© Peuples Noirs Peuples Africains no. 12 (1979) 15-20



PROPOSITIONS POUR UNE LEGISLATION VERITABLEMENT DEMOCRATIQUE ET HUMAINE DANS LE DOMAINE DE L'IMMIGRATION

M.R.A.P.

CONSIDERATIONS GENERALES

La population immigrée en France est de longue date une composante de notre société. Les travailleurs immigrés apportent une contribution considérable à l'économie française; ils ont joué un rôle décisif dans l'expansion. Par leur présence et leur travail, ils ont acquis des droits. Ces droits ne peuvent être mis en cause, quelle que soit la conjoncture économique et sociale.

Les immigrés ne sont pas responsables de la crise; comme les autres travailleurs, ils ont le droit de bénéficier des mesures sociales adoptées pour y faire face.

Leur départ n'est nullement susceptible de donner davantage d'emplois aux Français. L'économie française, telle qu'elle fonctionne, utilise largement les travailleurs immigrés. Depuis l'arrêt de l'immigration, en 1974, leur nombre reste à peu près constant. Ils doivent pouvoir vivre dans des conditions humaines, avec leur famille, à égalité avec les autres travailleurs. Des mesures doivent être prises pour assurer le respect de leur identité culturelle qui constitue un apport important à la vie du pays. Ils ont droit à une véritable formation professionnelle.

Ils doivent pouvoir choisir de rester ou partir; s'ils partent, ils doivent conserver les droits acquis.

C'est en considération de ces données qu'à la veille des [PAGE 16] débats parlementaires sur l'immigration, les participants au colloque demandent aux députés et aux sénateurs de s'inspirer des principes suivants :

Droits de circulation

    « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » (Article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.)

L'entrée en France d'un étranger muni des documents et visas exigés par les conventions internationales, les accords et règlements en vigueur, ne saurait être soumise à aucune autre condition qui risque de favoriser des discriminations selon les nationalités, ou d'autres formes d'arbitraire.

Il est inadmissible de jeter la suspicion sur des personnes qui n'ont pas encore séjourné sur le territoire français.

Les conditions d'entrée sur le territoire français ne doivent en aucune façon porter atteinte au droit à une vie familiale. (Cf. a contrario article Premier du projet Bonnet.)

Aucune réserve ne doit être opposée à l'étranger qui, à l'entrée du territoire français, demande à bénéficier de la protection de la Convention du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés.

Libertés individuelles

    « Nul ne peut être arbitrairement détenu. » (Article 66 de la Constitution de la République Française.)

    « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé. » (Article 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.)

Toute forme d'internement administratif doit être absolument bannie du Droit et de la pratique.

(Cf. a contrario article 3 du projet Bonnet.)

Droit au travail

    « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. » (Article 23 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.)

    « Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un [PAGE 17] Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. » (Article 12 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques.)

Il serait légitime que tout immigré résidant en France se voie reconnaître le droit au travail, sans restriction de profession ou de lieu, quelles que soient sa nationalité et la date de son arrivée en France.

Etablir un lien entre le séjour et le travail d'un immigré vivant en France, va à l'encontre des libertés individuelles et des droits sociaux. En conséquence, l'autorisation de séjour ne saurait être subordonnée ni aux fluctuations de la conjoncture économique, ni à une situation momentanée du travailleur, telle que chômage ou rupture de contrat de travail.

(Cf. a contrario article 5 bis du projet Bonnet, articles 1, 2, 3, 4, 5 du projet Boulin.)

Droit à une justice impartiale

    « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » (Article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.)

    « Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d'un Etat partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu'en exécution d'une décision prise conformément à la loi, et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s'y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l'autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité en se faisant représenter à cette fin. » (Article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.)

L'étranger résidant en France a un droit au séjour et au travail qui ne peut être mis en cause par l'arbitraire de l'administration.

