© Peuples Noirs Peuples Africains no. 4 (1978), 107-112.



TRIBUNE LIBRE No 1

L'AFRIQUE SOUS LA BOTTE

« Interventions militaires » extra-françaises ou agressions françaises ?

REENI AFRIK

Depuis la fin de la première guerre d'indépendance menée avec succès par le vaillant peuple angolais encadré par le M.P. L.A., la presse occidentale ne cesse de parler d'« agression », de « sécurité », d'« intervention en Afrique noire »... Aussitôt les répétiteurs francophiles d'Afrique n'ont pas manqué de saisir la balle au vol. Mais que faut-il voir à travers ce rideau de fumée ?

L'ECHEC DE L'OCCIDENT FACE A « LA GUERRE DE CIVILISATION »

L'opinion africaine sincère sait que le M.P.L.A. a toujours œuvré pour une véritable libération de l'ANGOLA. De décembre 1956 jusqu'à ce jour, il a su résister aux complots et machinations de toutes sortes : assassinats, créations d'organisations fantoches tribales FNLA, UNITA, FLEC.... sous la houlette des services secrets de renseignements C.I.A., S.D.E.C.E., P.I.D.E.,

Le Mouvement des Forces Armées du 25 avril 1974 fut l'aube de la désintégration de l'empire colonial portugais miné par les organisations nationalistes d'outre-mer. Les [PAGE 108] puissances occidentales misèrent alors sur la soldatesque raciste sud-africaine blanche.

Le 28 août 1975 Vorster lâcha ses troupes contre les masses angolaises à la demande de Kissinger et de la C.I.A et après l'aval de six « gouvernements » africains[1]. Plus de 6.000 Sud-Africains, fortement armés, avançaient vers Huambo. Le 11 septembre 1975, 2 bataillons de « l'armée » de Mobutu appuyés par des mercenaires européens, se lancèrent à l'assaut du Nord de l'Angola. Les deux forces alliées mais rivales – UNITA et FNLA-ZAIRE - tentèrent de serrer en étau le MPLA. solidement implanté dans les Centres urbains. C'est ainsi que CUBA prit ses responsabilités historiques de combattre au côté des F.A.P.L.A.

La bataille engagée fut âpre mais l'issue était certaine. L'organisation populaire, malgré ses contradictions internes, ne pouvait être vaincue par des groupuscules sans idéal révolutionnaire. D'ailleurs John Stockwell n'a-t-il pas récemment expliqué que l'ancien Sous-Secrétaire d'Etat américain aux Affaires Africaines Davis savait bien que sans l'intervention de l'Occident et de l'Afrique du Sud, le M.P.L.A. l'emporterait sur Holden, Savimbi et autres[2] ?

Malgré donc le soutien actif de l'Occident et de la Chine, les ennemis du peuple angolais finirent par battre en retraite. J. Savimbi prit le chemin de l'exil doré à bord de son Jet avec ses pilotes Lonrho, Holden Roberto pourra aller admirer ses immeubles à Kinshasa chez le « Guide Mobutu ».

Les forces sud-africaines commencèrent à se retirer le 27 mars 1976.

La République Populaire, proclamée le 11 novembre 1975, entra ensuite dans sa deuxième phase de libération nationale.

C'est là un échec imprévisible que ni le magnat du diamant Harry Oppenheimer, ni les Rockfeller et consorts ne peuvent digérer. Oui, voilà une « intervention soviéto-cubaine ».

De cette « guerre de civilisation » – selon les termes de l'Africain Cheikh Anta Diop – naquit alors un espoir dans les consciences noires, espoir de libérer la Namibie, le [PAGE 109] Zimbabwe, les Bantoustans voire de briser la citadelle de l'Apartheid.

Cependant les nouveaux conquérants ne désarment point.

