© Peuples Noirs Peuples Africains no. 10 (1979) 55-65



LE COLONIALISME DES MISSIONNAIRES

Félix Roland MOUMIE

N'ayant aucune raison, tous comptes faits, de mettre en doute l'authenticité du document reproduit ci-dessous, qui nous a été fourni par le même chercheur canadien, le Spiritain Lucien Laverdière, nous n'hésitons pas, encore une fois, à le soumettre à nos lecteurs. [Voir rectification PNPA 29, p.46]

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UNION DES POPULATIONS DU CAMEROUN
Section Camerounaise du Rassemblement Démocratique Africain
BUREAU DU COMITE DIRECTEUR - BP 435 DOUALA

RELIGION OU COLONIALISME ?

Des évêques français exerçant au Cameroun se sont réunis ces temps derniers à Nkongsamba sous la présidence de Mgr Lefebvre, Vic. Ap. de Dakar. A l'issue de cette réunion qui a coïncidé par hasard avec une autre réunion politique tenue par Roland PRE, Haut Commissaire de France au Cameroun, dans le même secteur de Dschang, avec ses collaborateurs français et aussi, paraît-il, avec des fonctionnaires anglais, les évêques ont publié un communiqué qui reçut une large publicité au Cameroun et qui a également eu de larges échos dans les milieux étrangers, notamment en France. [PAGE56]

Il nous a donc paru nécessaire de procéder à un travail d'explication afin qu'aucune équivoque ne subsiste dans les esprits. Le 17 avril 1955, j'avais eu l'honneur de m'adresser à une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes n'en déplaise à la police qui a parlé de 600 personnes dont 40 femmes. Au cours de cette conférence, j'ai eu l'occasion de dénoncer la manœuvre de ceux qui veulent se servir de la Religion à des fins politiques. A l'issue de cette réunion j'ai été saisi par plusieurs compatriotes qui m'ont prié de développer par écrit ce que j'avais dénoncé oralement. Ce modeste exposé tend vers ce but et j'espère qu'il servira la cause de la vérité et permettra de lever l'équivoque que les serviteurs camouflés de la colonisation veulent jeter dans les esprits au moment où de graves problèmes se posent devant le peuple camerounais.

DIEU ET LA COLONISATION

Il semble plus intéressant de procéder à une étude comparée des principes religieux et du comportement des prêtres catholiques colonialistes. Cela est plus utile que le commentaire d'un document bourré de contradictions. Nous allons maintenant examiner dans quelles conditions un homme prétendant parler au nom de DIEU ne peut soutenir la colonisation sans se rendre coupable de trahison morale.

DEFINITION

La colonisation, C'est l'esclavage, c'est l'asservissement des peuples par un groupe d'individus dont le rôle consiste à exploiter les richesses et les hommes des peuples asservis.

DIEU ET LA LUTTE DE LIBERATION NATIONALE

Le fait que « Dieu créa l'homme à son image » correspond à cette clause de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme où il est proclamé que « tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». S'il y a une promesse divine pour la sauvegarde de la « Terre que Dieu nous a donnée », il est aisé de comprendre que Dieu ne peut rester [PAGE 57] indifférent devant une lutte de libération nationale.

La Bible nous apprend que lorsque des envahisseurs philistins voulurent ravir la Terre d'Israël, Dieu arma un jeune berger, DAVID, d'une fronde, pour abattre le général Goliath, chef des envahisseurs.

Un autre exemple qui découle de l'Ancien Testament, vérifiable dans le livre de l'Exode, réside dans la lutte des Israélites en captivité pour sortir de l'Egypte sous Pharaon Manefta. C'est encore un homme, un patriote israélite en fuite, MOISE, qui fut chargé par Dieu d'aller libérer son peuple des chaînes de l'oppression. Pourquoi cela ? Dieu déteste-t-il l'Egypte qui allait protéger le bébé de son fils ? Il est seulement à déduire que Dieu ne voulait pas que les Israélites, créés en son image, fussent soumis éternellement à la domination des Egyptiens, également créés en son image. Les évêques français du Cameroun admettront-ils que les Camerounais, créés à l'image de Dieu, soient des esclaves des Français et des Anglais également créés à l'image de Dieu ? Il faut répondre à cette question, il faut y répondre honnêtement et franchement.

