© Peuples Noirs Peuples Africains no. 9 (1979) 174-182



LA REVUE DES LECTEURS

P.N.P.A.

Pour notre premier anniversaire, beaucoup d'amis nous ont écrit. Parfois un simple mot d'encouragement, mais qui nous remontait le moral, et Dieu sait si c'est souvent nécessaire ! Outre l'océan des tâches et des soucis matériels, en effet, où nous essayons de ne pas nous noyer, il nous faut compter avec les incidents imprévisibles : téléphone coupé le jour de la parution du no 7/8, pour d'obscures raisons; traite impayée par notre banque, alors qu'elle était parfaitement approvisionnée, ce qui a pour résultat que notre fournisseur hésite à nous consentir désormais des paiements par traite. Tous incidents qui, par leur bizarre accumulation, peuvent nous laisser penser, selon que nous sommes optimistes ou pessimistes, ou que la société capitaliste est décidément le dernier lieu de l'irrationnel et de la magie, et que sa survie tient du miracle, ou qu'elle nous réserve vraiment toute sa sournoise et vigilante sollicitude.

Cette sollicitude se manifeste aussi par lettre, nous n'en recevons pas en effet que de nos amis. Mais si nous citons intégralement la seule véritablement haineuse que nous ayons reçue, c'est que cette citation présente un caractère instructif. M. Ch. Lemaire, de Bagnères-de-Bigorre, nous adresse, en effet, le morceau d'anthologie que voici :

« Messieurs, il doit y avoir une erreur dans le titre de [PAGE 175] votre revue « Peuples Noirs, Peuples Africains ». Les masses africaines semblent en effet, vous préoccuper bien moins que la trépidante et extraordinaire vie de Mongo Beti, le grand prophète dont les aventures nous sont contées à chaque page du premier numéro. Nul doute que si les hasards de l'histoire avaient placé M. Beti du côté du pouvoir et non de l'opposition - hypothèse très plausible dans l'imbroglio politique de l'Afrique[1] – il eût encouragé un culte de la personnalité à son intention, digne de Sa Majesté Centrafricaine, Impératrice de toutes les Savanes, ou du vénérable Kim Il Sung, fondateur de la première dynastie monarcho-marxiste du monde[2].

Il est difficile de savoir à qui s'adresse votre revue, car si l'Afrique l'accueille par la censure[3], il est probable que les lecteurs français doivent très vite se lasser de vos rengaines, de votre ton incantatoire et de cette manie infantile d'adjoindre au nom de vos adversaires des qualificatifs rituels du genre « président-fantoche »[4]. [PAGE 176]

L'Afrique n'est pas aussi muselée que vous voudriez qu'elle le soit, et les étudiants de Dakar ne se privent pas de le démontrer dans leurs publications[5]; quant au séduisant commonwealth que vous nous décrivez, le sang « afro-anglophone » versé par Amin Dada ne peut sans doute, selon vous, se comparer au sang « afro-francophone » du carnage guinéen[6] !

Les Français ne comprennent sûrement pas grand-chose à l'Afrique et à ses peuples mais je doute que votre revue puisse les éclairer sur les solutions de rechange que vous proposez pour l'avenir[7]. Votre raison d'être semblant n'être que la hargne iconoclaste et le culte du chef Beti (les contradictions ne vous étouffent pas !), lorsque nous aurons lu vingt fois que les fléaux s'appellent capitalisme, foccartisme, « bantoustans à la française », francophonie, néocolonialisme, etc. nous serons fixés sur l'acte d'accusation et sur le verdict, mais à s'acharner contre « l'assassin » [PAGE 177] comme vous le faites, vous en oubliez la victime : le pays haoussa, le peuple des bidonvilles zaïrois, l'enfant d'Ouganda, etc....[8].

Trop sentimental ? Trop anecdotique ? Trop peu intellectuel ? Digne des missions de charité et non des idéologues de la libération ? A ne penser qu'à assouvir vos haines, vos rancœurs, vos frustrations d'expatriés, vous ne rendez, j'en ai bien peur, aucun service à l'Afrique. La polémique est un jeu d'intellectuels riches, coupés de la réalité et des luttes pour la survie. Vous vous enfermez dans une voie sans issue à vouloir imiter les blancs verbeux et stériles, à vouloir à tout prix vous afficher comme les détenteurs de la vérité, « les seuls », « les rares », les plus radicaux[9].

