© Peuples Noirs Peuples Africains no. 10 (1979) 66-85



L'ETAT SAHRAOUI ET LA PAIX GISCARDIENNE

Nadine NYANGOMA

L'expansionnisme et sa rhétorique

Depuis la fameuse marche verte marocaine de 1975, le peuple sahraoui subit les bombardements, l'exode, la torture et le mépris le plus complet de ses droits les plus élémentaires à la paix et à l'indépendance.

Le peuple sahraoui ? disait-on, connais pas, jamais entendu parler. On n'aurait donc bombardé personne. Le désert étant soi-disant désertique, donc vacant, ce serait à qui profiterait du feu vert pour s'y précipiter en premier, alléguant un droit historique quelconque – l'histoire est toujours pleine de droits pour tous les expansionnismes guerriers, il suffit d'y ouvrir un tiroir à la bonne date et vous y trouverez l'ancêtre providentiel qui fonda votre présence sur les territoires ainsi convoités. Ici, les plus gros appétits partent du Maroc, poussé par sa mère nourricière : la France et par les Etats-Unis.

Aussi le Maroc a-t-il envoyé ses colonnes militaires pour occuper le territoire en question. Des colonnes ? Contre qui ? puisqu'il serait à peine habité. De tels arguments ne suffisent point à démonter la dynastie alaouite du fasciste Hassan II Celui-ci n'hésite point à accuser l'armée algérienne de pénétrer en territoire sahraoui. [PAGE 67]

Cependant, ce peuple dont on en était encore à affirmer l'inexistence hier mène une lutte de libération si efficace contre ses envahisseurs marocains et mauritaniens que les deux pays en question risquent de ne pas s'en relever et même d'y perdre leur régime politique, ce qui ne serait point regrettable pour les peuples qui ont à les subir.

C'est au XVe siècle que les Portugais qui venaient de se lancer dans leurs vastes entreprises coloniales tentèrent d'établir des comptoirs sur le flanc atlantique du Rio de Oro. Il furent refoulés et y renoncèrent. Au cours des siècles suivants, d'autres tentatives européennes avortèrent à leur tour.

Ce ne sera qu'à la fin du XIXe siècle, quand le grand partage de l'Afrique se négocie entre puissances européennes, que l'Espagne réussira à y négocier avec quelques personnalités du pays, une présence, toute relative d'ailleurs.

La France venait justement de parachever la constitution de son empire colonial ouest-africain dans lequel le Sahara était une enclave où vivaient des populations sans autorité centrale constituée.

Aussi la France voyait-elle d'un bon œil – n'oublions pas qu'on approchait de la Conférence de Berlin de 1885 – les « traités » que les Espagnols prétendaient signer avec des personnalités du Sahara. Or, ces traités valaient ce que valaient les traités hâtivement ramassés par Stanley au Congo et soutirés ici dans le même but de présenter à la Conférence un dossier de revendications, les autorités indigènes étant toujours abusées sur le sens et la portée de ces faux traités dits d'amitié. Loin d'eux d'imaginer qu'on s'en servirait comme traité de vassalité.

Si la France donnait son bienveillant encouragement aux initiatives coloniales de Madrid et à ses prétentions sur ce qu'on appelait alors le « Rio de Oro », c'était uniquement dans le but de neutraliser l'opposition des puissances coloniales rivales, qui ne manqueraient pas de protester contre la formation d'une colonie française nord-ouest africaine d'un seul tenant. Pour la France, donc, mieux valait une enclave aux mains d'une Espagne faible et décadente, qu'une éventuelle prétention anglaise ou allemande dans la région, En cela, elle adopta un comportement semblable à celui de l'Angleterre envers les prétentions portugaises en Afrique australe. Subtiles compensations de poids et [PAGE 68] de mesures où toutes les ambitions trouvèrent à s'alimenter, les frais étant évidemment laissés au compte des peuples jamais consultés, puisque la Conférence ne tint absolument pas compte des appartenances et des allégeances des peuples qui habitaient les régions concernées, formant ainsi des unités coloniales dont les frontières constitueraient un héritage difficile pour les futurs Etats africains indépendants.

Or, en ce qui concerne le Sahara, voici que c'est maintenant, alors qu'on prétend justifier la thèse du partage de ce pays héritier des frontières de l'ex-Sahara espagnol, qu'on fait surgir un dossier d'allégeances et d'appartenances, complètement ignoré quand il s'agissait de fabriquer une colonie pour l'Espagne et dont la mauvaise foi manifeste se mesure au fait que, hier comme aujourd'hui, le dernier à avoir été consulté sur ses sentiments d'appartenance est le peuple sahraoui lui-même.

N'est-ce point un étrange et inutile débat que de se perdre en infinies spéculations sur les fondements de la nationalité et de fouiller les siècles pour fonder sa thèse ? Une nation peut d'ailleurs très bien exister et être de formation récente. Il n'y a pas de date « historique » absolue pour la constitution des nations. Des décalages dans le temps existent et l'Europe en fit elle-même la preuve au siècle dernier. De toute façon, la solidarité patriotique s'exprime d'abord par un destin commun, suffisamment marqué, suffisamment long et vécu assez profondément pour fonder l'existence d'une nation. Dans le cas du Sahroui, son existence d'hier comme peuple colonisé par l'Espagne, d'aujourd'hui comme peuple envahi par le Maroc et la Mauritanie, bombardé par la France, bref un dossier de souffrances communes, de répression, de génocide, d'exode fait poids dans une histoire nationale commune, c'est la réponse populaire exprimée par la volonté de résistance et la solidarité patriotique. C'est donc bien cette histoire de la négation communément vécue, de l'ennemi commun trop longtemps subi et de la résistance permanente qui suffit à elle seule à fonder la nationalité sahraouie.