Prenons maintenant la partie de la Bible qui est la plus applicable à l'Eglise Chrétienne, le Nouveau Testament. Le N.T. prend source à l'avènement de Jésus-Christ. Or l'avènement de Jésus-Christ est lui-même fondé en partie sur le principe de la lutte de libération nationale.

En effet, ce qu'il faut connaître avant tout c'est que, au moment de la naissance du Christ, la Palestine, son pays natal, n'était pas un pays indépendant. La Palestine était une colonie romaine, comme le Cameroun est une colonie française ou traité comme telle d'une part et une colonie anglaise ou traité comme telle d'autre part. Mais les prophètes avaient annoncé la naissance du Messie, fils de Dieu. Ainsi donc, dans la pensée des Juifs, l'homme-Dieu qui devait venir du ciel allait être un chef puissant capable de renverser le pouvoir de l'impérialisme romain.

Il est intéressant de parcourir l'histoire biblique sur la naissance de Jésus-Christ et sur sa vie pour se rendre à l'évidence de ce qui vient d'être avancé. Nous ne reprendrons que quelques exemples.

1) Les mages. Les mages, hommes simples du pays, s'étaient rendus auprès du gouverneur Hérode pour s'enquérir sur la naissance du « nouveau roi des Juifs » le Soucadeaux ou le Roland PRE de l'époque ne voulut pas souffrir [PAGE 58] d'un concurrent. Il ordonna le massacre des nouveau-nés non pas pour se débarrasser d'un prophète, car les prophètes il y en avait en quantité industrielle dans son règne, mais il n'en était nullement gêné, car les prophètes de l'époque étaient en grande partie les complices de l'impérialisme romain, comme les Graffin, les Bonneau, les Bouque, etc., sont aujourd'hui les complices du colonialisme oppresseur. Le roi Hérode ne voulait pas d'un nouveau chef autochtone dont la prise de pouvoir pouvait mettre fin au règne de l'impérialisme romain; de même aujourd'hui, les gouverneurs et les administrateurs français au Cameroun n'admettent aucune réforme qui soit de nature à contribuer tant soit peu au renversement du pouvoir colonial en vue de son remplacement par un Gouvernement national issu, de la volonté populaire.

2) Jean-Baptiste. L'idée de Jésus le Chef s'est manifestée lorsque Jean-Baptiste, prophète annonciateur de sa naissance, envoya ses disciples auprès de Jésus pour s'assurer que c'était bien celui que l'on attendait. Jean-Baptiste était alors détenu pour avoir dénoncé les péchés du gouverneur Hérode. Nos évêques sont-ils prêts aujourd'hui à dénoncer les péchés d'un SOUCADEAUX ou d'un Roland PRE ? Jésus assura les envoyés du détenu que c'était bien lui-même.

3) La grève d'impôts. Les Juifs considèrent que le Chef du Pays, le Chef attendu est déjà là. Ils ne veulent plus payer l'impôt aux colonialistes romains. Ils viennent consulter Jésus en ce sens. Quelle que soit l'idée de la contradiction ou de la tentation que les théologiens peuvent attribuer à cette démarche, un fait demeure : les Juifs ne voulaient plus de l'oppression étrangère, ils voulaient un chef du Pays à qui ils voulaient payer l'impôt.

