© Peuples Noirs Peuples Africains no. 13 (1980) 4-28



LES INTELLECTUELS FRANÇAIS ET L'AFRIQUE NOIRE

Odile TOBNER

I. – SUR LE TERRAIN

Lorsque Sénèque proclame : « Les esclaves sont aussi des hommes », il énonce une de ces évidences révolutionnaires dont la formulation devrait être la seule tâche dévolue aux intellectuels. Il y a, à toutes les époques, quelque chose de nouveau à dire, et qui est, tout simplement, ce qui est et qui n'est pas dit. C'est, la plupart du temps, énorme, c'est aussi ce qu'il ne « faut » pas dire, l'accord là-dessus est unanime et tacite. La tâche de l'intellectuel est donc extrêmement simple et extrêmement difficile. Il lui suffit d'ouvrir les yeux et de trouver le courage de parler. Il se trouve qu'on ne voit pas ce qu'on a l'habitude de voir. Pour que Sénèque « voie » l'esclave, il fallait que son regard ait une acuité particulière. Il le devait peut-être à sa qualité d'étranger, d'espagnol romanisé de fraîche date. Il est rare qu'il n'y ait pas, d'une façon ou d'une autre, quelque chose de « transplanté » dans l'intellectuel, qui lui assure, sur un milieu, une classe, une nation, un point de vue privilégié, d'où il peut, s'il veut, donner à ce milieu, cette classe, cette nation, une nouvelle conscience de soi. La société coloniale, faune composée d'espèces peu nombreuses, [PAGE 5] militaires, missionnaires, administrateurs, commerçants, unies par des intérêts solidaires et complémentaires, qui constituent le plus solide ciment de la bonne conscience, offre à l'intellectuel le terrain le plus propice, à la fois familier et étranger, pour une fructueuse observation, c'est-à-dire, conformément à ce qu'on attend de l'intellectuel, celle qu'il ne faut surtout pas faire. Mais l'Afrique est par ailleurs le plus mauvais terrain d'observation pour l'intellectuel du fait qu'il s'y trouve réduit au rôle plat et commun d'observateur des choses qu'il faut observer, qui sont là pour ça, qu'il est chargé spécialement et officiellement d'observer, en professionnel de l'écriture. L'intellectuel n'est plus alors qu'un touriste ou un ethnologue. Il a l'impression de faire œuvre d'intellectuel parce qu'il n'a qu'à ouvrir les yeux pour voir ce qu'il n'a pas l'habitude de voir, mais n'importe qui, dans ces conditions, en voit autant que lui. Le voyage est le plus inoffensif des dépaysements, celui qui remplit la tête d'idées et désoriente le sens critique, qui a besoin d'expérience pour forger sa lucidité.

GIDE OU LA MAUVAISE CONSCIENCE

Le premier témoignage, et à vrai dire probablement le seul jusqu'à présent, d'un intellectuel qui mérite pleinement ce nom sur l'Afrique, est celui de Gide. Il a ouvert les yeux et il a vu très exactement ce qu'il ne fallait pas voir et que personne, sauf lui, n'aurait eu l'idée de voir. Parti en Afrique, en effet, comme tout un chacun, pour voir des Noirs - et Dieu sait s'il y avait des choses à dire sur les Noirs, piège parfait pour intellectuel - il en est revenu avec une description des Blancs. Dans l'Afrique conquise du début du XXe siècle le Blanc est l'évidence invisible qui va tellement de soi qu'on ne devrait en parler que pour en dire des banalités, avant de l'escamoter comme un accessoire.

Lorsque Gide entreprend, en 1925-1926, le périple qui l'emmène à travers l'A.E.F., le Cameroun et le Tchad, il est, à cinquante-six ans, au sommet de sa notoriété. L'audace tranquille avec laquelle, de L'Immoraliste, en 1902, aux Caves du Vatican, en 1914, et à Corydon, en 1924, il a posé les questions morales, a répandu autour de son œuvre un parfum de scandale qui masque la rigueur des réponses qu'il propose. Toujours est-il que le ministère des Colonies, [PAGE 6] en lui proposant une mission d'observation, dans une perspective de pur prestige culturel semble-t-il, ne mesura pas exactement le risque qu'il prenait. Gide, voué au scandale par sa sincérité, resta fidèle à lui-même en publiant, en 1927, sous le titre de Voyage au Congo suivi bientôt de Retour du Tchad[1], son journal de voyage en Afrique. Le scandale qu'il soulève dès son retour met en cause le comportement en Oubangui, actuelle Centrafrique, de la C.F.S.O. (Compagnie Forestière Sanga-Oubangui), société anonyme qui exploite un immense territoire attribué en concession. La compagnie règne en fait sur ce territoire et les autorités civiles et militaires de l'Etat français sont à son service pour imposer ses diktats par la terreur[2].

Il importe de noter que Gide n'a été le témoin d'aucun des faits les plus horribles qu'il rapporte. Les coloniaux n'étaient pas assez stupides pour se livrer à leurs exactions sous les yeux d'un hôte réputé. Bien plus, Gide partait en Afrique porteur de recommandations des pontes parisiens de la Compagnie pour visiter leurs concessions africaines sous la houlette de leurs représentants patentés en Afrique. Tous faits qui seront rappelés avec rage par la direction de la dite Compagnie. Il est certain que Gide aurait pu jouir en toute bonne conscience d'un voyage enchanteur. Mais, au hasard des conversations entre Européens compagnons de route, il [PAGE 7] recueille d'étranges anecdotes sur ce qui se passe « à la colonie. Son principal informateur aura d'ailleurs, par la suite, les pires ennuis et sera contraint à quitter les lieux, confirmant ainsi qu'il n'était, n'est-ce pas, qu'un « aventurier ». Comme le disait un prudent chef de tribu répondant à l'enquête de Gide : « La vérité coûte cher en brousse. » Gide quant à lui, ne risquait, mais n'est-ce pas déjà énorme pour un esthète, que de voir perturber son aventure exotique. Ne vaut-il pas mieux se boucher les oreilles ? D'ailleurs, à voir l'urbanité des représentants de la compagnie forestière, tout cela ne doit-il pas être tenu pour affabulation ? Ce serait confondre Gide avec l'envoyé spécial d'un grand journal chic, que lui prêter ce raisonnement. Gide, quant à lui, découvre, en même temps, que le travail qui s'impose à lui est un travail de journaliste, d'intervention dans l'actualité, que ce n'est pas son travail, qu'il est cependant obligé de le faire. « Mais comment se faire écouter ? Jusqu'à présent, j'ai toujours parlé sans aucun souci qu'on m'entende. »