Et quelles que soient les autres congénitalités, solidarités ou parentés invoquées par l'envahisseur pour justifier l'annexion, elles ne peuvent soutenir les thèses des expansionnistes sans péril pour ces derniers, car leurs thèses seraient alors réversibles et pourraient tout aussi bien appuyer [PAGE 69] des revendications pour un grand Sahara s'annexant une partie du Maroc.

Pour en finir avec tous les discours et arguments servis par la presse au public mal informé sur le Sahara, sachons qu'ils soulèveraient un tollé général si on osait seulement les mentionner pour les compter et les appliquer à l'Europe, et en particulier à la France qui aujourd'hui bombarde le peuple sahraoui. Pour ceux qui laissent faire ce génocide, supposons un instant que Giscard et les Pays-Bas ou même l'Allemagne s'entendent pour revendiquer leurs « provinces belges sous prétexte qu'à un moment donné de l'histoire de Belgique, elles auraient été sous suzeraineté d'une de ces puissances ou plus simplement parce que les peuples y sont cousins de part et d'autre de la frontière. Et encore il serait probablement plus facile de trouver des arguments juridiques pour appuyer une thèse de « droits historiques » français ou hollandais sur la Belgique, que de droits marocains ou mauritaniens sur le Sahara.

Et si l'on appliquait à l'Europe la logique des nations et des frontières qu'on prétend appliquer aujourd'hui au Sahara, il en résulterait un beau remue-ménage dans la carte des frontières étatiques européennes, sans compter le cortège des guerres que cela ne manquerait pas d'engendrer à son tour.

Comme on le voit, on verse d'abord dans ses appétits expansionnistes et ce n'est qu'après coup qu'on l'étoffe avec ce genre de faux raisonnement historique dont l'Europe en son temps fit aussi la triste expérience.

L'invasion de l'Autriche-Hongrie, déclenchant la première guerre mondiale, ne se produisit pas fort différemment et c'est aussi trop tard que le monde comprit qu'il avait une guerre généralisée sur les bras.

Et l'invasion marocaine limite-t-elle ses ambitions au Sahara et ne peut-elle pas à son tour embraser toute la région ? En effet, si le Maroc réussissait son partage du Sahara, n'aurait-il pas comme première ambition d'absorber son faible et timoré partenaire, la Mauritanie, qu'il noyaute déjà complètement, paralysant tous les domaines du pouvoir, se substituant à son armée sous prétexte d'alliance de sorte que c'est pieds et mains liés que la Mauritanie marche dans une guerre qu'elle n'a pas voulue, à laquelle le peuple est allergique, sympathisant même avec [PAGE 70] le Polisario au point que ses militants circulent en toute aisance sur le territoire mauritanien.

La Mauritanie n'est d'ailleurs pas sans savoir qu'avoir un Etat Sahraoui libre et solide au nord de ses frontières constitue sa meilleure garantie d'indépendance contre les visées expansionnistes du Maroc, car n'oublions pas que la stratégie géo-politique française dans toute cette région de l'Afrique de l'ouest vise à bâtir de grands axes de conquêtes fondés sur des relais sous-impérialistes qu'elle voudrait solides : il en résulterait une ceinture militaire, marquée d'appuis logistiques, léchant les rives de la Méditerranée et de l'Atlantique, plantant là ses forteresses militaires à partir desquelles tous les vieux projets de conquêtes coloniales reprendraient leur essor, enclavant dangereusement les pays africains à options anti-impérialiste comme l'Algérie, sans cesse menacée de revivre une guerre coloniale par Etat interposé, en l'occurrence par le Maroc. Et si cette guerre n'a pas encore eu lieu, c'est parce que l'Algérie est solide et prête à la riposte, et parce qu'en France on hésite à prendre les risques d'y voir s'effondrer la dynastie fasciste alaouite actuellement empêtrée au Sahara.

Cependant cette guerre n'est pas absolument improbable. N'est-ce pas la tentation permanente des régimes moribonds de lancer le peuple abruti par l'obscurantisme et aveuglé par le matraquage propagandiste dans une guerre de conquête extérieure dont la fin trop connue ne peut être que l'échec des troupes embourbées face à la résistance rencontrée. Mais, malgré les leçons de l'Histoire, un Hassan Il ne délire pas moins qu'un Hitler, et son public, hélas, n'a pas mieux réagi que le public allemand de la Seconde Guerre mondiale, en applaudissant, intoxiqué qu'il était par sa « gauche », à ce que le régime appela la « marche verte » et que nous connaissons comme le départ de l'invasion marocaine au Sahara. En cela, le public marocain se comporte très différemment de celui de la Mauritanie. L'esprit chauvin domine au Maroc, ce qui n'est point le cas en Mauritanie où domine une forte sensibilité et fraternité pro-sahraouie même si cela s'accompagne d'une certaine lâcheté envers les pressions subies, car, évidemment, pressions il y a et pas des moindres. [PAGE 71]

Résistance sahraouie.