ET LA FRANCE SEMBLE MENER LE BAL
DES AGRESSEURS

La mésaventure yankée au Vietnam et l'hostilité affichée de l'opinion publique amenèrent le Pentagone à maquiller sa politique belliciste.

Arrive alors, tout fougueux, le larron français dans le but de redorer son blason de néocolonialiste quelque peu terni ces temps derniers. Quant aux régimes francophiles, ils seront chargés d'intoxiquer les esprits, essayant de justifier les crimes du gouvernement français en Afrique. La déclaration du Président L.S. Senghor du Sénégal illustre parfaitement cet état de fait : « j'ai toujours approuvé l'intervention de la France pour défendre ses amis agressés de l'extérieur » (Paris le 19 Mai 1978). Accusant d'une façon peu voilée le gouvernement de A. Neto, il ose affirmer que « l'Afrique n'a jamais connu d'intervention de 1960 à 1975 ». Mieux, dans une interview accordée au Journal français « Le Figaro » du 19 juin dernier, il renchérit : « La troisième guerre mondiale a commencée en Afrique, en Angola ».

Le « Général » Mobutu, « héros de la guerre de 80 jours » rejette la responsabilité du récent soulèvement populaire au Zaïre sur l'Angola, les Soviétiques, les Cubains, les Est-Allemands, l'Algérie... et bientôt sur son peuple ! La dernière conférence franco-africaine tenue à Paris fut l'occasion d'étaler des contre-vérités aussi ridicules que grossières. Un vrai défilé des tenants de la francophilie : du vieux logocrate latin enroué au sinistre analphabétocrate centrafricain.

Mais laissons parler les faits :

– Le pouvoir Giscardien prétend aider les Africains et surtout dans le domaine économique. « L'Aide » publique française en 1978 représente officiellement 0,76 % du P.N.B. Cependant 34,27 % de ce budget est destiné à l'arme pernicieuse qu'est la « francophonie ».

– Il est vrai que, dans le secteur militaire, la France a fait des efforts; les dépenses de matériel et d'équipement passent de 3,9 milliards CFA à 16,5 millards F CFA soit une augmentation de 70,75 % ! Pour quoi faire ? Evidemment [PAGE 110] pour protéger le profitariat africain et piéger les peuples de ces pays. D'autre part il faut signaler que – contrairement à sa propagande – la France est le pays qui exporte le plus d'armes. Selon les études faites par le Centre d'Information et de Coordination pour l'Action non violente, « pour 1 habitant l'URSS exporte 88 francs français, les USA 202 FF, la France 400 FF d'armes. Pour 1 milliard de produit national brut les USA exportent 6,6 millions, l'URSS 11 millions, la France 15 millions[3] ».

Ce n'est un secret pour personne que la France arme et livre à Prétoria des usines d'armements les plus sophistiquées, « clés en main ».

En août 1976 à Colombo, les pays non-alignés, à la quasi unanimité, ont condamné la France à cause de ses complicités criminelles à l'encontre des peuples noirs d'Afrique Australe. Bien sûr, les commis francophiles ont immédiatement pris leurs distances : Au Sénégal par exemple l'ex-Ministre d'Etat des Affaires Etrangères, Assanne Seck, refusa de s'associer à cette condamnation.

– Lors de l'éclatement de la fédération du Mali en août 1960, le Lobby français n'a pas hésité à intervenir « les responsables du Soudan – et parmi eux Modibo Keita – étaient retenus à Dakar, arrêtés par un colonel français, le Colonel Pierre » (voir Aujourd'hui l'Afrique, revue de l'AFASPA, no 9, page 4).

– Au Gabon, en 1964, les paras français quittent Dakar pour rétablir le régime corrompu de feu Léon Mba.

– Au Bénin, le 16 janvier 1977, l'intervention française dans le raid sur Cotonou est plus que présente dans les mémoires. Les mercenaires français, les capitaines Innarelli et Raymond Thomann exécuteront froidement les ordres de l'Elysée. Ces mêmes agresseurs voleront peu de temps après au secours de Mobutu.