Mais, si Gide, avec un sens remarquable de la responsabilité, se soucie du retentissement qu'aura sa parole, il est surtout poussé par un goût tout à fait abstrait et gratuit de la vérité, beaucoup plus, on le verra, que par quelque amour des Noirs. « Circulais-je jusqu'à présent entre des panneaux de mensonges ? Je veux passer dans la coulisse, de l'autre côté du décor, connaître enfin ce qui se cache, cela fût-il affreux. C'est cet affreux que je soupçonne que je veux voir. » Il met en œuvre cette volonté avec méthode et passion, toutes affaires cessantes. Qui peut l'empêcher, lui, d'aller interroger les « indigènes », aidé d'un interprète ? Ce qu'il reconstitue alors est insoutenable. La collecte du caoutchouc par la compagnie forestière se fait suivant des méthodes d'une incroyable sauvagerie. Tous les hommes du territoire sont astreints à la récolte du caoutchouc et doivent chaque mois apporter une production déterminée, qui leur est payée un prix dérisoire. Toute une tribu ayant refusé de se livrer à ce travail forcé, la troupe a été envoyée et a fait plus de mille morts. L'administrateur de Boda, sinistrement célèbre, nommé, cela ne s'invente pas, Pacha, tient le compte de la répression en accordant une prime à celui qui apporte les oreilles et les parties génitales de ses victimes comme gage de ses exploits. Ce fameux administrateur, que Gide, qui recule devant les découvertes qu'il fait, présente [PAGE 8] comme un malade, a d'autres exploits à son actif. Contre des villageois qui refusent d'obtempérer à l'ordre de transporter leur gîte près de la route, loin de leurs champs, il prend des sanctions. Douze hommes sont ligotés et fusillés, on massacre les femmes à la machette. Cinq enfants en bas âge sont enfermés dans une case où le feu est mis. Officiellement trente-deux morts seront dénombrés dans cette intervention. S'il existe différentes qualifications dans le crime, il faut remarquer que cet Oradour, ce My Lay[3] se déroule en temps de paix, sans que puisse être invoquée la rage vengeresse de troupes harcelées par la guérilla. Bien d'autres récits de brimades mortelles empêchent, à la lettre, Gide de dormir.

Il ne remet pas en cause pour autant la présence française en ces régions. Il croit fermement à sa « mission civilisatrice ». Il est tout heureux de dénombrer les bienfaits et les guérisons qui sont l'œuvre d'un médecin qui opère les habitants atteints d'éléphantiasis dans d'écœurantes conditions de pauvreté. Pauvreté dont il rend cependant responsable l'administration, qui n'engage que très parcimonieusement des dépenses sanitaires. Cependant, sans qu'à aucun moment un exposé théorique soit fait, on voit, au fil des remarques très précises relevées par Gide, se dessiner le portrait d'un système. Le mal absolu lui semble représenté par les grandes compagnies concessionnaires. L'oppression est le fait du capital dans sa forme insaisissable, irresponsable et anonyme, représenté par des exécutants, ternes fonctionnaires de l'horrible, qui appliquent les mots d'ordre de la rentabilité. Toute la force de travail disponible est minutieusement exploitée. Les femmes travaillent toute l'année à l'entretien des routes. Gide, cette fois, les voit sur son passage et les décrit : « Je m'achemine vers le poste de la compagnie forestière. Une escouade de très jeunes filles est occupée à sarcler le terrain devant le poste. » Ailleurs il observe un groupe de femmes en train de travailler à la réfection de la route. Elles vont chercher, à mains nues, l'argile dans un trou, en remplissent des vanneries, et viennent combler les ravinements incessamment creusés par les pluies dans la chaussée. Des éboulements dans le terrain [PAGE 9] sablonneux où elles vont puiser ont causé plusieurs ensevelissements de femmes et d'enfants, puisque beaucoup travaillent avec un enfant en bas âge sur le dos, inséparable de la mère qui le nourrit. Elles travaillent en effet loin de leur village et, la nuit, des huttes de branchages les abritent, fort mal, de la pluie. Gide relève tous ces détails et ajoute : « A noter que cette route, qui fut particulièrement difficile à établir et meurtrière, ne sert exclusivement qu'à l'auto qui mène, une fois par mois, au marché de Bambio, Monsieur M., représentant de la forestière, accompagné de l'administrateur Pacha. » Gide sera attaqué vigoureusement sur cette phrase. On discutera de l'usage exact de cette fameuse route. Gide réaffirmera, maintiendra, et ne sera pas démenti, l'exactitude de ce qu'il a écrit.

Par ailleurs le système réussit à merveille à «mouiller» tous les Blancs présents sur le terrain. « A M'Baiki, visite à Monsieur B., représentant de la compagnie forestière. Nous trouvons assis sous sa véranda devant des apéritifs deux pères missionnaires. » Il faut beaucoup de mauvais esprit pour voir dans ces innocentes mondanités le mécanisme de la compromission. Gide franchit le pas : « Que ces agents des grandes compagnies savent donc se faire aimables ! L'administrateur, qui ne se défend pas de leur excès de gentillesse, comment ensuite prendrait-il parti contre eux ? Comment ensuite ne point prêter la main, ou tout au moins fermer les yeux, devant les petites incorrections qu'ils commettent ? Puis devant les grosses exactions? » Cette gentillesse, qu'il a lui-même éprouvée, ne persuadera pas Gide de se taire. Il n'est pas dupe des bonnes manières qu'il se fait un devoir pourtant d'honorer formellement. Ce ne sera pas là un des moindres paradoxes de son attitude, en tout cas celui qui déchaînera contre lui les rancœurs.

Il est certain que les mœurs coloniales ont paru à Gide le phénomène le plus digne d'observation à qui voulait faire progresser la science anthropologique. Jouissant de toute la confiance de l'espèce à observer, il a pu en décrire les différentes variétés. A côté du représentant du capital, avec sa face sinistre et sa face mondaine, le petit Blanc illustre lui aussi les qualités qui font la supériorité d'une civilisation. Des spécimens de cette variété que Gide a rencontrés, il dit : « Ils sont venus dans le pays avec l'idée bien arrêtée d'y faire fortune, et rapidement. Au grand dam de l'indigène et du pays ils y arrivent. » Le mécanisme de [PAGE 10] cet enrichissement est simple et vieux comme le monde. Il faut acheter le plus bas prix et vendre le plus haut. « En échange de caoutchouc évalué à un prix dérisoire, les indigènes reçoivent des marchandises évaluées à un prix exorbitant »[4] disait déjà un observateur au début du siècle, posant ainsi le fait culturel majeur que vont vivre les sociétés d'Afrique noire au XXe siècle. Seul rite vivant, puisque c'est celui de la religion du maître, ce rite de l'échange inégal[5] avec ses officiants et ses victimes, est minutieusement décrit par Gide. Son cérémonial exprime symboliquement le secret divin de la puissance : « Trompe qui peut » Gide décrit ainsi le manège de cinq commerçants français qui arrivent à Sibut pour l'achat de caoutchouc. L'un d'eux achète toute la récolte pour 7,50 francs le kilo. Gide note qu'en fait de kilos, ils sont évalués en paniers, pas besoin de préciser au détriment de qui. Ce caoutchouc sera revendu, à quelques dizaines de kilomètres de là, dans un port, entre trente et quarante francs le vrai kilo. Mais revenons à nos cinq compères : « Sitôt l'affaire conclue avec l'indigène, ils se réunissent à huis clos dans une petite salle où commencent d'autres enchères, dont ne profitera pas l'indigène, dont ils sauront se partager entre eux le bénéfice. Et l'administrateur reste impuissant devant des enchères clandestines qui, pour paraître illicites, ne tombent pourtant pas sous le coup de la loi, paraît-il. » Le métal dont est faite la loi devient en Afrique, question de climat sans doute, d'une étonnante plasticité. Gide a le mérite de montrer là, à son origine même, un phénomène culturel typiquement africain qui a connu, par la suite, un incroyable développement.