Volonté d'indépendance et passion de la liberté ont marqué au cours des siècles l'histoire de la résistance sahraouie. Celle-ci n'a évidemment pas toujours pris l'aspect national que nous lui connaissons aujourd'hui. Et pour cause, la nationalité se forgeant, comme nous le disions tout à l'heure, à travers une longue expérience historique, à travers l'histoire des refus répétés de se soumettre à telle ou telle puissance dominatrice, ce qui a aussi pour corollaire indéniable que la nationalité se cristallise dans le cadre et les limites géographiques tracées par l'élément négateur de la communauté persécutée, cet élément négateur ayant été ici, d'abord la puissance administrante espagnole suivie des envahisseurs marocain et mauritanien, tous deux agissant dès le début à l'ombre des manipulations colonialistes françaises. Le cadre territorial dans lequel évolua le brassage homogène des souffrance subies est dès lors celui de ce qu'on appelait le Sahara espagnol ou Sahara occidental, devenu depuis le 27 février 1976, qu'il y en ait ou non qui s'obstinent à en nier l'existence, la RASD ou République Arabe Sahraouie Démocratique. Nous avons donc bien affaire à un legs historique réel fondant une mémoire collective dont seul le peuple sahraoui pourra témoigner, les autres n'ayant aucune voix au chapitre.

Ce qui est certain est que ce peuple possède une histoire nationale marquée d'une si forte affirmation de son existence que, malgré tout le battage publicitaire marocain soutenu par une presse internationale complice, le monde apprend de plus en plus à connaître ce pays qu'on voulait assassiner dans le silence. Néanmoins, le silence ne se fit jamais, car les Sahraouis portèrent des coups si profonds à leurs agresseurs qu'ils finirent par s'imposer au monde, le seul langage pour émouvoir l'opinion mondiale étant, en définitive, la réponse des armes bien plus que celle de l'appel à la conscience humanitaire. En effet, si le cercle des représailles s'était clos par un génocide muet, qui, à part quelques pays amis des Sahraouis, s'en serait ému ? Ainsi va l'histoire des oppressions de tout genre. Ainsi fut l'Histoire du Sahraoui. Une histoire avec beaucoup de courage toujours et peu d'armes d'abord jusqu'à ce qu'enfin s'y ajoutent les armes abandonnées par l'ennemi sur le terrain violé. [PAGE 72]

Tout commença déjà dès que l'Espagne, puissance administrante fraîchement consacrée par le Congrès de Berlin, et trichant sur les contrats d'amitié passés avec des notables locaux, s'avisa de vouloir prouver sa présence au Sahara occidental et d'en occuper le territoire. La France qui avait parrainé l'Espagne à Berlin, l'appuya militairement – déjà ! – et envoya ses corps expéditionnaires au plus profond du pays.

Ainsi donc, aux lendemains du Congrès de Berlin, les Sahraouis eurent à faire leurs premières armes contre les expéditions punitives et la « pacification » française, que la France ne cesse de poursuivre aujourd'hui par l'intermédiaire de ses vassaux marocains et mauritaniens. Pourtant jamais les Sahraouis ne déposeront les armes face à la coalition franco-espagnole et l'occupation définitive du Sahara restera pour l'Espagne une affaire fort précaire mal soutenue par de petits postes fragiles.

Ce qui n'empêcha pas qu'à l'intérieur du pays, la vie spirituelle et politique se poursuivait. C'est ainsi qu'à l'aube du XXe siècle, en plein cœur du Sahara occidental, s'épanouissait une ville à la fois commerciale, spirituelle et intellectuelle, où se croisèrent les caravanes de Mauritanie et du Maroc, et où existait un centre d'études coraniques et de recherches scientifiques, véritable université dont la renommée se répandit largement au-delà des frontières. Surgissait ainsi des sables, Smara, une ville entièrement construite sur des cours d'eau souterrains et dont la splendeur et la vie furent arrêtées net par la colonne Mouret en 1913, colonne expéditive française bien dans la tradition de la terre brûlée telle que la France la pratiquait en Algérie depuis Bugeaud, livrant entièrement la ville aux flammes. Ainsi disparut Smara dont les Espagnols n'occupèrent les ruines qu'à partir de 1936, relayés aujourd'hui par un poste d'occupation marocain.

Voilà donc comment débuta la grande œuvre civilisatrice française au Sahara occidental !

Néanmoins, quels qu'aient été les défaites momentanées et le manque d'organisation des premières résistances sahraouies, celles-ci se poursuivront jusqu'à ce qu'émerge une cohésion nationale moderne mieux équipée pour exprimer son refus dans des activités militantes préparant la construction d'une organisation de résistance nationale aux exigences stratégiques actuelles. [PAGE 73]

C'est d'abord, en terrain urbain, centre de fonctionnement du pouvoir oppresseur, que les Sahraouis firent le gros de leur apprentissage politique moderne, les yeux directement posés sur l'appareil à combattre et sur les techniques dont il se servait. Dans les villes du Sahara, Aioun, Smara, Dakhla, de même qu'à Tan-Tan, ville sahraouie sous contrôle marocain suite à une cession faite par l'Espagne au Maroc en échange d'assurances pour Mellila et Ceuta; à Zouérate, en Mauritanie et à Tindouf en Algérie, parmi les exilés, le mouvement put prendre de l'essor et marquer un tournant dans ses pratiques militantes. Là aussi, les militants sahraouis purent établir les contacts qui les sortaient de l'isolement, les reliaient largement aux expériences politiques faites dans le reste du continent à la veille des indépendances, leur permettant en particulier d'observer, toute proche, l'Algérie en lutte contre le colonialisme français.

