'ennuie d'ennui
Je crève de faim
Ciel c'est ma fin
Je n'en peux plus
Je n'en peux plus
Mais qui m'entend
Qui ?
Mon cri vous parvient-il
Hommes du globe?
Ma-Caverne n'a pas d'issue
Pour sûr!
Le soleil ne brille plus
Où donc est ma vie
Ta vie la Vie ?
Et ces silhouettes
Dorment dorment
Un sommeil de mercure
Insouciantes
                 Inconscientes
                         Impuissantes
Moi je veille

4. O jour!
Le jour s'en est allé
La nuit s'en est installée
Et je crève [PAGE 129]
Crève d'ennui
Et je m'ennuie de trêve
Je n'en peux plus
Dehors le soleil oscille
Ici... Nuit noire
Pour des masques sans vie
Scorpions sur les voies publiques
Vipères sadiques
Caméléons aux couleurs aguichantes
Tortues géantes...

5. Des mbulumbulu neufs obèses
Puant sang caillé
Font ronde gueulant
« Hé fermez-la
Me vous réveillez pas
Ne mangez pas
Ne buvez pas
Ne dansez pas
Ne chantez pas
Ne parlez pas
Ne riez pas
Ne lisez pas
Ne ... pas et caeteri
Ne ... pas et caetera
Calme sinon...
Voyez ces tuyaux! »
Et Cette-nuit
Interminable-nuit
Noie
L'écume de mon cri
Et broie l'élan de mon envol
Vers Mars planète-promise
Hommes, ouvrez !
Ouvrez-moi hommes
Le battant. Rendez-moi
Mes colchiques-soleils-oxygènes
Je vais à la rencontre
D'autres hommes du globe
Mon-désir-partir
Mon-plaisir guérir
De-mon-mal-qui-dure
Dans-Cette-caverne-forteresse [PAGE 130]
D'aucun souffle rénovateur
Aucun sourire, des crocs des rides
Aucun envol, des verbes, des verbes sans chair
Aucune hirondelle dans l'azur bleu
Aucune vie, fade vie

6. ICI... pas une libellule bourdonnante
             pas une forêt fumante
             pas une femme flamboyante
             pas de vie
             horrible vie
Caverne de glace
Rien de chaud
Rien de vert
Rien de blanc
Rien ne vit
Chienne de vie
Là...      pas de bourgeons dans le feuillage vert
             pas de fumée à l'assaut des nuages
             pas de vrombissement sur les eaux
             pas de vie ville vie
Ni sonate de lenge
Ni trépignement
Ni son de piano
Ni chair de lune
Ni grappe de soleil
Ni vie Vide vie

7. Sur faite de baobab
De grosses puces
Tournent pouces
Des rabulumbulu neufs obèses
Veillent
Au pied, des ombres
Dorment dorment
Un sommeil-loir
                 Inconscientes
                         Impuissantes
Dis, Ndi[7] [PAGE 131]
Où donc est ta vie
Ma vie la Vie
L'HOMME?
Ah 1 l'agonie à petit feu
Je n'en peux plus !

8. Dans mes somnambulismes
J'ai heurté
Un septuagénaire effarouché
Qui retisse hélas
Avec son unique toile blanche
Nos glorieux hiers
Mabiala Ma Nganga, Béhanzin
Lumumba...
Voit de muscles, voie de sang
Voie d'honneur
Non! Da ![8]
Ma conscience ne dort
La lune dehors
A goût de miel et de molenge
Mange
Boit
Saoûle
Danse
Chante
Rit
Lit
Et la vie est vie
Ici-nuit-l'âcre-nuit
Qui n'en finit pas
Et ces masques dorment
Ceux de patience
Ceux de souffrance
Ceux de désarroi
Ceux d'émoi et moi
Je veille
Et ils défilent
Insipides monotones
Ces-jours-ces-années
Couleur d'urines
Litanie échappée [PAGE 132]
Des gosiers de nonnes
Apres, âcres, aigres
Dans Cette-caverne
Sans porte sur les étoiles
Sans fenêtre sans rêve
Sans liberté
Sans vie ta vie
Ma vie, La Vie...

Alphonse NDZANGA
Avril 1977


[1] Ecrit pendant le séjour de l'auteur au Canada

[2] Enoch Powell, chef du mouvement fasciste et raciste en Grande-Bretagne; Duke, chef du Klu Klux Klan aux USA.

[3] L'ancêtre africain, vendu comme esclave, héros du roman d'Alex Haley: Racines.

[4] Président du Conseil Représentatif des Etudiants Noirs de Soweto.

[5] Extrait de Flamme de la Huitième Lune (Poèmes). Préface de Arlette Chemain – chez l'auteur.

[6] Détenu à perpétuité dans une geôle sud-africaine.

[7] Ami

[8] Père avec tout le respect possible