4) Témoignage de Ponce-Pilate. Les théologiens accusent Ponce-Pilate qui, magistrat du régime, avait condamné Jésus qu'il savait innocent comme les magistrats du régime colonial condamnent les innocents en lieu et place des criminels et délinquants de toute sorte. Ponce-Pilate avait eu le courage de porter comme chef d'accusation sur la croix une mention sur laquelle Jésus était « ROI DES JUIFS ». Une démarche des accusateurs auprès du Juge impuissant pour enlever cet écriteau fut vaine. C'est là une dernière preuve que d'un bout à l'autre dans la vie de Jésus-Christ, il y avait dans la pensée de son peuple le désir de renverser l'impérialisme romain. [PAGE 59]

DE QUEL COTE SE TROUVE DIEU ?

Partant des indications que nous venons de donner, nous pouvons poser la question de savoir de quel côté se trouve Dieu ? Si Dieu se trouve du côté de Goliath, de Pharaon, d'Hérode ou de Pilate, il serait admis que Dieu approuve l'oppression colonialiste; mais si, au contraire, comme le montrent les écritures, Dieu était du côté de David, de Moïse, de Jésus-Christ et de la Palestine opprimée, nous pouvons arriver à la conclusion inverse, à savoir que Dieu est avec ceux qui luttent contre le colonialisme afin d'acquérir l'indépendance de leurs pays respectifs. Pour conclure ce chapitre, nous pouvons livrer à l'attention des évêques militants signataires de la fameuse « lettre » commune la citation suivante, tirée de LEVITIQUE, chap. 19 v. 13 : « Tu n'opprimeras point ton prochain et tu ne raviras rien par violence. » et dans « PROVERBES », chap. 22 vv. 22-23, il est écrit : « Ne dépouille pas le pauvre, parce qu'il est pauvre, et n'opprime pas le malheureux à la porte, car l'Eternel défendra leur cause et ôtera la vie de ceux qui les auront dépouillés. »

Nous aurions pu commenter les passages de la Bible ici produits, mais nous préférons laisser au lecteur le soin de former son propre jugement pour voir si Dieu est du côté des colonialistes ou du côté des patriotes camerounais en lutte pour l'Unité et l'Indépendance de notre Pays.

MISSION ET MISSIONNAIRES

Dans la «lettre commune», il est dit que les « missionnaires sont calomniés ». Tout d'abord, qu'est-ce qu'une calomnie ? C'est le fait d'imputer à quelqu'un des faits qui ne peuvent pas lui être imputés ou qui ne doivent pas lui être imputés. Nous demandons alors à nos compatriotes catholiques si le fait de dire que les prêtres prêchent politique à l'église, si le fait de dire qu'ils trafiquent les sacrements à des fins politiques constituent une calomnie alors que cela se fait à tout moment au grand jour. Nous savons que la calomnie constitue une infraction à la morale religieuse, car il est dit quelque part dans la Bible : [PAGE 60]« TU NE PORTERAS POINT UN FAUX TEMOIGNAGE CONTRE AUTRUI », ce qui est par exemple le fait de qualifier de communistes tous les militants syndicaux et les militants du Mouvement National Camerounais sans être en mesure de le prouver. On comprendra donc ainsi que les calomniateurs sont plutôt du côté des auteurs de la fameuse « lettre commune ». Dans ce préambule de la « lettre commune», une autre idée se dégage, l'on a tendance à laisser croire que les patriotes camerounais seraient des antiblancs à tout prix. C'est faux, mais cette occasion nous permet de dénoncer certains faits qui trahissent l'esprit raciste des « missionnaires » catholiques et protestants. En effet, pour quelle raison, dans les illustrations, Dieu, les anges et les saints sont présentés comme des « BLANCS » et le diable comme un « NOIR » ? Pour quelle raison, au cours de la grande quête mariale de l'année dernière, quête qui, soit dit en passant, avait fourni des sommes rondelettes aux seigneurs de l'Eglise catholique, la statue de la Vierge Marie représentait une Blanche ou une Noire suivant qu'elle était exposée dans une ville à population mixte ou dans les villages où la population est entièrement africaine ? Pour quelle raison les chrétiens noirs sont obligés de mettre leurs charmantes fiancées au « SIXA » quand les chrétiens blancs sont dispensés de cette servitude ? Des faits de l'espèce seraient mentionnés sur des listes entières.