D'autre part, la résistance marocaine, à laquelle se joignirent des Sahraouis fut aussi un terrain d'expérience, en partie d'ailleurs expérience de ce qu'il fallait éviter dans la mesure où la France brisa net l'impulsion populaire animant le patriotisme populaire en octroyant une indépendance néo-coloniale bâclée à la dynastie alaouite alors dirigée par Mohamed V. En consolidant ainsi des forces féodales décadentes au blason redoré dans le feu du patriotisme apparemment vainqueur puisque ayant gagné l'indépendance en 1956, la France sut garder aux portes d'une Algérie où elle ne maîtrisait déjà plus toutes les pièces de l'échiquier politique, un Etat néocolonial vassal dirigé par une classe moribonde qui lui devrait indéfiniment sa survie, survie assurée dans un bain de répression et de sang permanent, par un régime policier qui porte pour toute modernité du XXe siècle d'être déjà plus fasciste que féodal, plus raffiné dans la technicité de sa torture et de sa propagande chauvine. Aussi la première tâche à laquelle s'attela le Maroc indépendant fut d'entamer un travail de répression et de nettoyage, vidant l'armée des éléments patriotiques mus par des sentiments trop populaires aux yeux du régime pour la fondre dans le tout chauvin et abruti par l'obscurantisme et la superstition que sont les actuelles FAR (Forces Armées Royales) marocaines à qui on trouve encore le moyen de faire croire qu'elles sont dirigées par un roi au pouvoir surnaturel. [PAGE 74]

Cependant, de l'autre côté du Sahara, la Mauritanie indépendante depuis 1960 offrait aux Sahraouis une fraternité militante active et efficace, notamment de la part du MND (Mouvement nationaliste démocratique), qui, du moins à la veille des années 1970, soutenait et protégeait les Sahraouis réfugiés dans le pays.

A la faveur de cette situation, Zouérate, ville minière mauritanienne, devint un important centre de ralliement et de mobilisation sahraoui, ce qu'elle n'a cessé d'être aujourd'hui.

Alors, face à l'accroissement de l'enthousiasme patriotique sahraoui, les autorités espagnoles, sentant glisser leur pouvoir, tentèrent de « moderniser » leur système de gouvernement par une devanture élective, flattant les personnalités locales qu'elles rassemblèrent dans une « Djemaa » ou assemblée de notables, séduisant ceux dont elles espéraient se servir par de brusques ascensions sociales et croyant dans leur imagination à rebours avoir inventé une formule d'assimilation audacieuse en même temps qu'elles tronquèrent les statistiques de recensement afin de minimiser l'importance numérique de la population sahraouie. A les en croire, à part les notables flattés, le pays serait vide !

Mais l'Espagne était partie tortue à l'assaut de l'histoire. Inconsciente de l'heure à laquelle elle vivait, elle se proposa donc d'organiser, le 17 juin 1970, le plébiscite d'une « union hispano-sahraouie », consacré par e une charte que la Djemaa devait signer, mais, ce jour-là, les autorités coloniales furent débordées par une manifestation populaire sans précédent et qui, quoique pacifique, puisqu'elle se contentait de vouloir présenter des revendications, les prit de court, gênant le projet espagnol en laissant éclater le refus sahraoui devant un public étranger spécialement convoqué pour la mise en scène.

Au refus de dispersion des manifestants, rassemblés dans le quartier de la Zemla d'el Aioun, la troupe répondit par la fusillade, poursuivant ensuite les militants qu'elle arrêta les jours suivants, forçant d'autres à l'exil.

Les survivants se retrouvèrent, pour la plupart, à Zouérate, en Mauritanie, bien décidés, après le massacre de la Zemla, à divorcer définitivement de la voie pacifique et le mouvement put désormais entrer de plein pied dans la mobilisation pour la lutte armée, mais cette fois avec une conscience bien plus aiguë des exigences stratégiques [PAGE 75] et de la nécessité d'une préparation minutieuse indispensable à sa réussite. Une nouvelle génération politique était née. Les exilés de Zouérate se virent renforcés, en 1972, par ceux de Tan-Tan et de Rabat persécutés par les autorités marocaines.

Entre 1970 et 1973, un intense travail politique et organisationnel, en liaison permanente avec l'intérieur du pays que les Sahraouis même exilés réussissaient toujours à parcourir et où ils établirent de fructueux contacts, allait donner naissance à une base politique solide toute disposée à assumer la création, le 10 mai 1973, du Front Polisario (ou Front populaire pour la libération de Saguia el Hamra et Rio de Oro), suivi dix jours plus tard déjà du déclenchement de la lutte armée, le 20 mai 1973, par une attaque sur le poste espagnol de Khanga, attaque dirigée par El Ouali el Mustapha Sayed, fondateur du Front. S'il ne s'écoula que dix jours entre ces deux événements, c'est bien parce que le dispositif politique était prêt et qu'une réelle préparation organisationnelle de fait existait avant qu'elle ne se donne un nom. Au cours des deux années suivantes, le Polisario multiplia ses attaques contre les postes si bien que les autorités espagnoles ne disposèrent plus de moyens suffisants pour s'assurer le contrôle du pays. Impuissantes à conserver, seules, le Sahara dont elles venaient de commencer à exploiter les phosphates qui s'avéraient occuper la première position mondiale tant par leur quantité que par leur qualité, et dont elles voulaient à tout prix garder les bénéfices, elles entamèrent des tractations secrètes, avec le Maroc d'abord, la Mauritanie ensuite, afin que ces deux voisins viennent se substituer à elle pour occuper le territoire et faire pièce au Polisario dans l'espoir de simuler ainsi une décolonisation qui n'en serait point une et de mystifier le monde en alléguant que les voisins auraient possédé des droits historiques sur le Sahara, ce qui en ferait les héritiers légitimes de la décolonisation. En échange, l'Espagne comptait bien garder ses profits sur les phosphates.