Mais ce n'est là qu'une cérémonie d'un pittoresque villageois, les vrais mystères se déroulent dans les arcanes, plus difficiles à percer, que sont les circuits mis en place par les grandes compagnies. Les factoreries en constituent les temples. Là, la divinité absorbe le caoutchouc pour quatre francs [PAGE 11] le kilo et dispense au plus haut prix tout un assortiment de pacotille dont l'extrême importance dans le fonctionnement du rite est assez marquée par le fait, que relève Gide soigneusement, qu'elle est totalement inutile, trait qui n'étonnera pas un ethnologue expérimenté. On peut relever la convergence des observations à ce sujet. Louis-Ferdinand Céline, qui a tenu, comme représentant d'une grande compagnie, et qui sait par conséquent de quoi il parle, une factorerie au Cameroun, dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, fait dans Voyage au bout de la nuit (1932) le récit d'une scène qui semble être une synthèse, dans une optique cependant toute sadienne, des observations que Gide avait collectionnées, lui, dans une optique toute puritaine. Il faut reconnaître que le légalisme offusqué de Gide est un peu dépassé par une réalité dont, au contraire, le diabolisme de Céline donne la pleine mesure. Tout comme chez Balzac, l'art, chez Céline, transcende l'idéologie. La civilisation, représentée par ce qu'il appelle la « compagnie pordurière », trouve en lui un chantre à sa mesure.

« ... Une famille de récolteurs, timide, vient se figer sur le seuil de la porte. Le père en avant des autres, ridé, ceinturé d'un petit pagne orange, son long coupe-coupe à bout de bras.

Il n'osait pas entrer le sauvage. Un des commis indigènes l'invitait pourtant : « Viens, bougnoule ! Viens voir ici !

Nous y a pas bouffer sauvage ! » Ce langage finit par les décider. Ils pénétrèrent dans la cagna cuisante. (...)

Ce Noir n'avait encore, semblait-il, jamais vu de boutique, ni de Blanc peut-être. Une de ses femmes le suivait, yeux baissés, portant sur le sommet de la tête, en équilibre, le gros panier rempli de caoutchouc brut.

D'autorité les commis recruteurs s'en saisirent de son panier pour peser le contenu sur la balance. Le sauvage ne comprenait pas plus le truc de la balance que le reste. La femme n'osait toujours pas relever la tête. Les autres nègres de la famille les attendaient dehors, avec les yeux bien écarquillés. On les fit entrer aussi, enfants compris et tous, pour qu'ils ne perdent rien du spectacle. (...)

Pesée faite, notre (hôte) entraîna le père, éberlué, derrière son comptoir et avec un crayon lui fit son compte et puis lui enferma dans le creux de la main quelques pièces en [PAGE 12] argent. Et puis : « Va-t'en ! qu'il lui a dit comme ça. C'est ton compte. »

Tous les petits amis blancs s'en tordaient de rigolade, tellement il avait bien mené son business. Le nègre restait planté penaud devant le comptoir avec son petit caleçon orange autour du sexe.

- Toi, y a pas savoir argent? Sauvage alors? - que l'interpelle pour le réveiller l'un de nos commis, débrouillard, habitué et bien dressé sans doute à ces transactions péremptoires. - Toi y en a pas parler « francé » dis ? Toi y en a gorille encore hein ?... Toi y en a parler quoi hein ? Kouskous ? Mabillia ? Toi y en a couillon ! Bushman ! Plein couillon !

Mais il restait devant nous le sauvage, la main refermée sur les pièces. Il se serait bien sauvé, s'il avait osé, mais il n'osait pas.

- Toi y en a acheté alors quoi avec ton pognon ? intervint (notre hôte) opportunément. J'en ai pas vu un aussi con que lui tout de même depuis bien longtemps, voulut-il bien remarquer. Il doit venir de loin celui-là ! Qu'est-ce que tu veux ? Donne-moi le ton pognon !

Il lui reprit l'argent d'autorité et à la place des pièces lui chiffonna dans le creux de la main un grand mouchoir très vert qu'il avait été cueillir finement dans une cachette du comptoir.

Le père nègre hésitait à s'en aller avec ce mouchoir. (Notre hôte) fit alors mieux encore. Il connaissait décidément tous les trucs du commerce conquérant. Agitant devant les yeux d'un des tous petits Noirs enfants, le grand morceau vert d'étamine : « Tu le trouves pas beau, toi, dis morpion? T'en as souvent vu comme ça, dis ma mignonne, dis ma petite charogne, dis mon petit boudin, des mouchoirs ? » Et il le lui noua autour du cou, d'autorité, question de l'habiller.

La famille sauvage contemplait à présent le petit orné de cette grande chose en cotonnade verte... Il n'y avait plus rien à faire puisque le mouchoir venait d'entrer dans la famille. Il n'y avait plus qu'à l'accepter, le prendre et s'en aller.

Tous se mirent donc à reculer lentement, franchirent la porte, et au moment où le père se retournait, en dernier, pour dire quelque chose, le commis le plus dessalé qui avait [PAGE 13] des chaussures le stimula, le père, par un grand coup de botte en plein dans les fesses.

Toute la petite tribu, regroupée, silencieuse, de l'autre côté de l'avenue Faidherbe, sous le magnolier, nous regarda finir notre apéritif. On aurait dit qu'ils essayaient de comprendre ce qui venait de leur arriver. »

Le regard cynique de Céline et celui, qui refuse d'être dupe, de Gide se rencontrent dans l'observation de l'Afrique réelle qui, au XXe siècle, pour quelqu'un qui ouvre les yeux, est celle qui vit, sans qu'aucun fait anthropologique, ethnologique ou social puisse ne pas être radicalement affecté, la violence de la spoliation blanche. Et pourtant, mise à part la chronique plus vécue que romanesque de Céline, Gide sera le seul à dire cette réalité comme essentielle. Pour tous les autres, elle sera ou mise entre parenthèses ou réduite à l'anecdote. Cet aveuglement spontané des yeux du voyageur blanc dénote la rigidité de la carapace de la bonne conscience. Gide avoue : « On peut circuler pendant des mois dans ce pays sans rien comprendre de ce qui s'y passe, sans rien en voir que du décor. »

Pour « comprendre ce qui se passe » Gide procède avec une méthode et une rigueur dont beaucoup de démarches « scientifiques » feraient bien de s'inspirer. Il cherche des chiffres et il les analyse, fait parler les statistiques et souligne ce qu'avouent honteusement certains taux de mortalité ou certains chiffres d'impôt. Tout cela, sans en avoir l'air, au détour de notations apparemment improvisées de son journal, témoigne de l'ampleur du travail intellectuel qu'il accomplit et de la maîtrise qui est la sienne dans ce genre de tâche. La richesse des données, la clarté des synthèses qui soutiennent constamment l'intérêt de la lecture, et qui ont l'air d'aller de soi, sont trop absentes des autres récits de voyage, qui fatiguent au contraire par leur pauvreté répétitive, pour n'être qu'enregistrement superficiel et rapide; elles montrent à quel point l'écriture de Gide est travaillée par l'intelligence. A son retour, pour compléter ses connaissances, il ira même compulser les comptes rendus des conseils d'administration des grandes compagnies concessionnaires. Il pêche avec discernement dans ce flot de verbiage mortellement insipide quelques perles révélatrices. Il les commente avec cette vertu suprême de son style dans le maniement de la litote : « Aller jusqu'à dire [PAGE 14] - Que deviendraient sans nous les indigènes? me paraît faire preuve d'un certain manque d'imagination. »