L'expulsion ne saurait être qu'exceptionnelle, et pour une atteinte grave à l'ordre public. Tout motif supplémentaire d'expulsion doit être exclu. [PAGE 18]

Il est inadmissible de légaliser des pratiques qui laissent les étrangers sans recours judiciaire réel devant le pouvoir discrétionnaire de l'Administration.

Le maximum de garanties doit être accordé, selon les procédures judiciaires, à l'immigré faisant l'objet d'une décision d'expulsion. La notion d'urgence ne saurait justifier l'abandon de ces garanties.

Toute mesure administrative mettant en cause le droit au séjour ou au travail devrait être notifiée à l'intéressé par décision motivée avec un délai imparti qui lui permette de faire valoir ses droits et d'exercer un recours.

Les décisions d'expulsion ou de refoulement ne sauraient être prises systématiquement comme peine complémentaire après une condamnation pénale.

(Cf. a contrario articles 5 ter, 6, 7 du projet Bonnet et l'exposé des motifs du projet de loi Barre-François Poncet no. 788 sur l'adhésion de la France au Pacte International relatif aux droits civils et politiques qui écartent l'adhésion à l'article 13.)

Droit au mariage

    « A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. » (Article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.)

Il convient donc d'abroger l'article 13 de l'Ordonnance du 2 novembre 1945.

Droit à la solidarité

    « Dans la présente Convention, l'expression « discrimination raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique »... « Chaque Etat partie s'engage à favoriser, le cas échéant, les organisations et mouvements intégrationnistes multiraciaux et autres moyens propres à éliminer les barrières entre les races, et à décourager ce qui tend à renforcer la division raciale. » (Articles 1 et 2 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.)

Il est inadmissible que soient sanctionnées les personnes qui aident un immigré en difficulté. Il y a donc lieu de [PAGE 19] réformer les articles 21 et 22 de l'Ordonnance du 2 novembre 1945 pour que, seuls, les trafiquants de main-d'œuvre soient visés.

CONCLUSIONS

Les projets sur l'immigration présentés par le Gouvernement vont à l'encontre de ces principes. Leur adoption aggraverait considérablement la situation, déjà précaire, des travailleurs immigrés et de leurs familles. Alors qu'il serait souhaitable, conformément aux principes du Droit international, de rapprocher de plus en plus les droits des étrangers de ceux des citoyens, c'est le processus exactement contraire que les projets tendent à développer.

En conséquence, les participants au Colloque demandent aux députés et sénateurs de les rejeter, et d'élaborer une politique d'immigration démocratique et humaine, conforme à la Charte internationale des Droits de l'Homme et à la Convention 143 de l'Organisation Internationale du Travail.

Outre ses aspects juridiques et administratifs évoqués ci-dessus, cette politique devrait également se préoccuper de l'accueil, du logement, de la formation et des conditions de travail des immigrés et de leur famille, en particulier des enfants et adolescents de la deuxième génération scolarisés en France, leur reconnaître sans restriction le droit d'association, la liberté d'expression, l'égalité des droits sociaux, assurer leur participation à la vie civique, favoriser leurs activités culturelles et les échanges réciproques avec la population française, éliminer toutes les discriminations qui subsistent dans la législation française et renforcer l'action contre toutes les formes de racisme.

Les participants au Colloque, dont les travaux de ce jour ont été délimités en fonction de la proximité des débats parlementaires, se réservent de poursuivre ultérieurement la réflexion sur l'ensemble de ces questions et de formuler en temps utile de nouvelles propositions.

Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples.

N.B. La France a voté la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme à l'Assemblée Générale de l'Organisation des Nations-Unies, le 10 décembre 1948. [PAGE 20]

La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale a été ratifiée par la France le 10 novembre 1971.

L'adhésion de la France au Pacte international relatif aux Droits civils et politiques fait l'objet du projet de loi no 788 présenté à l'Assemblée nationale au nom de M. Raymond Barre par M. Jean-François Poncet, le 13 décembre 1978.