© Peuples Noirs Peuples Africains no. 13 (1980) 141-144



CINEMA ET DOMINATION ETRANGERE EN AFRIQUE NOIRE

Le cinéma en Afrique noire d'expression française recouvre deux réalités différentes :

– le cinéma tel qu'il est distribué et exploité dans les salles;

– le cinéma tel qu'il est produit et réalisé par des cinéastes africains, en Afrique, avec des équipes africaines.

Il s'agit bien de deux entités différentes et l'absence de pont solide entre elles résulte d'une longue histoire de domination du cinéma en Afrique par des firmes étrangères.

La distribution et l'exploitation cinématographiques en Afrique noire d'expression française deviennent autour des années 50 le quasi-monopole de deux sociétés étrangères ayant leur siège social dans la principauté de Monaco;

– la COMACICO (Compagnie Africaine Cinématographique Industrielle et Commerciale) créée en 1959

– la SECMA (Société d'Exploitation Cinématographique Africaine) créée en 1948 et succédant à la société d'exploitation Marcel Archambaut.

Ces firmes traitent avec les producteurs par l'intermédiaire de deux autres sociétés étrangères ayant elles aussi leur siège social dans la principauté de Monaco : l'IMPORTEX pour la COMACICO et la COGECI pour la SECMA. [PAGE 142]

La cession des droits s'effectue d'abord selon un forfait mensuel fixé chaque année.

D'après diverses sources de renseignements comme le rapport Carrière, le rapport De Place, les contrats de cession de droits... COMACICO et SECMA rapatrient en Europe chaque année environ 40 % du chiffre d'affaires réalisé sur le sol africain et réinvestissent ces capitaux dans d'autres secteurs jugés plus rentables.

Cet effet de détournement des revenus, caractéristique des sociétés capitalistes, représentait en 1960 le salaire annuel de 2000 ouvriers d'Abidjan pour la SECMA et de 4000 ouvriers pour la COMACICO.

En 1970 les producteurs américains s'aperçoivent après enquête que l'acquisition des droits s'établit à un taux dérisoire et laisse une très grande marge bénéficiaire aux deux sociétés. Réunies au sein de la M.P.F.A.A. (Motion Picture Export Association of America), les compagnies américaines imposent une location au pourcentage assortie du versement d'un minimum garanti. D'autre part, elles créent leur propre organisme de distribution pour l'ensemble des Etats africains francophones : AFRAM FILMS INC.

De leur côté les producteurs français songent à s'organiser en coopérative de distribution. En attendant, certains d'entre eux imposent à la COMACICO et à la SECMA de nouvelles conditions en traitant au pourcentage.

Le ministère de la Coopération met au point un plan de réformes et de restructuration du marché africain du film connu sous le nom de rapport SODECINAF. Ce programme propose le rachat des circuits COMACICO et SECMA par un groupe financier associant à égalité des intérêts africains et français. Il préconise l'instauration du contrôle des recettes et de l'exploitation au pourcentage (l'Afrique étant le seul marché au monde à ne pas jouir de ce système). Il prévoit enfin, après amortissement et rétribution des investissements financiers, que les Africains puissent devenir seuls propriétaires de nouveaux circuits.

La réalité actuelle diffère sensiblement de ce projet !

En 1973, l'U.G.C. (Union Générale Cinématographique), ancienne firme d'Etat, rachète les circuits COMACICO et SECMA et crée une filiale africaine dénommée SOPACIA (Société de Participations Cinématographiques Africaines).

La SOPACIA, société anonyme dont le siège social se trouve à Paris, possède ou gère directement dès son entrée [PAGE 143] en vigueur 110 salles en Côte d'ivoire, Mali, Togo, Niger, Bénin, Tchad, Cameroun, Gabon, Sénégal, Mauritanie, Congo, R.C.A. Par ailleurs, elle alimente environ 130 clients indépendants, couvrant ainsi la totalité du réseau africain.

Le marché africain se répartit dès lors comme suit :

– films appartenant à SOPACIA

75 %

– films AFRAM distribués par SOPACIA

22 %

– autres distributeurs

2 %

L'origine des actionnaires de la SOPACIA illustre bien le caractère étranger à l'Afrique de cette société :

– IDI (institut de Développement Industriel de Paris)

37 %

– SOPIPA (Société Financière Internationale de Participations Paris)

24 %

– SOCIPARC (Société Cinématographique de Participations Paris)

24 %

– Divers

1%

Certains Etats africains réagissent en nationalisant leurs salles de cinéma. La première nationalisation intervient en Haute-Volta en 1970 avec la création de la Société Nationale Voltaïque de Cinématographie (SONAVOCI). En 1971, c'est au tour du Mali de nationaliser les salles de la COMACICO dans le cadre de l'Office Cinématographique du Mali (O.C.I.N.A.M.). D'autres nationalisations interviennent au Benin et au Sénégal.

Sous l'impulsion des cinéastes sénégalais, le Sénégal devient le premier pays d'Afrique noire francophone à se doter en 1972 de structures nationales avec son Bureau Administratif du Cinéma, sa société nationale cinématographique (S.N.C.) et sa société d'importation, de Distribution et d'Exploitation Cinématographiques (S.I.D.E.C.).

Au sixième FESPACO (Festival Panafricain du cinéma de Ouagadougou), en février 1978, l'OCAM décide sous l'égide de la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) la création d'un Consortium Interafricain de Distribution et de Production.

Chacun des marchés nationaux restant souvent très pauvre, il s'agit là d'un premier pas permettant de sortir d'une balkanisation du marché africain.

La FEPACI attire l'attention des gouvernements sur les [PAGE 144] problèmes du cinéma en Afrique noire et les mesures urgentes à prendre pour assainir le marché. Force est d'admettre, en effet, le manque d'intérêt, voire même la méfiance des pouvoirs publics africains vis-à-vis d'une activité qui peut avoir un impact sur les consciences.

Mais tout n'est pas résolu pour autant et les sociétés occidentales (SOPACIA, AFRAM FILMS INC) continuent à dominer le marché africain qu'elles inondent de films étrangers.

La programmation, en effet, est constituée en majorité de films américains (représentant entre 50 % et 60 % des programmes) ainsi que le films français, indiens et égyptiens.

Peu variée dans son origine, la programmation le reste dans les genres qu'elle propose, surtout dans les salles mixtes et les salles populaires qui constituent la plus grande partie du parc de l'exploitation.

Dans ces salles les programmateurs « abreuvent » les spectateurs africains de westerns, de films d'aventures et de films de karaté.

Les trusts occidentaux ont ainsi créé de toutes pièces des besoins cinématographiques chez ce public avide de voir et revoir les films que ces mêmes trusts sortent régulièrement de leur stock local de « navets internationaux ».

Conditionné à un cinéma totalement étranger à son contexte socioculturel, habitué à un processus d'identification qui fonctionne d'autant mieux que les « héros » sont plus lointains, le public africain va bouder le cinéma négro-africain que les sociétés multinationales de distribution ont déjà beaucoup de difficultés à faire admettre aux sociétés étrangères qui encombrent le marché.

Tel est le contexte auquel les cinéastes africains sont confrontés pour produire, réaliser et distribuer leurs films.

Etude parue
dans « Libération Afrique »
4, rue de Nanteuil, 75015 Paris