Si Gide est allé, magistralement, bien au-delà du décor, il s'est appliqué à saisir aussi ce fameux décor : flore, faune, indigènes, qui est le tout de l'Afrique pour le commun des voyageurs, intellectuels ou non. Un sens critique toujours en éveil et une sensibilité d'esthète, que nous ne qualifierons pas de raffinée, puisque c'est ce qu'on dit de toutes les sensibilités d'esthètes et cela ne voudrait donc rien dire du tout, mais bien plutôt d'exigeante et difficile sensibilité d'ascète épicurien, lui permettent de se tirer avec un certain bonheur des écueils du genre. Certains lui reprochent ses descriptions de paysage, bien qu'il n'en abuse pas. Il évite les clichés touristiques, les lieux communs, qui ne l'étaient pourtant pas encore tant que cela à son époque. Pour le tableau de la femme broyant le mil, il dit : voir dans les manuels. Il décrit ironiquement son compagnon Marc Allégret s'évertuant à mettre en scène et à filmer des « vues documentaires » [6]. En quelques mots il démystifie de précieux trésors des archives ethnologiques. Décrivant une danse des enfants chez les Dakpas, il ajoute : « C'est elle que l'on peut voir, admirablement présentée, dans le film de la mission Citroën. Mais les membres de la mission ont-ils pu croire vraiment[7] qu'ils assistaient à une mystérieuse et très rare cérémonie ? « danse de la circoncision » nous dit l'écran. Il est possible que cette danse ait eu primitivement quelque signification rituelle, mais aujourd'hui les Dakpas, soumis depuis 1909, ne se refusent pas à en donner le spectacle aux étrangers de passage qui s'en montrent curieux. Sur demande ils descendent de leur village, ou plus exactement des grottes où ils gîtent, dans les rochers au nord de Bambari, et s'exhibent contre rétribution. » On le voit, en 1925, un œil un peu perspicace refusait de voir de l'authenticité ethnologique là où il n'y avait que la réduction d'une culture à servir d'histrion aux yeux des badauds, fonction dans laquelle l'Afrique a fait et fait encore la carrière que l'on sait. [PAGE 15]

C'est au contact d'un art exotique qu'on éprouve la prétention et la fragilité des catégories abstraites comme la notion de beau. Baudelaire a essayé d'exprimer ce que serait une sensibilité parfaitement apte à identifier, sous les formes les plus bizarres, l'émotion esthétique dans sa pureté. Il appelle cela le cosmopolitisme et dit: « peu d'hommes ont - au complet - cette grâce divine du cosmopolitisme; mais tous peuvent l'acquérir à des degrés divers. » Cette grâce qui consiste à savoir « l'admirable, l'immortel, l'inévitable rapport entre la forme et la fonction. » Cette reconnaissance du beau, cette émotion esthétique pure est donnée à Gide dans le domaine de la musique, domaine où ses connaissances et sa sensibilité étaient particulièrement étendues. Il décrit : « Un chant extrêmement bizarre (chœur des enfants surtout) avec l'emploi d'un quart de ton, d'autant plus sensible que les voix sont très justes, qui fait un effet déchirant presque intolérable. » Et ailleurs, « Cette polyphonie par élargissement et écrasement du son est si désorientante pour nos oreilles septentrionales que je doute qu'on la puisse noter avec nos moyens graphiques... L'attaque du refrain se fait à la fois sur plusieurs notes. Certaines voix montent, d'autres descendent. On dirait des lianes autour de la tige principale, épousant sa courbe mais sans la suivre exactement. » Mais, là aussi, il est attentif à une réalité culturelle vivante, et pas seulement aux curiosités folkloriques : « Curieux, chez ce peuple si sensible au rythme, la déformation caricaturale de nos sonneries militaires. Les notes y sont, mais le rythme en est changé au point de les rendre méconnaissables. »

Par contre, là où il n'est pas un connaisseur et où il subit, sans les analyser, des tabous culturels, il ne se retient pas d'exprimer son allergie. On reconnaît la censure que l'Occident impose à l'activité physique chez les femmes, sensible dès les premières injonctions éducatives imposées aux petites filles, dans l'horreur que lui inspirent les vieilles femmes qui dansent : « Les plus vieilles sont les plus forcenées et ce gigotement saugrenu des dames mûres est assez pénible. » Ailleurs à nouveau : « Extrêmement pénible le trémoussement éhonté des matrones sur le retour. »

On touche là aux limites de la réceptivité de chaque esprit à l'objectivité limites très différentes suivant les esprits bien sûr, mais l'esprit le plus critique a ses intermittences. Autant Gide est lucide sur les excès de la colonisation, [PAGE 16] qu'il prend cependant pour des indications d'un comportement pathologique et réversible de la part des Blancs, autant il n'est pas dupe de l'alibi folklorique d'un décor qui masque la réalité, autant il profère, à certains moments, des énormités racistes qui montrent la foi qu'il a en l'absolue supériorité de sa propre culture. Le Voyage au Congo témoigne, en dernier ressort, de l'irréductible contradiction qui arrête l'esprit devant la remise en cause de ses plus intimes et plus irrationnelles convictions. La fermeté admirable du jugement tout à coup vacille, hésite sur certains points. Tantôt la modestie de l'intellectuel sceptique l'emporte et il conclut : « Il est à peu près impossible à celui qui ne parle point la langue et ne fait guère que passer de pénétrer bien avant dans la psychologie d'un peuple. » Tantôt, irrité par les difficultés pour se faire entendre par interprète interposé, il formule des jugements aussi péremptoires que sommaires sur les langues africaines, dont il ignore le B.A. BA : « En général le « pourquoi » n'est pas compris des indigènes; et même je doute si quelque mot équivalent existe dans la plupart de leurs idiomes. (On leur demande « pourquoi » et ils racontent «comment ».) Il semble que les cerveaux de ces gens soient incapables d'établir un rapport de cause à effet. » Il note à ce propos sa satisfaction de voir la confirmation de cette observation dans les écrits de Lévy-Bruhl, qu'il découvre postérieurement. Certes, mais il aurait mieux fait de faire l'observation, beaucoup plus fondamentale, que cette difficulté de l'établissement du rapport de cause à effet, qui marque le fonctionnement élémentaire de la raison, est le fait de tous les hommes sans exception. Ce qui masque cette rareté du raisonnement à l'intérieur de la culture à laquelle Gide appartient, c'est que les échanges verbaux sont fondés, pour la plus grande partie, sur des raisonnements tout faits. Pour ma part je viens de faire l'expérience concrète suivante. Demandant à des adolescents de seize ans, considérés comme particulièrement intelligents parmi leurs pairs parce qu'ils ont franchi déjà victorieusement un certain nombre d'étapes sélectives, d'exposer par écrit, exercice d'entraînement à l'épreuve terminale de leur scolarité, qui jugera de leur capacité à exprimer leurs idées en français, quel livre ils avaient aimé et pourquoi ils l'avaient aimé, une majorité d'entre eux raconta purement et simplement le livre choisi. C'est-à-dire qu'ils avaient refusé, alors qu'ils en possédaient [PAGE 17] théoriquement les moyens, l'effort d'intellectualisation nécessaire à l'analyse des causes. Or Gide exige du paysan africain illettré qu'il interroge, et de l'interprète très médiocrement instruit qu'il utilise, cet effort victorieux d'expression et de maîtrise de leur pensée, pour les créditer de la possession d'une intelligence conceptuelle... Tantôt il se montre capable de dépasser un préjugé : « L'on peint le peuple noir comme indolent, paresseux, sans besoins, sans désirs. Mais je crois volontiers que l'état d'asservissement et la profonde misère dans laquelle ces gens restent plongés expliquent trop souvent leur apathie. » Tantôt il préjuge au contraire présomptueusement : « De quelle sottise, le plus souvent le Blanc fait preuve, quand il s'indigne de la stupidité des Noirs ! Je ne les crois pourtant capables que d'un très petit développement, le cerveau gourd et stagnant le plus souvent dans une nuit épaisse. »