Lorsque vous parlez des « mystiques de la rentabilité », les mots en viennent à ne plus avoir aucune signification : c'est de la liturgie figée, cela n'a plus rien d'analytique, ou même de politique : avez-vous déjà vu un homme d'affaire [PAGE 178] mystique[10] ? Le mysticisme résiderait plutôt dans votre conviction puérile et caricaturale de lutter à l'avant-garde de la vérité et de la liberté.

Méfiez-vous ! A force de tirer dans tous les angles, à 360o, vous pourriez bien vous mitrailler vous-mêmes par inadvertance [11] !

Avec l'assurance de mon peu de sympathie pour votre revue. »

Si nous nous sommes attardés à polémiquer à propos de cette lettre c'est, d'une part, qu'elle nous paraît symptomatique, car son auteur paraît bien avoir des liens précis avec l'Afrique. Il a dû certainement « coopérer » quelque part. Il peut être utile par conséquent de définir notre position face à ce genre d'idéologie.

Les critiques plus constructives, sur le fond ou sur le détail, les suggestions, les félicitations, constituent la trame d'un véritable dialogue qui s'est établi autour des thèmes suivants : d'abord, mais nous y reviendrons certainement, des réactions très contrastées sur le dossier à propos d'Amnesty. A. M. Gay, de Genève, trouve que « Si critique que puisse être l'organisation Amnesty International, je ne suis pas sûre que relater vos démêlés personnels avec elle intéresse vos lecteurs. Quant à moi, je m'en moque, surtout lorsque deux tiers du no 7 y sont consacrés. Ne pensez-vous pas que ce soit exagéré ? »

G. Sobieski pense que le dossier était « d'une lecture assez difficile. », qu'il y a « un peu trop de place accordée à Mongo Beti, bien que le dossier sur Amnesty International ressemble à une lente remontée vers les sources de la bonne conscience tiers-mondiste de gens bien intentionnés et qui occupent certaines places stratégiques. »

H. Didillon apprécie la forme de « dossier documentaire » [TABLE 179] qui a paru indigeste à certains : « J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le dossier sur Amnesty International, section française. La forme que vous lui avez donnée permet au lecteur une approche personnelle et c'était sans doute la meilleure façon de procéder. » C'est bien ce que pense Xéxès, dans « Charlie-Hebdo » no 440, du 19 avril 79, qui apprécie les « Quatre-vingt dix pages de documents authentiques, reproduits sans commentaires. (...) Ce n'est pas méchant. C'est pire : objectif. »

Par ailleurs H. Didillon remarque, à propos de l'éditorial du no 7-8 : « Là où je ne suis pas d'accord c'est lorsque vous faites, à une personnalité que je ne connais pas, (il s'agit d'A. Grosser) un procès d'intention. Il me paraît difficile de reprocher à quelqu'un ce qu'il n'a pas dit. » Aussi n'avons-nous pas reproché à M. Grosser ce qu'il n'a pas dit (à savoir qu'il serait un ami déclaré de l'Afrique du sud, ce qu'il n'est certainement pas, car c'est très mal porté, et si on l'interroge là-dessus précisément, soyez sûrs que son indignation contre l'Afrique du Sud sera tout ce qu'il y a de plus vertueux.) mais de n'avoir pas dit (nuance, nous constatons nous ne faisons pas de procès d'intention) que le racisme d'état, puisqu'il s'agissait bien de cela avec le nazisme aujourd'hui (comme le journaliste l'invitait à dépasser l'antisémitisme et à actualiser sa réflexion) est pratiqué, à la lettre, en Afrique du Sud et uniquement là. Au lieu de cela il a eu le réflexe conditionné d'une certaine gauche : l'Argentine, Moscou, les droits de l'homme en général. C'est-à-dire qu'au cours d'une discussion précise, sur un sujet précis, ce spécialiste a souffert tout-à-coup d'une bizarre amnésie, puisque le seul phénomène en tous points comparable lui a totalement échappé, alors qu'il tenait là l'occasion rêvée de faire sentir aux auditeurs la spécificité du racisme institutionnalisé. Anodin cet oubli ? Nous ne le pensons pas.