Ce que nous voulons affirmer, une fois de plus, c'est que nous sommes contre les colonialistes et leurs hommes de main, qu'ils soient Blancs, NOIRS, Jaunes et nous sommes des alliés de tous les partisans du Droit des Peuples à disposer d'eux-mêmes, sans considération de couleur.

La Mission. La « Mission » découle de I'Evangile selon saint Matthieu, Chap. 28 v. 19 qui est ainsi conçu :« ALLEZ, FAITES DE TOUTES LES NATIONS DES DISCIPLES, LES BAPTISANT AU NOM DU PERE, DU FILS ET DU SAINT ESPRIT, ET ENSEIGNEZ-LEUR A OBSERVER TOUT CE QUE JE VOUS AI PRESCRIT. » C'est une de vaste échelle, c'est pourquoi les 11 envoyés par Jésus envoyèrent d'autres à leur tour. Une mission a une fin, lorsqu'elleprend un caractère permanent, on la complète en appellation en a joutant le moi « Permanente » à la suite du mot « mission ». Or, dans la lettre commune, il est dit que l'Eglise catholique a converti 700.000 fidèles. Nous pouvons ajouter qu'ils ont formé des dizaines de prêtres camerounais,[PAGE 61] mais qu'ils ont peur d'en élever quelques-uns au rang d'Evêque, car cela porte atteinte au statu quo du monde colonial. Ce que nous pouvons dire, ce que force nous est de constater, c'est que la mission de l'Evangile est terminée, c'est une autre mission qui continue. La mission de l'Evangile est fondée sur les dix commandements. La mission « nouvelle » dont nous allons relever l'origine se base maintenant sur ce que nous pouvons appeler le 11e commandement, le « communisme ».

En effet, d'après la « lettre commune », l'Eglise catholique est au Cameroun depuis 60 ans, elle a enseigné aux chrétiens à observer les dix commandements inscrits à la Bible. Aujourd'hui, l'Eglise a exhibé un nouveau commandement qui ne figure nulle part dans la Bible, On dira que le communisme a été condamné par les « Très-Saints-Pères ». Il serait à supposer ainsi que le communisme existe dans le pays des Blancs depuis de longues dates. Pourquoi, dans ces conditions, les prêtres catholiques n'ont pas dénoncé le mal plus tôt ? Faut-il conclure sur ce point qu'il s'agissait de la vieille mission coloniale qui consiste à faire croire au colonisé que tout est parfait au pays du colonisateur et que tout est mauvais au pays du colonisé ? Quoi qu'il en soit, tout le monde se rend bien compte de ce que la question du communisme ne serait jamais intervenue si le peuple camerounais n'avait pas posé le problème de son Indépendance. Mais nous savons la mission dont sont chargés les hommes du clergé colonialiste.

Le 2 mai 1804, Napoléon Bonaparte faisait la déclaration suivante en séance du Conseil d'Etat : « Mon intention est d'établir la maison des missions étrangères. Ces religieux me seront très utiles en Asie, en Afrique et en Amérique; je les enverrai prendre des renseignements sur l'état des pays. Leur rôle les protège et sert à couvrir les desseins politiques et commerciaux.... Ils coûteront peu, et sont respectés par les barbares et, n'étant revêtus d'aucun caractère officiel, ils ne peuvent compromettre le Gouvernement, ni lui occasionner des avanies. »

On peut donner une autre citation également intéressante. Il s'agit cette fois d'une déclaration de Louis XV à propos de la traite des esclaves. Nous citons Louis XV mandant au Gouverneur de la Guyane et à celui de Saint-Domingue : « La religion doit fixer les premiers regards sur l'administration. C'est surtout par le fait qu'elle impose que peuvent [PAGE 62] être contenus les esclaves... Nécessaire à tous les hommes elle n'a plus dans les colonies peuplées d'esclaves qui ne peuvent être contenus que par l'espérance d'une vie meilleure. »