Alors pourquoi cette critique virulente de l'exploitation coloniale ? Par un moralisme dont il a par ailleurs abondamment dénoncé l'hypocrisie ? « Soyez bons avec les inférieurs ! » Au cœur de ces contradictions idéologiques, il reste l'ultime et véridique critère des actes. Contrairement à ceux de la plupart des hommes les actes de Gide sont au niveau de ses meilleures et non de ses plus médiocres paroles. Il est très gêné de se faire porter en tipoye et préfère accomplir de longs trajets à pied, en l'absence de voie carrossable ou navigable. Il se préoccupe de la nourriture et des soins médicaux donnés à ses porteurs de bagages. Il donne chaque soir ponctuellement, pendant des mois, une leçon de français à son boy[8], sachant quel service il lui rend ainsi. Il échange, sur sa route, saluts et gestes amicaux avec les habitants ébahis de cette courtoisie, car ils sont habitués au mépris hautain du voyageur blanc. Dans ses actes, Gide proclame une fraternité humaine qui, au-delà des préjugés, montre sa plus intime foi. Il exigera, par ses interventions [PAGE 18] pressantes, que la France, elle aussi, se conforme à son discours civilisateur, dont il ne met pas en doute la légitimité. Que n'allait-il pas demander là ? Il faut vraiment ne rien entendre à la politique pour être naïf à ce point. Son livre, publié par la N.R.F., provoqua un scandale dont les remous furent vite étouffés. Un monsieur X., « fort bien placé », lui écrit : « Je tiens de source certaine que l'on s'apprête à « torpiller » votre livre. » Torpillage soigné puisqu'en 1980 l'édition de 1929 de Voyage au Congo, cas probablement unique dans l'œuvre de Gide, n'a connu aucune réédition. Elle figure au catalogue de Gallimard, mais elle n'est « pas disponible » si on la demande[9]. Tout le monde a plus ou moins entendu parler de cette œuvre fantôme, très rares sont ceux qui l'on lue, et pour cause. L'ordre a pardonné à Gide bien des indécences, pas celle d'essayer de comprendre ce qui se passait en Afrique. Pour Gide lui-même ce ne fut peut-être qu'un mauvais rêve, la plus terrible question qui se posa à sa conscience. L'Afrique noire lui fut définitivement amère sous les traits qui sont encore les siens aujourd'hui et qu'il fut le premier et le seul, parmi les Blancs, à accepter de regarder en face, ceux de l'asservissement et de la misère. « Quel démon m'a poussé en Afrique ? Qu'allais-je donc chercher dans ce pays ? J'étais tranquille. A présent, je sais... »

LEIRIS OU L'ETHNOLOGIE, ENTRE L'IMPOSTURE ET L'ILLUSION

D'autres voyageurs auront l'estomac, sinon le cœur, mieux accroché. Quelques années après Gide, et après l'avoir lu, sans grand profit semble-t-il, Michel Leiris publie en 1934 l'Afrique fantôme[10] journal de l'expédition qu'il a effectuée [PAGE 19] en 1932-1933, comme secrétaire de Marcel Griaule, de Dakar à Djibouti. Titre remarquable que cette Afrique fantôme, enfin une vraie Afrique pour africaniste, l'Afrique des fantasmes... On n'attend pas Senghor pour la découvrir, ces Blancs ne respectent rien. Agé d'une trentaine d'années, le jeune écervelé qu'est alors Michel Leiris, lassé des acrobaties du surréalisme, du moins c'est l'impression qu'il semble avoir éprouvée, compte sur ce périple exotique pour apaiser les différents tourments qui l'agitent. Dans le gros livre qu'il rapporte, il en dit heureusement et malheureusement trop. Heureusement, car il viole, lui aussi, mais d'une tout autre façon et dans un tout autre esprit que Gide, un certain nombre de tabous de l'information sur l'Afrique. Malheureusement parce que son journal est vraiment très journal. Parti pris surréaliste de tout dire ? Mais on ne dit jamais tout de toutes façons. Il y a des gens qui disent tout en deux mots, il y en a qui ne disent rien en mille pages. Ce n'est pas le cas de Leiris bien sûr, mais, comment dire, Leiris est un écrivain, mais il n'a pas d'écriture. Cela fait une grosse différence déjà avec Gide. Gide s'intéresse à lui-même comme matériau utilisable dans l'écriture, Leiris s'intéresse à lui-même comme matière intéressante en elle-même. Erreur de jeunesse ? Ne connaissant pas le reste, considérable, de l'œuvre autobiographique de Leiris, je ne puis en juger. Mais enfin on se passerait aisément de ses pollutions nocturnes et autres pêts foireux. Ce n'est pas une question de pudibonderie, l'obscène est un genre littéraire difficile, terrible révélateur de l'être. On a envie de dire de lui ce qu'Artaud dit de Lewis Carroll: qu'« il y a chez lui de la fécalité, mais c'est une fécalité de snob anglais qui frise en lui l'obscène, comme des frisettes au fer chaud ».

Mais enfin il est pleinement, et dans toute l'acceptation du terme, un intellectuel, et il est passionnant de voir fonctionner son intelligence au contact de l'Afrique et se former la conscience intime qu'il en a, bonne ou mauvaise. Il est doué d'une merveilleuse intelligence critique et d'une absence totale de conscience morale. Il ne nourrit apparemment aucune illusion sur les différentes « missions » de l'Occident en Afrique. « J'ai l'horreur de ce monde d'esthètes, de moralistes et de sous-offs. Ni l'aventure coloniale, ni le dévouement à la « science » ne me réconcilieront avec l'une ou l'autre de ces catégories. » Il dénonce les liens de l'ethnologie et de la colonisation : « De moins en moins je supporte [PAGE 20] l'idée de colonisation. Faire rentrer l'impôt, telle est la grande préoccupation. Pacification, assistance médicale n'ont qu'un but : amadouer les gens pour qu'ils se laissent faire et payent l'impôt. Tournées parfois sanglantes, dans quel but? faire rentrer l'impôt. Etude ethnographique, dans quel but être à même de mener une politique plus habile qui sera mieux à même de faire rentrer l'impôt. » Il fera cependant une carrière des honneurs dans l'ethnologie académique, lui qui l'inaugure avec cette remarque profonde : « Pourquoi l'enquête ethnographique m'a-t-elle fait penser souvent à un interrogatoire de police ? On ne s'approche pas tellement des hommes en s'approchant de leurs coutumes. Ils restent, après comme avant l'enquête, obstinément fermés. »

Il faut dire que le contact ethnologique avec l'Afrique est d'une nature telle qu'on resterait, à bien moins, fermé à la communication humaine. La partie inestimable, du point de vue documentaire, du livre de Leiris est bien le récit de l'ethnologisation des Dogons par Griaule et son équipe. Le récit qu'en fait Leiris est d'une franchise qui le brouilla avec Griaule, dont il exposait un peu trop crûment l'amour de l'art. En voici quelques éloquents extraits :

« Griaule prend deux flûtes et les glisse dans ses bottes. »