Les suggestions de nos lecteurs sur les sujets qu'ils aimeraient voir traiter sont innombrables et nous ressentons cruellement l'humilité de nos moyens devant ces appels. Ch. Parrot nous dit : « Votre revue est indispensable, ( ... ) Il faudrait en dire plus, sur les Africains en France sur l'origine de Kolwesi... Continuer ce que vous faites ouvre de larges perspectives... Face au super chauvinisme français on entrevoit l'immensité des tâches » [PAGE 180]

F. Damien : « Faites un effort pour donner une place aux « Noirs de la Diaspora », les Noirs sur tout le continent américain. »

Pour répondre à ces deux demandes nous pouvons rappeler d'une part, sur le Congo-Kinshasa, la réédition du livre de Jules Chomé : L'ascension de Mobutu (Petite collection Maspéro) ; d'autre part, sur les noirs en Amérique du Nord l'admirable Autobiographie d'Angela Davis (paru en Livre de Poche), ouvrage qui constitue, ce que son titre n'indique pas forcément, une somme politique sur la question... Mais nous reviendrons plus longuement là-dessus.

L. Faure-Brac voudrait nous voir aborder des « problèmes de fond ». Parmi ces problèmes « L'aide russe aux pays d'Afrique, aide intéressée ou non, le rôle des cubains en Ethiopie... La théorie des nationalités en Afrique : peut-on concevoir une nation sarahouie détachée de la nation marocaine ? Une nation érythréenne détachée de la nation éthiopienne ? Faut-il maintenir l'état tchadien, amalgame d'ethnies disparates ?... Les états noirs de l'union sud africaine : qu'en penser ? »

Certes toutes ces questions se posent en effet de façon cruciale et nous comptons les approfondir. Ce qu'on peut dire brièvement c'est qu'il faut s'efforcer de dégager, derrière la diversité des conflits et des situations, les exigences authentiques qui se manifestent et les haines attisées par les puissances. La dynamique de l'histoire sait d'ailleurs bien faire la différence entre les unes et les autres. Il ne s'agit pas pour autant d'assister passivement à tout ce qui se fait et nous essaierons de recueillir, sur ces questions, des analyses d'un niveau de nature à satisfaire les exigences de lecteurs dont nous sommes fiers.

A propos de certains articles qui ont été trouvés confus ou inutiles : « On ne sait trop quelle position vous prenez par rapport au marxisme ! » Notre revue est pluraliste, ce n'est pas une chapelle et nous avons accueilli des textes très divers. Nous invitons les lecteurs à réagir en demandant éventuellement l'ouverture d'une tribune libre sur telle ou telle question, ou la publication d'une « réponse » à un article qui aurait paru faux dans son information, son analyse ou son esprit.

Ainsi L. Goblot observe-t-il, à propos de l'article « Comment vivent les Noirs de Paris ? ». « Je trouve éloquent que des articles antiracistes, si bons soient-ils, reprennent cette [PAGE 181] idée d'un « seuil de tolérance », qu'il ne faudrait pas dépasser sous peine de violence insupportable. Nous en sommes arrivés, sans les examiner, à employer des concepts forgés par les racistes.

Qui définit un « seuil de tolérance » ? Quelle science définit ce pourcentage ? ( ... ) Cette notion, des plus élastique, qui est employée dans l'aménagement du territoire, ne doit-elle pas être combattue en tant que telle, alors que l'article en question cite une fourchette de 15 à 40 % ? Le plus grand danger de cette expression n'est-il pas son allure scientifique, son semblant de réalité objective, son masque sociologique ... et son efficacité pour justifier des expulsions policières ? ( ... )

Sur quelle échelle calculera-t-on l'influence de ces « seuils » ? et celles du chômage, de la peur orchestrée par « l'information », l'enseignement du mépris ? les besoins de l'Etat de boucs émissaires. »

Les articles sur le Nigéria, sur le Burundi, sur le Mali, sur les langues africaines, sur les tirailleurs sénégalais, ont été appréciés. E. Jason aime : « beaucoup de choses, en particulier le style de Mongo Beti qui donne beaucoup de vie à la revue : il est des choses qu'on ne dénoncera jamais assez. »

J. Monteillard, qui s'est révélé un ami précieux par l'aide qu'il nous a apportée pour que nous puissions mieux dominer notre gestion (et pour nous qui sommes tout à fait en marge des circuits capitalistes de l'édition c'était inestimable) juge « Peuples Noirs très intéressant et surtout indispensable. Une suggestion peut-être : des récits de la vie quotidienne en Afrique aujourd'hui (soit reportage, soit nouvelle) seraient peut-être aussi utiles que des études ou des pamphlets. Je m'explique : l'Afrique pour nous européens c'est quelque chose que simplement nous ne parvenons pas à imaginer dans sa terrible réalité et ce vide de l'imaginaire est sans cesse comblé par les bons nègres Banania, les grands sorciers barbouillés de couleurs et d'autres imageries colonialistes plus ou moins modernisées. »