Du reste, les Sahraouis ne tardèrent pas à connaître les conséquences de tels arrangements, car, dès la fin octobre 1975, les forces armées marocaines se postèrent aux frontières, prêtes à relever les garnisons espagnoles dès que le retrait de leurs troupes leur serait communiqué. Le transfert des pouvoirs s'organisait encore en plein secret que déjà le Maroc envoyait sous le couvert de la « marche verte » [PAGE 76] la fameuse colonne Dlimi, qui, croyant achever son programme en quelques jours, s'empêtra dans la guerre pendant des mois, ne réussissant finalement qu'à occuper les grandes villes comme Aioun, Dakhla, Smara. Ailleurs la colonne fut stoppée et prise de court par le Polisario. Cependant, partout où la colonne passa, ce ne fut que répression, destruction et pour les habitants l'exode.

Entre temps, au Maroc, dominait la fièvre chauvine, et on y organisait tambour battant l'union sacrée autour du roi, la gauche en tête de file sans honte d'être reçue courtisane au prix d'un appel au génocide.

Finalement, le 14 novembre 1975, coup d'éclat sur les ondes : Madrid annonce la conclusion d'un accord tripartite entre l'Espagne et le Maroc et auquel s'était jointe la Mauritanie. Madrid affirmait mettre fin à sa présence au Sahara, le 27 février 1976 et que, conjointement avec le Maroc et la Mauritanie, elle y installerait une administration intérimaire. S'écroulèrent ainsi les dernières illusions de ceux qui, sentant l'Espagne vaciller, croyaient à l'octroi rapide sinon de l'indépendance du moins d'une autodétermination et c'est à partir de ce moment-là que le Polisario connut un afflux d'adhésions même de la part des plus hésitants, et notamment de la majorité des membres de la Djemaa, qui, déçus par le complot espagnol, signèrent, dans un sursaut nationaliste une déclaration par laquelle ils se démettaient eux-mêmes de la Djemaa en tant qu'institution colonialiste. Ce suicide d'une assemblée manipulée par le colonisateur venait couper l'herbe sous les pieds de la manœuvre espagnole et autour du Polisario ce sera donc le ralliement général, les soldats sahraouis abandonnant leurs casernes en emportant leurs armes pour rejoindre le front.

D'autre part, on s'étonna assez d'apprendre la participation de la Mauritanie au complot de Madrid. En effet, elle avait la réputation d'être progressiste, d'être une alliée privilégiée de l'Algérie, et d'avoir mis en place un programme de désengagement envers l'ex-puissance coloniale. Toutefois, les contradictions politiques et le noyautage interne du pays ne laissaient pas prévoir qu'un tel désengagement soit vraiment réalisable, la France ayant toujours sur place des hommes, des assises économiques et de bons relais politiques internes, bref tout le lobby qu'il faut pour saborder un tel programme de désengagement et pour exercer les pressions décisives aux heures des grands choix. [PAGE 77] Même si le régime d'Ould Daddah prétendit avoir cédé aux pressions progressistes, rien ne prouve qu'il ait jamais eu les mains libres pour d'autres choix et que son « flirt » avec l'Algérie n'eût pas masqué d'autres manœuvres. En tout état de cause, sa signature même tardive aux accords de Madrid ne pouvait avoir été entièrement improvisée et tout porte à croire que les tractations furent faites bien longtemps avant qu'on ne s'en aperçoive à l'extérieur.

Le rachat d'un régime à réputation progressiste étant une affaire rentable, il n'en est pas moins vrai que la Mauritanie entra dans l'alliance criminelle avec armes et bagages, portant des étiquettes progressistes qui en faisaient un porte-parole écouté des thèses marocaines.

Les frais de la coalition furent naturellement mis à charge, outre des Sahraouis, du peuple mauritanien, dont le territoire fut aussitôt envahi d'une présence militaire marocaine et française, imposée au titre de « l'alliance », et qui dut subir les conséquences d'un engagement impérialiste de plus en plus coûteux pour le pays.

Face à l'invasion marocaine et mauritanienne, et devant la menace d'une décolonisation bâclée au profit de ces derniers, l'organisation du Polisario franchira un nouveau seuil tant sur le plan militaire qu'administratif, opérant la conversion des structures de la lutte à celles d'un appareil d'Etat.

Evidemment, cela ne fut réellement possible que parce que le front sut assumer ses responsabilités face à la terrible situation créée par l'invasion et l'exode des populations, et qu'en ces quelques mois de l'invasion il eut à déployer des activités si diverses, des tâches si surhumaines, tout en poursuivant avec une vigueur redoublée la lutte armée contre le dernier envahisseur, qu'il s'avéra bientôt capable de couvrir, dans les faits, tous les domaines d'activités d'un véritable Etat, disposant pour ce faire d'une structure administrative complète.

Ainsi, et malgré la brièveté du délai prévu avant le retrait espagnol, le 27 février 1976, le Front put-il marquer le pas décisif qui l'imposera sur le plan international comme le représentant légitime de la nation sahraouie, représentant qui possédât les organes de souveraineté susceptibles de combler le vide juridique que la manœuvre espagnole visait à créer pour obliger l'ONU à donner son aval à une passation des pouvoirs au profit du Maroc et de la Mauritanie, [PAGE 78] en dépit du fait qu'en mai 1975 le rapport d'une mission d'enquête de l'ONU reconnaissait le Polisario comme seule force Politique dominante dans le pays.