« Griaule décrète et fait dire au chef de village que, puisqu'on se moque décidément de nous, il faut, en représailles, nous livrer le Kono en échange de dix francs, sous peine que la police, soi-disant cachée dans le camion, prenne le chef et les notables du village pour les conduire à San, où ils s'expliqueront devant l'administration. Affreux chantage ! » Le Kono est un fétiche sacré, centre de la vie religieuse du village. Leiris décrit l'affolement, la terreur, la panique provoquée par son enlèvement... Qu'à cela ne tienne : « Avant de quitter Dyabougou, visite du village et enlèvement d'un deuxième Kono que Griaule a repéré en s'introduisant subrepticement dans la case réservée. Mon cœur bat très fort, car, depuis le scandale d'hier, je perçois avec plus d'acuité l'énormité de ce que nous commettons. » ... « Au village suivant, je repère une case de Kono à porte en ruines, je la montre à Griaule et le coup est décidé. Comme la fois précédente, Mamadou Vad annonce brusquement au chef de village, que nous avons amené devant la case en question, que le commandant de la mission nous a donné ordre de saisir le Kono et que nous sommes prêts à verser une indemnité de vingt francs. » [PAGE 21]

Enfin, couronnant le tout : « Griaule et moi regrettons que dans cette région il n'y ait plus de Kono. Mais pas pour les mêmes raisons; ce qui me pousse quant à moi, c'est l'idée de la profanation. »

On a bien lu. Leiris savoure toutes les sensations fortes d'un sport d'un surréalisme fou: le vol d'objets sacrés. Heureusement que l'Afrique est là pour cela. Imagine-t-on qu'il ait été obligé de régler son contentieux avec le sacré en volant les hosties et la croix d'autel d'une paroisse parisienne ? Cela risquait de le conduire ailleurs qu'au Collège de France. En Afrique on escroque en toute impunité des populations intimidées par l'appareil colonial, on achève de désemparer les plus pauvres entre les pauvres en saccageant de misérables lieux de culte. Malraux, à la même époque, s'illustrait en découpant des fragments de bas-reliefs à Angkor; c'était, décidément, la seule activité vraiment chic de l'époque pour les amateurs d'art. L'objet d'art n'appartient-il pas, par définition, à celui qui, par sa culture éclectique, est le plus à même d'en sentir toute la valeur, à la fois scientifique et marchande ? Parfois, cependant, ces spoliations sont à tel point ressenties par la population qu'elle va se plaindre auprès de l'autorité. « L'administrateur nous avise qu'un télégramme du gouverneur nous prie de lui remettre un masque « réquisitionné » à San que le propriétaire réclame. » Devant ces fâcheuses réactions, qui privent les amateurs éclairés de leurs conquêtes, Leiris a l'extraordinaire raisonnement suivant : « Aux officiels, toutefois, qui estimeraient que nous en prenons trop à notre aise dans nos transactions avec les nègres, il serait aisé de répondre que tant que l'Afrique sera soumise à un régime aussi inique que celui de l'impôt, des prestations et du service militaire sans contrepartie, ce ne sera pas à eux de faire la petite bouche à propos d'objets enlevés, ou achetés à un trop juste prix. » Si je comprends bien, pour Leiris, le surmmum de la justification morale c'est, pris la main dans le sac, de débiner le petit copain qui a fait pire ? Etrange jurisprudence qui rappelle fâcheusement certain jésuitisme de fort mauvaise réputation.

Ce développement jésuitique de la pensée de Leiris montre chez lui le faux cynique et l'amène parfois à de pénibles contorsions de raisonnement pour arriver à justifier l'injustifiable. Témoin ce développement parfaitement sophistique qui fleurit au milieu d'un exposé sur l'ethnologie et [PAGE 22] le colonialisme[11], qui date celui-là de 1950 : « En dehors de leur travail d'enquêteurs les ethnographes acquièrent, par ailleurs, des objets destinés à être étudiés et conservés dans des musées. Dans le cas au moins des objets religieux ou des objets d'art transportés dans un musée métropolitain, quelle que soit la façon dont on indemnise ceux qui en étaient les détenteurs, c'est une part du patrimoine culturel de tout un groupe social qui se trouve enlevée à ses véritables ayants droit et il est clair que cette partie du travail qui consiste à rassembler des collections - s'il est permis d'y voir autre chose qu'une pure et simple spoliation (vu l'intérêt scientifique qu'elle présente et du fait que, dans les musées, les objets ont chance de se mieux conserver qu'en demeurant sur place) - se range du moins parmi les agissements de l'ethnographe qui lui créent des devoirs propres vis-à-vis de la société étudiée : l'acquisition d'un objet qui n'est pas destiné à la vente est, en effet, une entorse aux usages et présente donc une intervention telle que celui qui s'en est rendu responsable ne peut, lui non plus, se considérer comme tout à fait étranger à la société dont les habitudes ont été bousculées. »

Chef-d'œuvre de jésuitisme que ce discours, d'abord par le style amphigourique de l'ensemble, par les euphémismes : « acquièrent », « acquisitions » pour « fauchent », « volent » et surtout la très célèbre direction d'intention : Une spoliation à but « scientifique » est-elle encore une spoliation ? Peut-on voler ce qui, chez son légitime propriétaire, risque de se détériorer ? On bouscule les gens, certes, mais si on leur affirme qu'on les aime !

On doit en tout cas à ce futur grand ami de l'Afrique une description des coulisses de l'ethnographie qui fournit tous les éléments du réquisitoire le plus complet contre elle. Que dire des cérémonies « rituelles » répétées devant la caméra à grand renfort de population rameutée pour la circonstance en toute authenticité ? Que dire des « enquêtes » ? C'est dans cette dernière technique que l'Africain marque le mieux, et de la façon la plus éloquente, que l'ethnologie, derrière le masque d'une cordialité intéressée et paternaliste, lui apparaît comme un terrain de lutte. Egarement par des guides, réponses à contre-sens, intoxication de l'enquêteur par les histoires les plus fantaisistes, [PAGE 23] tout cela sera mis, par le Blanc qui ne doute pas de la vénération qu'il inspire, sur le compte de la naïveté ou de la stupidité des indigènes, alors que cela témoigne de l'extraordinaire résistance passive qu'ils montrent. Comme l'enquêteur ne connaît rien de la langue et veut tout savoir sans se donner la peine d'une fraternisation complète et prolongée, dans le partage total d'un mode de vie, on frémit à l'idée de la masse de renseignements hétéroclites pieusement consignés par la science blanche et qui, d'ici peu, soumis à une critique un peu serrée, auront la saveur des informations que Pline recueille, dans la culture romaine, sur les habitants de l'Inde.