Parmi les lecteurs africains qui ont le courage, non seulement de s'abonner, mais de nous écrire leur approbation et leur espoir, N.-V. S. souhaite nous voir traiter « des rapports du monde noir et du monde arabe, qui, me semble-t-il, continue à prendre le nègre pour son esclave. Expliquez-nous davantage le mécanisme de l'impérialisme mondial; [PAGE 182] dénoncez les chefs d'Etats africains immensément riches mais aux population archi-pauvres; peut-on atteindre d'une façon ou d'une autre les masses africaines pour les informer du pillage systématique de leurs pays par les rois nègres interposés. »

W.F. dit : « mon enthousiasme et ce sentiment de victoire remportée que j'éprouve devant chaque numéro qui paraît. Si vous aviez peur, vous, si nous continuons d'avoir peur, nous « Peuples Noirs » ( ... ) quel Dieu, quel Vaudou, quelle politique, quel accord décideront de notre être, si de peur nous rampons... »

Cet enthousiasme est partagé par A.C. Grin : « Bravo d'avoir tenu jusqu'au numéro 7, et cela continuera ! ( ... ) j'aime lire votre revue, votre agressivité me convient ( ... ). Que pensez-vous de la campagne « trente millions de mutilées », offrant ainsi toute l'Afrique à la réprobation générale, sans se poser de questions ? L'excision est-elle un tel problème ? moins sans doute que toutes des autres maladies des femmes africaines ( ... ). Ne pourriez-vous pas en parler dans un prochain numéro ? Sujet sans doute délicat, mais finalement politique ! »

C'est, en effet, un de nos projets les plus immédiats. Nous tâcherons de faire quelque chose dans le courant de cette année.

Cette revue se termine avec la lettre amicalement chaleureuse de Michel, « un lecteur du premier instant » : « Tout au long de l'année, j'ai apprécié chaque numéro de votre revue. C'est un souffle dans les crânes de la civilisation occidentale. J'adhère pleinement à vos idéaux. Il est important de reconstruire la mémoire collective de l'Afrique afin de mieux lutter contre l'envahissement définitif de la culture blanche, contre l'invasion et l'agression continuelle des identités culturelles. Mais le combat commence aussi ici, sur le sol français, lieu de départ de la tentaculaire société capitaliste. Je souhaite trouver dans les prochains mois, au sein de la revue, des analyses et études retraçant les faits marquants (luttes sociales, paysannes ... ) de différents pays... en quelque sorte un historique des peuples noirs, peuples africains contre le système de domination.

Je souhaite également « longue vie » à la revue et bon courage ! »

C'est vraiment en effet ce que nous ne posséderons jamais assez ! Merci Michel !

PNPA


[1] Pourquoi faut-il être en Afrique pour que l'hypothèse d'un imbroglio politique soit particulièrement plausible ? Comme chacun le constate, partout ailleurs la politique est tout à fait exempte d'imbroglios. Ce qui sourd de chacune de ces lignes fielleuses c'est évidemment le racisme, un racisme viscéral. Allons M. Lemaire, essayez de raisonner, ne vous laissez pas aller à vos pulsions primitives, sinon nous serons forcés de conclure que Lévy-Bruhl s'est trompé dans sa géographie de la mentalité prélogique !

[2] Avec des « si » on mettrait Paris en bouteille, comme dit le bon sens populaire. Décidément M. Lemaire aime bien peu la réalité et préfère la magie des hypothèses. Ah si tous les nègres étaient des Bokassa ! Malheureusement pour M. Lemaire on ne devient que ce qu'on est, si M. Lemaire est M. Lemaire, et pas Descarte, tant pis pour l'Europe, si Mongo Beti est Mongo Beti, et pas Bokassa, tant mieux pour l'Afrique. Par ailleurs nous nous refusons à émettre des hypothèses sur ce que M. Lemaire, mis par hasard dans des circonstances favorables, pourrait bien faire demain : égorger son chef de service ? Violer la petite fille de la voisine ? Vider les coffres de sa banque ?