– Au Sahara Occidental, au Tchad, au Cameroun.... les peuples vivent quotidiennement sous la terreur instaurée par l'impérialisme totalitaire français.

L'Angola doit toujours faire face à la présence militaire française camouflée au sein de l'UNITA : « lorsque les sud-africains retirèrent leurs instructeurs de Silva Porto, les [PAGE 111] mercenaires français travaillant pour le S.D.E.C.E. prirent la suite, de bien des façons les Français se sont montrés plus aventureux que les autres Occidentaux », écrit Robert Moss dans la revue le Monde Moderne, no 15...

Tous ces faits dénotent le mépris de V. G. d'Estaing à l'égard de nos peuples quand il clame « l'Afrique aux Africains ».

A chaque fois que ses intérêts politico-économiques sont menacés, la France réplique par des assassinats ou des coups d'Etat militaires : Tchad, Niger, Congo, Comores...

Les organisations de masses sont partout surveillées à la loupe par l'Elysée et ses agents locaux : l'U.P.C. du Cameroun, le R.N.D. de Cheikh Anta Diop au Sénégal...

LES PEUPLES NOIRS NE SERONT PAS DUPES

On nous rabâche à longueur de journée que le Kremlin veut tout simplement étendre et consolider ses positions en Afrique : contrôler les voies maritimes par lesquelles passe l'or noir du Moyen Orient, récupérer les églises coptes éthiopiennes, imposer une idéologie dite étrangère, etc. Ce qui est palpable en ce moment, c'est la présence écrasante de la haute finance judéo-américano-européenne. Ce qui est vrai c'est que l'Union Soviétique et Cuba n'ont participé ni de près, ni de loin aux massacres perpétrés à Kassinga, à Zouérate, au Shaba...

L'important pour les peuples noirs éthiopiens c'est de vivre tout en préservant l'intégrité de leur territoire qu'on tente de dépecer à tout prix. Ils n'entendent point être phagocytés dans une djihad arabesque ourdie par l'Occident.

L'important pour les Congolais, c'est de construire une nation forte et respectée. Cela passe nécessairement par le renversement du régime de Mobutu fabriqué par la C.I.A. et entretenu par l'OTAN. De même la destruction de toute la machine répressive française fourrée en Afrique est une nécessité impérieuse pour les peuples.

Force nous est de reconnaître que l'Union Soviétique et Cuba sont des alliés objectifs des peuples africains dans leur lutte de libération. Puissent ces pays continuer à s'aligner sur des positions justes !

Seuls les naïfs osent aujourd'hui croire à la solidarité de la Chine avec les peuples africains. Presque partout en [PAGE 112] Afrique la classe dirigeante chinoise a trahi nos intérêts. La maxime « les pays veulent l'indépendance, les nations veulent la libération, les peuples veulent la révolution » qui leur était si chère était-elle alors une simple mascarade ?

Quoi qu'il en soit, le jour où l'Afrique, acculée, brandira ses brigades populaires, elle aura déjà distingué ses vrais amis. Les Partis et organisations censés représenter les peuples français et autres ont tout intérêt à faire cause commune avec l'Afrique des peuples. Pas de révolution européenne sans révolution en Afrique. Tant pis pour les démagogues véreux

Fait le 25 juin 1978

Signé : REENI AFRIK


[1] Il s'agirait des pays suivants: SENEGAL, COTE D'IVOIRE, TUNISIE et ZAIRE voir Vouvrage « Les Putains de l'Impérialisme » de WILFRED BURCHETT et DERECK ROEBUCK; éd. Maspéro et NEWSWEEK du 17 mai 1976.

[2] Cf.: « In search of Enemies a CIA Story » W.W. Norton, New York, de JOHN STOCKWELL

[3] Cf.: « Les trafics d'armes de la FRANCE », édition 1977 – François Maspéro, p. 19.