Les contacts nécessaires avec les informateurs permettent à Leiris d'éclairer ses rapports avec l'indigène. Si son interlocuteur ne montre pas toute la bonne volonté désirable, il s'énerve et crie. Il avoue : « A voir combien je suis moi-même impatient avec les Noirs qui m'agacent, je mesure à quel degré de bestialité doivent pouvoir atteindre, dans les rapports avec l'indigène, ceux qui sont épuisés par le climat et que ne retient aucune idéologie...[12] Et qu'est-ce que cela doit être chez les fervents du Berger ou du whisky ? » On le voit, cette compréhension n'est pas encore de l'absolution, mais c'est tout juste. Leiris trouve absolument normal, quand le camion rencontre un pont effondré, que toute la population environnante soit requise pour le réparer. Il lui est même arrivé, à cette occasion, de frapper un Noir qui, malgré sa force physique, se comportait avec une extrême mollesse dans l'accomplissement de ce genre de tâche. Leiris sait-il ce que signifie l'expression « travail forcé » ? L'ethnologue n'est finalement qu'un colonial comme un autre, un peu plus hypocrite. Dans son texte de 1950, Leiris essaye de dédouaner « la nature exacte de cette tâche et les modalités de son accomplissement (modalités qu'on peut prévoir délicates, vu l'état de dépendance dans lequel l'ethnographe se trouve vis-à-vis des pouvoirs officiels) ». On ne saurait mieux définir la soumission d'une science, en même temps qu'on la déplore comme une bien triste nécessité. Quand on vous disait que Leiris était jésuite. En voulez-vous un autre indice ? « L'ethnographe opère son sabordage en voulant [PAGE 24] parler trop franc. » On ne saurait mieux dire qu'il faut choisir entre l'ethnographie et la vérité. Choix qui n'a rien de douloureux, d'ailleurs, il suffit de se laisser porter par l'amour de la science. Imagine-t-on le plaisir qu'aurait fait Gide à ceux qui l'ont envoyé en mission en Afrique s'il était revenu avec un précieux opuscule sur les cérémonies des Massa ? Celui-ci se tirerait encore à des milliers d'exemplaires chaque année, sans aucun doute.

D'ailleurs toute cette science n'est-elle pas précieuse pour les Africains eux-mêmes ? « Nous ne faisons, d'autre part, que remplir strictement notre fonction d'hommes de science en les faisant profiter de ces travaux qui les concernent au premier chef pour la simple raison qu'ils en sont la matière. » Africains, ne trouvez-vous pas qu'il est temps de faire de Leiris la matière de votre discours et de le déshabiller quelque peu de sa bonne conscience ? Car il est certain que le cynisme élégant des années trente s'est mué en une excellente conscience des années 50. On donne alors dans l'anticolonialisme. Leiris fournit à la gauche française le terrain de lutte spécifique qui va porter aux nues la négritude. Il faut se battre pour l'art nègre. On doit quand même essayer de comprendre pourquoi la gauche française s'est tue sur les saloperies qui se perpétraient en Afrique noire, comment se fabriquaient les Bokassa et autres merveilles. Elle ne voyait rien, elle faisait de l'ethnologie. Il faut rappeler que ce sujet lui-même peut être transcendé par une conscience exigeante, témoin Resnais dans Les statues meurent aussi, qui montre comment faire de l'ethnologie la plus percutante des armes, et qui ouvrait une voie. Il subira le même escamotage que Gide. On n'a jamais eu besoin d'escamoter Leiris. Ah si, Pétain, quand même, a mis au pilon l'Afrique fantôme, mais les quatrième et cinquième Républiques ont mieux senti l'intérêt de ce genre d'intellectualisme sur l'Afrique noire et l'ont fermement encouragé.

Pourquoi tant de sévérité envers Leiris, dont on pourrait peut-être trouver à dire du bien ? C'est que ce qu'il a de mieux reste assez discret, mais qu'il a fait école dans ce qu'il a de pire. Ce pire c'est ce mélange d'escroquerie et de jobardise qui va devenir un trait dominant des travaux de l'intelligentsia sur l'Afrique noire. J'avoue ne pas avoir pu digérer le coup des Kono. Mais par ailleurs je n'ai absolument pas pu marcher au « Zar » éthiopien. Je confesse en avoir sauté subrepticement pas mal de paragraphes, [PAGE 25] même des pages. Pourtant c'est en Ethiopie que sa grande aventure africaine attendait Leiris et il la raconte longuement dans la dernière partie de l'Afrique fantôme. A ceux qu'inquiète ce préambule et qui sont prêts à me reprocher un parti pris contre Leiris, je donnerai d'abord un peu de Baudelaire à méditer: « Quant à la critique proprement dite, j'espère que les philosophes comprendront ce que je vais dire : pour être juste, c'est-à-dire pour avoir sa raison d'être, la critique doit être partiale, passionnée, politique, c'est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais au point de vue qui ouvre le plus d'horizons. »

Avec le « Zar » éthiopien, Leiris découvre un culte à possession. Coup de foudre, vertige, fascination. Des femmes égorgent des agneaux, se coiffent de leurs intestins, boivent leur sang et entrent en transe. Leiris participe, mi-acteur, mi-voyeur, à ces agapes sacrées. Il se peut que Leiris ait trouvé là une source d'émotions qui l'ont bouleversé en profondeur, du moins c'est ce qu'on pressent. Il n'a hélas pas reçu la grâce de les traduire de façon convaincante. Par contre il trouvera là la « matière », comme il dit, de communications et opuscules « scientifiques ». Pourquoi Leiris m'agace-t-il autant ? Pourquoi me fait-il toujours l'impression du voyageur de commerce qui s'encanaille dans l'adultère avant de revenir, lesté de commandes et de vague à l'âme, manger la soupe conjugale ? - Alors on n'aurait pas le droit de parler des phénomènes de possession ? - Il faudrait peut-être voir d'abord à quel point ces phénomènes sont le langage de la misère, sont liés à toutes les situations de misère, physique, intellectuelle et morale et qu'il y a beaucoup de légèreté à y voir des objets de curiosité esthétique et de sensations rares. Gide, assistant à une séance de danses de possession chez les Massa, dit brutalement : « Ah ! le triste, le hideux spectacle ! » Et il y a plus de fraternité dans cette appréciation d'une brièveté pleinement éloquente que dans la liaison très méprisante au fond, que Leiris tente d'établir avec une prêtresse du Zar, histoire d'avoir de quoi nourrir ses aristocratiques états d'âme. Ou bien alors, il faut, si on veut que son livre serve vraiment à d'autres qu'à soi-même, accepter le risque mortel, bien au-delà de la transgression boulevardière, d'un surréalisme qu'on pourrait qualifier de bourgeois, si l'adjectif n'avait par trop servi. (Leiris ne pousse-t-il pas l'audace, en effet, jusqu'à glisser la main sous les jupes de la prêtresse de la [PAGE 26] possession ?). Si vous voulez savoir ce que possession veut dire, il faut relire Artaud et le douloureux pèlerinage qu'il fait chez les Tarahumaras[13] du Mexique. Les mots ont chez lui tout leur poids d'expérience, de poésie et, par conséquent, de science, dont il nous enrichit libéralement, et nous n'en finissons pas de le relire, lorsqu'ïl parle de la danse du Peyotl : « Il me fallait certes de la volonté pour croire que quelque chose allait se passer. Et tout cela pourquoi? Pour une danse, pour un rite d'Indiens perdus qui ne savent même plus qui ils sont, ni d'où ils viennent et qui, lorsqu'on les interroge, nous répondent par des contes dont ils ont égaré la liaison et le secret. » Ce qui, de l'indicible, peut être dit, c'est dans cette brève et souveraine simplicité qu'il faut aller le chercher. Artaud, d'une phrase, remet les choses en place : « Je n'avais pas vaincu à force d'esprit cette invincible hostilité organique, où c'était moi qui ne voulais plus marcher, pour en ramener une collection d'imageries périmées, dont l'Europe, fidèle en cela à tout un système, tirerait tout au plus des idées d'affiches et des modèles pour ses couturiers. »

L'amère lucidité du voyageur dans la possession que fut Artaud le mènera à l'asile à son retour en Europe. La parole qu'il ramenait, elle aussi, était intolérable, même si c'était d'une tout autre façon que celle de Gide. Si elle ne montrait pas la misère, elle venait du cœur de la misère. De Rodez, le 22 septembre 1945, il écrit : « J'aime les poèmes des affamés, des malades, des parias, des empoisonnés... et les poèmes des suppliciés du langage qui sont en perte dans leurs écrits, et non de ceux qui s'affectent perdus pour mieux étaler leur conscience et leur science et de la perte et de l'écrit. »