Les deux citations ci-dessus sont trop édifiantes pour qu'on y ajoute quelque commentaire que ce soit. Il est démontré ainsi que les « missionnaires coloniaux » sont les avant-gardes de l'appareil administratif et du gros colonat. Ce fait rejoint une opinion que j'ai développée le 17 avril 1955 à Yaoundé. J'avais dit que la consigne donnée à l'homme de Dieu était la suivante : « TU MANGERAS TON PAIN A LA SUEUR DE TON FRONT. » Les prêtres et pasteurs qui ont vécu dans le pays au temps du travail forcé et de l'indigénat n'avaient élevé aucune protestation contre ces pratiques esclavagistes. L'on pouvait parquer des chrétiens dans des camions pour les envoyer dans les mines d'or de Bétaré Oya, cela ne révoltait la conscience d'aucun homme de l'Eglise. Lorsque l'administrateur SALAIN mettait des chrétiens en prison pour les envoyer dans les entreprises de M. CORON où ils travaillaient comme des esclaves avec la bénédiction de BONNEAU, GRAFFIN et tous les autres « Seigneurs » de l'Eglise, cela ne révoltait la conscience d'aucun ecclésiastique. Lorsque, avant les grèves historiques d'août 1946, le tout puissant CHAMAULTE, seigneur des seigneurs de la SAFA à Dizangué, travaillait 365 jours sur 365 que compte l'année, les prêtres et pasteurs se contentaient de dire la messe à 4 heures du matin pour se rendre à l'apéritif chez l'omnipotent CHAMAULTE à 10 heures, le coffre-fort étant devenu le Paradis et le jour du Sabbat traîné dans la boue. Mais, après les luttes d'août 1946, les travailleurs, devant l'inspecteur du Travail GAYON et l'auteur de ces lignes, alors délégué syndical, obtiendront le repos du dimanche, les prêtres trouveront bon de dire leur confortable messe le jour pour condamner la CGT comme une institution de Satan parce que... communiste. Il est inutile de continuer les citations, tout cela montre que l'Eglise coloniale accorde son appui sans réserve non pas à ceux qui mangent leur pain à la sueur de leur front, mais à ceux qui ont comme principe : « Nous mangerons notre pain à la sueur de votre front » et cela est dans les prescriptions du 11e commandement de la mission coloniale de Napoléon 1er et de Louis XV. [PAGE 63]

PATRIOTISME A SENS UNIQUE

Quand la guerre attaque la Patrie des prêtres colonialistes, ceux-ci s'empressent de quitter la soutane pour endosser l'uniforme et prendre les fusils pour tirer en direction ennemie où se trouvent, à l'autre bout, des chrétiens, citoyens de la patrie adverse. Ainsi, en dépit de la loi religieuse : « Tu ne tueras pas »... des hommes appartenant à la même religion s'entre-tuent pour sauvegarder les biens d'ici-bas. Mais quand les chrétiens, citoyens de la patrie colonisée, veulent s'organiser pour secouer le joug de la domination que font peser sur eux les exploiteurs de la patrie du « missionnaire éternel », celui-ci exhibe le Ile commandement du communisme pour accomplir la mission prescrite pour Louis XV et Napoléon Bonaparte. Ainsi la grande loi ordonnée par Jésus : « TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI-MEME » se transforme et cet autre slogan : « Tu protégeras les intérêts de la colonisation et les tiens propres au détriment de la liberté de ton frère de la même croyance qui gémit sous l'oppression, de ton frère de la même patrie ».

Les chrétiens camerounais doivent réfléchir à cela et ils réfléchiront heureusement.

UN AVEU DE TAILLE

Un fait demeure. La mauvaise foi et l'esprit de classe n'ont pas empêché les évêques français du Cameroun de reconnaître qu'une aspiration commence à se manifester un peu partout en ce moment où le Cameroun prépare son indépendance et où les ennemis de l'Eglise veulent le séparer des représentants de Dieu, etc.