Ainsi fut proclamée, le 27 février 1976, la République Arabe Sahraouie Démocratique par le Front qui avait déjà fait toutes ses preuves sur le terrain et pourtant cela ne suffit pas à mettre fin aux crimes du Maroc et de la Mauritanie.

La jeune République Arabe Sahraouie Démocratique.

Malgré la proclamation de l'indépendance de la RASD, l'Espagne se refusa à opérer le transfert des pouvoirs en faveur du seul légitime et viable représentant du peuple sahraoui. Et même l'aurait-elle voulu qu'elle ne l'aurait pas pu, le Maroc lui ayant déjà ravi les quelques places fortes qu'elle occupait encore au Sahara et où elle venait de plier bagages dans la précipitation.

D'autre part, simple pion sur l'échiquier « africain » français et vassale se voulant parrainée par la France pour entrer au Marché commun, l'Espagne ne put échapper à la minable mission historique qu'on exigeait d'elle de Paris.

Certes, on aurait pu espérer que la découverte de la popularité si évidente du Polisario, excluant toutes autres sympathies ou allégeances envers d'autres prétendants – rappelons encore ce rapport de l'ONU -, l'évidence aussi de l'agression et de ses implications, auraient permis à l'ONU ou tout au moins à l'OUA de franchir un pas de plus et de dépasser les prudentes formules de la reconnaissance du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination ou à l'indépendance, mais nous savons trop combien il est facile d'obstruer ces organisations par d'astucieuses manipulations réglementaires, de les enchaîner dans d'interminables ajournements et atermoiements jusqu'à ce qu'une débâcle généralisée sur le terrain – car ce n'est que quand les rats quittent le bateau qu'on comprend qu'il coule – entraîne avec elle un cortège de reconnaissances et de votes de dernière minute.

Ce seront donc bien les développements de la lutte sur le terrain qui, en définitive, détermineront la reconnaissance complète de la R.A.S.D. sur le plan international l'activité diplomatique ayant pour effet de hâter la désertion des Etats qui demeuraient encore dans l'autre camp, en leur laissant apercevoir l'inévitabilité d'une telle issue. [PAGE 79]

En effet, il n'a jamais suffi ni à l'ONU ni à l'OUA, ni à l'opinion internationale de savoir qu'un peuple avait raison pour qu'on le défende; il a fallu surtout que ce peuple vienne avec ses armes se poster aux portes de la forteresse pour que le courage passe du bon côté !

Cela a pour conséquence immédiate que des années s'écoulent dans une guerre inutile et sanguinaire, obligeant les Sahraouis à consacrer une énergie précieuse à combattre l'agression alors que c'est déjà une assez lourde tâche de se charger de la survie des populations marquées par la guerre et l'exode et d'envisager la reconstruction et le développement du pays, le Polisario ayant à mener de front toutes les tâches et n'y réussissant que grâce à une rigoureuse organisation.

Du reste, l'intérêt principal d'un mouvement de libération ne réside pas seulement dans la résistance patriotique contre l'envahisseur, mais bien dans les processus de transformation radicale qu'il véhicule, transformations qui sont seules susceptibles à long terme d'installer une structure étatique armée pour résister aux empiétements d'autres formes de domination impérialistes, bref politiquement outillée pour renégocier sa place sur le marché mondial ainsi que d'assumer une plus juste redistribution des intérêts à l'intérieur du pays.

Partant de là, qu'importe les fouilles qu'on fait dans l'histoire sahraouie pour appuyer des commentaires sur son aspect tribal, voire féodal ou esclavagiste.

Toutes les sociétés partent d'une histoire des classes et de systèmes d'exploitation que les espoirs des générations montantes tendent à abattre, et toutes ont leur société d'hier à quitter pour entrer dans celle de demain. Ce qui compte en définitive, ce sont les potentialités libérées, l'avenir au bout des promesses, le dynamisme avec lequel il est assumé, la manière dont les freins anciens sont surpassés.

Cependant il faut être réaliste et l'on ne peut exiger qu'au premier coup de fusil qui marque sa volonté de libération - sortant de l'obscurité d'une oppression qui laisse tout juste la place pour un repli défensif une volonté de virginité culturelle, un réflexe protecteur de sauvegarde de la culture, de sauvegarde de l'existence -, le peuple sahraoui apparaisse avec une forme de pensée, une culture et une structure sociale qui ne peuvent être que le résultat d'un processus de longues transformations sociales. Croit-on donc que [PAGE 80] dès le départ les peuples vont à la lutte de libération avec toute la conscience, les idées et l'ouverture d'esprit que seule une société plus juste et plus dynamique que la coloniale aurait pu leur offrir alors que ce ne peut être que plus tard, en se retrouvant soi-même, en se lançant dans un processus de renouvellement, que disparaissent cette peur de se perdre, cet obscurantisme, cette absence d'ouverture, reflet justement du blocage historique subi.

On marche à la lutte de libération et l'on s'y transforme, la transformation complète ne pouvant précéder cet engagement. La nation qui se forme part donc de son acquis culturel et politique de départ, à ce moment initial-là nécessairement marqué de traditionalisme puisque le vécu historique ne l'autorisait pas jusqu'ici à émerger au-delà. Ce vécu est pourtant un élément positif, d'abord en tant que porteur de refus, et ensuite en tant que volonté d'engendrer un monde nouveau et d'investir l'avenir même s'il n'a de prime abord pour toute ressource inévitable et logique que de s'appuyer sur son mode d'être ancien, sclérosé par cette histoire bloquée, l'alternative offerte n'ayant jamais été qu'une mutilante et incomplète assimilation.