[3] C'est bizarre quand même qu'une revue qui manifeste un tel mépris des masses africaines ait besoin d'être censurée. Il est vrai que, sinon, les masses stupides seraient capables de préférer la lecture de ceux qui les méprisent à celle de ceux qui exaltent leur dignité comme Paris-Match.

[4] 0 Mânes infantiles d'Homère, pardonnez à M. Lemaire !

[5] Soit ! Mais quand on pense que pour démontrer le contraire, il y a des étudiants sénégalais comme Omar Diop Blondin qui vont jusqu'à se tuer en se rouant eux-mêmes de coups en prison, il y a vraiment des gens vicieux !

[6] A la différence en effet que l'Angleterre, donc l'anglophonie officielle, a rompu toute relation diplomatique avec Amin Dada, alors que la France protège activement Bokassa et qu'elle s'est finalement réconciliée même avec Sêkou Touré, car elle ne pouvait recouvrer autrement le marché guinéen, après l'échec des divers coups fourrés barbouzo-politiques, lesquels, soit dit en passant, n'ont pas médiocrement contribué à créer chez Sêkou Touré le délire de la persécution qui l'a rendu si malfaisant. Mais, bah, comme disent les anglophones qui n'ont pas de morale, « business is business »

[7] Notre but est d'informer les Français en leur montrant ce que notre expérience a pu nous faire connaître des mécanismes de l'oppression, parce que les Français sont sous-informés et contre-informés sur les pays du tiers-monde en général et sur l'Afrique en particulier. Notre tâche est donc précise et modeste. A partir de ces documents et de ces informations nous pensons qu'ils sont assez intelligents pour réfléchir tout seuls sur l'avenir et déterminer en conséquence leurs conduites. Se taire devant l'intolérable, ou le justifier à tout prix sous prétexte qu'on ne connaît pas l'avenir équivaut à recommander à tout un chacun de la boucler, un point c'est tout. Nous connaissons la chanson. Pourquoi la critique vous gène-t-elle autant M. Lemaire ?

[8] Là nous avouons que nous ne comprenons pas ce qu'on peut faire de plus pour une victime que de s'acharner, dans la mesure de ses moyens, sur son assassin. Il est vrai que, selon M. Lemaire, il y a bien une victime... mais il n'y a pas d'assassin. Le malheur de l'Afrique est en quelque sorte ontologique, fatal. Les bidonvilles zaïrois surgissent par génération spontanée. Ils sont là uniquement pour permettre aux riches d'exercer leur miséricorde. Le trop sentimental M. Lemaire met sûrement une pièce dans le tronc avec la photo du petit africain affamé dessus, sur le comptoir du pâtissier, le dimanche midi, à la sortie de la messe. Le bon pauvre est celui qui mendie. Mais, pour la sentimentalité, nous renvoyons M. Lemaire à Victor Hugo, qui s'y connaissait en sentiment, et à « L'enfant grec ». Qu'il en médite la conclusion, qu'il trouvera probablement bien hargneuse. Les Opprimés sont comme ça, toujours à mordre la main qui essaye de les caresser.

[9] Enfin, voici où le bât blesse l'âne ! Le verbe, le pamphlet, la lutte intellectuelle sont le monopole des blancs. C'est terrible de voir des noirs tout à coup autrement que l'échine ployée luttant pour leur survie, ou alors doux, gentils, bien dressés, donnant la patte pour avoir un sucre. Stérile le verbe ? Voyez-moi tous ces obscurantistes sceptiques lorsque quelque chose, tout à coup, de l'Afrique se met à parler tout seul. Les mêmes viendront d'ailleurs vous parler de la mission civilisatrice de la Bible ou de la culture occidentale... qui ne sont pas du verbe peut-être !

[10] « Mysticisme ». Selon Robert : « Ensemble des croyances et des pratiques se donnant pour objet une union intime de l'homme et du principe de l'être (divinité, etc). « Selon cette définition, l'homme d'affaires semble bien être le plus grand, le plus méconnu, en tout cas le seul vrai mystique de notre temps, c'est-à-dire celui qui est lié par une foi inébranlable au principe de son être, à savoir sa valeur exprimée en monnaie.

[11] Nous nous méfions, M. Demaire, et votre désir profond, bien qu'il soit remarquablement déculpabilisé et sublimé par son identification à P.N.P.A., s'exprime de façon si éloquente que nous en avons froid dans le dos.