Les colonialistes français ont toujours déclaré à l'O.N.U. que la question de l'Indépendance ne se posait pas au Cameroun. Que diront-ils encore après cet aveu contenu dans la « lettre commune » ? Amusons-nous à faire une petite récapitulation. Il y a 700 000 chrétiens catholiques. Parmi ces 700 000 Camerounais, la question de l'indépendance se pose. Il y a un nombre de protestants à peu près équivalent. Parmi eux, la question de l'indépendance se pose. Il y a plus d'un million de musulmans [PAGE 64], ils posent eux aussi la question de l'Indépendance. Que dire alors des fétichistes dont l'Indépendance constitue le seul « PARADIS » ? Après cet inventaire des forces, il apparaît nettement que le peuple camerounais dans son immense majorité réclame son Indépendance, mais les « Seigneurs » de la colonisation sont mécontents de voir qu'en dépit des attaques malveillantes et de la propagande mensongère, l'UPC a fait son chemin et a réussi à jeter la lumière à travers ce peuple que les colonialistes ont prétendu conserver comme grenier de leurs intérêts avec la bénédiction des prêtres et pasteurs colonialistes. Les chrétiens comprennent le danger que représente une politique de complicité qui tend à sauver les derniers débris de la colonisation.

LE TEMPLE TRAHIT

La Bible enseigne que Jésus risqua un jour de faire usage de la chicotte. Ce qui dénote encore sa qualité de Chef des Juifs. Cela se passe au moment où il trouva des trafiquants en train de procéder à des opérations financières dans le temple. Il chassa les affairistes en déclarant : « Il est écrit que cette maison sera appelée maison de prière, mais vous en avez fait une foire pour vos trafics. » Disons tout simplement que les trafiquants chassés par Jésus-Christ semblaient se trouver au fond de l'édifice. Quelle eût été la colère du Seigneur s'il avait trouvé les commerçants et financiers en pleine chaire ? Sa révolte eût été plus grande. Ainsi donc, c'est à nous qu'il appartient d'élever les yeux aujourd'hui et de dire aux seigneurs que la Maison de prière est profanée, non plus par des trafiquants occasionnels mais par ceux-là mêmes qui ont accepté de continuer son œuvre parmi les hommes.

NOUS SOMMES LES PARTISANS DE L'INDEPENDANCE NATIONALE

Nous laissons aux évêques la responsabilité des calomnies et de dénigrer l'UPC. Nous prenons acte de l'affolement qui s'empare des colonialistes à la suite de la prise de conscience du Peuple camerounais et des difficultés auxquelles [PAGE 65] se heurtent les prêtres catholiques dans leur tentative de créer un Mouvement d'opposition à l'Union des Populations du Cameroun.

Devant cette situation, au lieu de répondre à la provocation par la provocation, ou à la querelle par la querelle, nous nous bornons à réaffirmer une fois de plus notre position non seulement vis-à-vis des prêtres de combat, mais vis-à-vis de toutes les religions. Nous avons appris que chacun répondra à Dieu pour son propre compte. Nous faisons nôtre ce principe. C'est pour cela que nous considérons la question religieuse comme une question personnelle devant laquelle chaque individu prend personnellement position. Mais si pour la vie d'au-delà des morts, chacun répondra pour son propre compte, les Camerounais et les Camerounaises doivent comprendre que tous nous répondrons devant l'Histoire sur notre attitude à l'égard des revendications nationales du peuple camerounais.

C'est pourquoi, catholiques, protestants, musulmans, fétichistes et non-croyants, nous devons nous unir et agir ensemble pour hâter l'Unification et l'Indépendance du Cameroun.

Douala, le 22 avril 1955
P. LE BUREAU DIRECTEUR DE L'U.P.C.
p. Le Secrétaire Général
Le Président
F.R. MOUMIE