A la rencontre de la terrible réalité exotique, ravagée par l'oppression, l'intellectuel peut réagir de diverses façons. Il peut le faire avec la mauvaise conscience de Gide, avec le cynisme de Céline, avec le vertigineux naufrage d'Artaud, dans ces trois cas il est fait d'un métal assez pur pour subir en retour un choc destructeur au contact de cette réalité; juste retour des choses, l'intellectuel blanc en ressort blessé, corrompu ou broyé... et ne s'y frotte plus. Mais il y a, beaucoup plus nombreuses, les consciences mêlées [PAGE 27] des habiles, les fausses mauvaises consciences, les faux cyniques, les faux naufragés, ceux-là sont capables de transformer la pire réalité en « collection d'imageries périmées » pour l'offrir à la curiosité distraite et malsaine de la foule. Si Leiris sert à illustrer cette catégorie, ce n'est pas, loin de là, qu'il en constitue le pire exemple. On peut même trouver chez lui parfois un pressentiment d'avoir contribué à fausser les points de vue. Voyant les ravages qu'allait produire la vogue de la folklorisation de l'Afrique, qu'il avait lui-même largement contribué à créer, Leiris souligne le fait que l'authenticité de l'Afrique se trouve dans les réponses les plus neuves qu'elle peut donner à ses problèmes tout autant que dans ses traditions : « Alléguer d'autre part que de tels peuples, dont la culture nous apparaît comme plus pure, sont des Africains plus authentiques que les autres regardés comme frelatés, est un jugement de valeur sensiblement équivalent à celui qui consisterait à tenir les paysans bretons pour des Français plus authentiques que les habitants des grandes villes, sous prétexte que ces derniers vivent dans des carrefours où se croisent de multiples courants. » Cet avertissement venait trop tard, l'africanisme avait déjà ses tics et, en 1980, on sait tout en France sur le Vaudou du Dahomey, ses sorciers qui se changent en chat, et rien sur le montant des transferts de capitaux pour les sociétés qui ont toujours, comme en 1925, le monopole de l'import-export. La vraie sorcellerie dont l'Afrique est le terrain est toujours aussi inconnue. Gide disait : « Le mal ne cessera que lorsque ces grandes privilégiées lâcheront prise, lorsqu'on leur aura fait lâcher prise. »

Dans Le Monde du 5 janvier 1980, un article indigné commence ainsi : « Pas de limite au sensationnel. Les marchands de voyage sont en train de découvrir un nouveau filon : les sacrifices religieux. » Suit la description horrifique des animaux qu'on égorge pour le plaisir et les appareils photographiques des touristes fortunés qui sillonnent le tiers-monde. Pourquoi cette indignation ? N'ont-ils pas droit eux aussi, aux sensations fortes qui ont fait les délices des grands esprits ? L'intellectuel, dans une civilisation, n'est-il pas celui qui donne le ton ? Aux disciples on juge le maître. Pourquoi crier haro sur ces malheureux touristes qui ne font qu'apporter la preuve qu'une certaine littérature ethnologique a connu un franc succès ? [PAGE 28]

Le rêve de tout ordre est de transformer l'intellectuel, quitte à déplorer ensuite sa futilité, en promoteur de la mode. En Afrique noire, la mode a consisté à promouvoir une «imagerie périmée ». En même temps, on s'efforçait de noyer dans l'indifférence et dans l'oubli les témoignages dignes d'intérêt et d'étude. Peine perdue, plus on s'efforce de les oublier, plus ils sont d'actualité. Aux Pachas ont succédé les Bokassas, au service des mêmes intérêts, rejetés avec la même hypocrisie quand on découvre le pot-aux roses. Rien n'a changé. Relisons Gide, si nous voulons comprendre quelque chose à l'Afrique du XXe siècle,

(à suivre)

Odile TOBNER


[1] Après une première édition, accompagnée des photos de Marc Allégret, en 1927, de Voyage au Congo suivi de Retour du Tchad, Voyage au Congo a été édité en 1929, dans la collection blanche de la N.R.F. Retour du Tchad a été édité en 1949-50 dans la même collection. Toutes les citations contenues dans cet article sont tirées de l'édition des (Oeuvres complètes. T. XIII et XIV, 1937- 38 Gallimard, Paris, et proviennent soit des deux œuvres elles-mêmes, soit des annexes (lettres, articles ayant trait au même sujet).

[2] La Forestière Sangha-Oubangui existe toujours et exerce ses activités en Centrafrique et d'autres pays de l'ex-A.E.F. Elle est contrôlée par la SOFFO (Société financière pour la France et les pays d'Outre-Mer) dont le président-directeur général est M. Edmond Giscard-d'Estaing, père de l'actuel président de la République française. La SOFFO appartient à l'empire capitaliste de la Banque d'Indochine, deuxième empire financier africain. Renseignements à compléter dans Jean Suret-Canale : Afrique Noire Occidentale et Centrale. Trois tomes, Editions sociales. 1961-1962.

[3] Massacres sinistrement célèbres, l'un en France, œuvre d'une division de S.S. Nazis, l'autre au Viêt-nam, œuvre de G.I. dont le procès a eu lieu aux Etats-Unis.

[4] Félicien Challaye : Le Congo Français, 1902. Cité par Gide.

[5] Cette expression, à la mode dans toutes sortes de discours, ne constitue pas une découverte. Il est donc naïf de venir tirer le capitaliste par la manche, en lui disant : « Attention, vous ne voyez donc pas que vous faites de l'échange inégal ? Ce n'est pas bien cela ! » Il le sait tellement bien que c'est même la condition de sa survie.

[6] Les guillemets sont de Gide lui-même.

[7] Merveilleuse efficacité du style de Gide, tout comme le «paraît-il» cité plus haut. Gide pose et met en doute, en même temps, la bonne foi des ethnographes. Bref, sont-ils crédules ou escrocs ? Dans un cas comme dans l'autre...

[8] Gide note, tout comme Leiris, les tours de mauvais goût joués aux Noirs en raison de leur ignorance du français. Certificats d'employeurs comportant les pires appréciations. Même les autorités officielles s'y mettent. Gide décrit son arrivée dans une localité : « Le chef du village s'empresse de nous présenter son livret sur lequel nous lisons : " Chef incapable; sans aucune énergie; ne peut être remplacé, pas d'indigène supérieur dans le village. ". »

[9] Dans ce même numéro, Vince Remos expose les difficultés qu'on a eues pour essayer de savoir pourquoi le livre de Gide Voyage au Congo était introuvable en librairie. Par ailleurs, Gallimard vient de rééditer le Retour de l'U.R.S.S., dans la collection de poche de grande diffusion « Idées », le présentant comme « Un témoignage capital ».

[10] L'Afrique fantôme a paru chez Gallimard en 1934. L'ouvrage a été réédité en 1952. J'ai travaillé sur un exemplaire tiré en 1968. L'ouvrage semble donc être constamment disponible. L'éditeur veille à approvisionner la librairie, à satisfaire et entretenir la demande par ses tirages.

[11] Leiris : Cinq études d'ethnologie. Paris, Gonthier, 1969.

[12] Savourons à son juste prix ce « que ne retient aucune idéologie. » Sacré Leiris !

[13] Antonin Artaud : Oeuvres complètes. Tome IX. Paris, Gallimard.