Trop souvent, on a présenté une vision naïve, romantique et non dynamique des luttes de libération nationales. Qu'est-ce que la nation ici sinon une entité en plein mouvement qui se restructure dans un élan de développement qui, selon les circonstances, pourrait rester traditionaliste ou devenir progressiste ? Au départ, les deux forces s'entendent sur un consensus national commun, le plus dynamique chargé des rêves des aspirations sociales et des revendications des masses déshéritées donnant sa marque dominante à l'ensemble au fur et à mesure que conscience et clarté des choix s'approfondissent et que la lutte élabore ses structures de rechange du pouvoir colonial abattu.

Par conséquent, la lutte de libération ne prend pas seulement l'aspect d'une lutte contre l'extérieur; elle est aussi une lutte de libération des structures figées à travers les siècles et à travers la colonisation, un déblocage des freins mis à la dynamique sociale interne et historique auquel tout peuple a droit, au dépassement de ses propres replis traditionalistes, aux retrouvailles de son historicité, au développement de toutes ses forces et vitalismes.

Lorsqu'il s'engagea dans la lutte armée, le Front Polisario, se voulant mouvement d'unité nationale, se proposait donc [PAGE 81] de réunir des courants politiques divers, donc aussi des comportements sociaux et comportements de classes divers, à l'exclusion des collaborateurs directs de l'ennemi. Cependant, à travers les difficultés affrontées, exigeant à chaque étape que le mouvement se surpasse et renouvelle ses formes de luttes tant militaires que partisanes, la transformation de ses structures a donné naissance à ce courant de fond où se dessine une dominante progressiste d'autant plus que la lutte n'a pu s'approfondir et prendre cette ampleur qu'avec la participation de plus en plus active et auto-organisée des masses populaires concernées. Ajoutons à cela que du fait que ce sont les classes d'âge les plus jeunes qui assument l'essentiel des responsabilités stratégiques et militaires de la lutte, les mutations sociales se sont accélérées.

Des observateurs superficiels, frappés par la jeunesse des combattants et militants sahraouis, ont cru que cela était dû au fait que le stock humain s'épuisait au Sahara, obligeant le Polisario à opérer des recrutements précoces. Or, quelles que soient les pertes tragiques subies par le Front, ce phénomène provient d'abord de ce que cette classe d'âge possède une détermination plus forte et forma dès le départ la nouvelle génération politique qui donna naissance et vie au Front.

Conclusion :

L'espoir du Sahara actuel réside sans conteste dans la construction, en région libérée, d'un Etat à gestion démocratique et de l'organisation en profondeur de la population, et notamment dans la transformation remarquable des camps de réfugiés en véritables camps de la mobilisation militante, camps dirigés par les femmes surtout, vu que les hommes sont absorbés par la guerre, ce qui permet du coup à ce femmes de prendre en main une part de la gestion des affaires sociales, même si dans l'ensemble on ne peut éviter que dans un premier temps cela reste modelé sur le schéma traditionnel classique de la division sexuelle des tâches. Une distance est cependant acquise vis-à-vis de la société patriarcale traditionnelle, les enfants étant gardés et nourris dans des garderies, ce qui rend les femmes disponibles pour le travail en société.

Les campements sont organisés en trois grandes wilayas ou régions rattachées symboliquement au terroir [PAGE 82] temporairement abandonné, aux trois grandes villes du pays Aioun, Dakhla, Samar, encore sous occupation.

L'encadrement ici joue un rôle décisif puisqu'il fait du campement le reflet de la société de demain, campement qui, aux portes de l'occupation, attend de transférer sa résidence dans le lieu auquel il reste rattaché et ce dès que la guerre se terminera de sorte que la rupture marquée par l'exil soit affrontée grâce à une préparation active de la vie future, une vie de paix normale, surmontant le désespoir, le désarroi et le désœuvrement propres à la plupart des camps de réfugiés éparpillés de par le monde. Ici, d'ailleurs, le désœuvrement ne trouve pas sa place, car les camps sont animés d'une intense activité, recevant le meilleur de leur impulsion des cellules de base qui touchent tout le monde en même temps qu'elles initient la population à s'autodiriger et à assumer elle-même la plus égalitaire et la plus rationnelle distribution de l'approvisionnement et des soins sanitaires disponibles.

C'est à partir de là qu'aujourd'hui et malgré l'invasion un Etat moderne s'est construit, appuyé sur des méthodes de gestion égalitaires et qui cependant ne se laisse pas uniquement absorber par l'immédiat et les limites de ses forces productives de l'état de guerre actuel, puisqu'il a aussi conscience de ce qu'est un marché mondial, de l'enjeu économique qu'il constitue sur ce marché en tant que grand producteur minier (phosphates, fer, pétrole, uranium) et des implications politiques et économiques que cela entraîne dans les choix qu'il aura à faire s'il veut, demain, contrôler ses richesses et les négocier sur une base juste. C'est pourquoi le ministère de l'Energie et des Communications sahraoui, même s'il se concentre aujourd'hui, vu les circonstances de la guerre, sur les communications et transports, étudie quelles seront ses responsabilités futures en ce qui concerne les immenses ressources énergétiques que possède le pays, une des principales revendications du Front étant la récupération complète des richesses nationales. En cela, le Front Polisario se montre parfaitement au courant des rouages capitalistes qui ont déterminé les appétits impérialistes à trafiquer une guerre meurtrière au Sahara.

Et si, aujourd'hui, cette guerre continue, dans la plus cynique mauvaise foi, il n'est plus un secret pour personne que c'est bien parce que les pays intéressés par ses richesses et sa position stratégique refusent l'existence [PAGE 83] à un Etat doté d'un gouvernement aussi conscient de l'enjeu et qui pourrait résister à leurs projets et stratégies de récupération néo-coloniale. Ils préfèrent encore le génocide d'un peuple et les risques d'une guerre généralisée dans la région, à l'existence d'une nation indépendante disposant à son gré de ses richesses !

Aussi doit-on constater que la dynamique de la paix piétine. La Mauritanie, depuis la chute d'Ould Daddah, en juillet 1978, a fait croire qu'elle avait l'intention de se retirer de la guerre. La Mauritanie, alors en plein marasme économique, confrontée aux risques permanents de soulèvements populaires, aux mécontentements suscités par le stationnement arrogant de troupes marocaines installées au titre d'« un pacte de défense », semblait n'avoir d'autre issue raisonnable que de se retirer d'une guerre qu'elle n'avait aucune chance de gagner, d'autant plus que ses troupes désertent, combattent sans moral, ou parfois encore passent au Polisario.

La Mauritanie était donc à bout de souffle et afin de favoriser l'amorce de pourparlers de paix, le Polisario décréta le cessez-le-feu unilatéral sur le front d'occupation mauritanienne. Or, depuis, des contacts entre délégués des deux parties ont été pris à tous les niveaux sans jamais aboutir. Le régime du lieutenant-colonel Ould Salek vient de céder la place à un autre, Ould Salek s'étant retiré pour « raisons personnelles », sans avoir fait un pas dans le sens de la paix. C'est à se demander d'ailleurs si la Mauritanie n'a pas joué elle-même sur ses propres faiblesses pour gagner du temps et reprendre son souffle, faisant des manœuvres dilatoires. Aujourd'hui, le sud de la RASD est toujours occupé par la Mauritanie, les troupes marocaines non plus ne se sont point retirées de la Mauritanie, bien au contraire, elles y ont renforcé leur présence de même que la « coopération » militaire française.

Entre temps, le Front Polisario a amplifié ses combats contre l'«envahisseur marocain», combats qui ont connu un développement audacieux avec le déclenchement, depuis le début de cette année 79, de l'offensive Boumediène.

Alors qu'auparavant déjà, les troupes d'invasion marocaines étaient prisonnières de leurs garnisons, n'osant plus s'aventurer à l'extérieur que lorsqu'elles y étaient vraiment contraintes, l'offensive nouvelle est venue attaquer les troupes marocaines directement sur leurs arrières et réserves [PAGE 84] disposées au Maroc même et notamment à Tan-Tan, un des premiers centres de ralliement politique des Sahraouis en exil.

Ainsi, l'armée marocaine, enlisée dans la guerre et démoralisée aussi, se trouve dans l'absurde situation d'avoir à faire appel à l'aide de garnisons qu'elle a installées au Sahara, et de leur demander de venir défendre les garnisons de réserves au Maroc. Et même un tel secours est rendu aléatoire étant donné que toute tentative de sortie marocaine est aussitôt suivie d'un encerclement et d'une attaque par le Polisario.

Par conséquent, en s'attaquant directement aux troupes marocaines sur leur propre territoire national, l'offensive Boumediène marque un tournant décisif dans la stratégie puisqu'elle vise à obliger les Marocains à se désengager de la RASD pour venir défendre leur propre domicile. Il devient dès lors de plus en plus difficile au roi chancelant de vanter les succès de sa « marche » sur « les provinces sahraouies », si la maison brûle et qu'il faut dare-dare rebrousser chemin pour venir éteindre le feu. Et la France a beau avoir promis d'aider le Maroc à réorganiser son armée, il lui sera bien difficile de réorganiser le moral des troupes en débâcle et doutant désormais de la puissance divine de ce roi qui tente encore de redresser la situation par la seule logique qui est la sienne, à savoir la répression, faisant fusiller au sein de l'armée tout ce qui peut lui servir de bouc émissaire et être accusé de « faiblesse ».

Du reste, une grande partie du calvaire de cette guerre est assumée par le peuple marocain lui-même, qui, sans cesse trahi par une opposition prostituée qui n'a, en réalité, pour tout rôle politique que de ramasser les dés perdus par le roi et de livrer à ses geôles les éléments sincères de la base, s'est trouvé depuis si longtemps écrasé par une mafia féodo-fasciste ayant pour tout programme politique la misère, la famine, le désespoir, la torture pour son peuple, la corruption et le pillage des ressources du pays au profit de l'impérialisme, elle-même prélevant sur cette opération de fructueuses miettes ainsi que sa survie.

Mais ce peuple marocain, qui ne peut plus rencontrer de sort plus triste que celui qui lui est imposé aujourd'hui, se refait, malgré la guerre et la répression, et à travers elles, une rager d'espérer, les yeux réveillés fixés sur la chute de la séculaire dynastie des shah d'Iran, [PAGE 83]

Quand les troupes du tsar remontèrent vers Moscou... Quand les troupes marocaines rentreront dans Rabat... le peuple marocain aura bien des cauchemars à chasser et ce jour-là sans aucun doute pourra-t-on enfin commencer à parler du Maghreb des peuples et des liens historiques unissant le Maroc et le Sahara, l'histoire commune devenant celle du martyre commun infligé par la tyrannie alaouite et du triomphe commun contre une absurde oppression, la seule allégeance proclamée ici étant celle d'une foi commune dans un avenir meilleur.

Nadine NYANGOMA
MEAUX, le 1er juin 1979