© Peuples Noirs Peuples Africains no 2 (1978), 183-188.



TRIBUNE LIBRE
L'Apartheid et l'hypocrisie de gauche en France

Amidu MAGASA

1978, année Onusienne contre l'apartheid !!!

1978, année internationale contre l'Afrique au milieu de la violence armée des superpuissances (Américaine, Soviétique, Anglaise, Française, Chinoise et Cubaine ... ) par nègres de service interposés au nom de nationalismes mal-avoués.

L'histoire universelle nous enseigne que la conquête d'un pays par un autre pays obéit à une stratégie militaire bien connue des Français, en l'occurrence celle de Galliéni au Soudan Français (Mali) à la fin du XIXe siècle et qui consistait à faire des carrés de nègres au milieu desquels se cachaient des soldats français. C'est ce que l'officier français exprime ainsi : « Ce sont de fiers soldats, ces cavaliers indigènes, les premières balles leur sont destinées, mais peu importe, ils n'hésitent jamais »[1]. Puisqu'il ne peut y avoir de conquête militaire sans adhésion idéologico-culturelle (la défaite américaine au Vietnam en est la plus récente illustration), le totalitarisme occidental réussit à sécréter des êtres abstraits, des nègres de service ou nègres-tampons, que sont les intellectuels africains.

En 1978, les Africains continuent à offrir leur tête et leur corps comme chair à canon de la droite ou de la gauche, du capitalisme ou du socialisme; mais jamais pour eux-mêmes, dans aucun des conflits actuels. L'Afrique vivrait-elle sa préhistoire ? Selon les religions monothéistes, athées ou non, il s'agirait là de la malédiction divine des fils de Cham. [PAGE 184]

Cette idéologie religieuse cautionne toute la morale politique des superpuissances dans leur volonté de culpabiliser et d'auto-culpabiliser les nègres de la même manière qu'avec le capitalisme triomphant au XIXe siècle, sous bannière britannique, la femme blanche fut violée dans son équilibre affectif par la misogynie technocratique de la révolution industrielle. Tous ces deux viols, le corps de l'homme noir et le corps de la femme blanche, se font au nom d'une seule valeur : le machisme de l'homme blanc ! Un regard indiscret dans les rues de Paris permet de lire que ces deux corps se retrouvent, bras-dessus bras-dessous, dans une solidarité humaine d'être violés. C'est encore voilé à Johannesbourg où des jeunes lycéens ont ouvert, depuis le 16 juin 1976, la plus importante brèche culturelle du XXe siècle, par leur refus d'apprendre l'Afrikaans, symbole linguistique de cette supériorité masculine des Boers, ces paysans hollandais. Le nègre sauvage assassiné cet été par Kruger à cause de son regard, Steve BIKO, est devenu le symbole, hélas martyrisé, de la conscience noire, dans sa nouvelle dynamique culturelle. Les émeutes de la jeunesse urbaine de Bamako durant la visite giscardienne de 1977 au Mali en sont une illustration francophobe. En cela Carter et Giscard ont raison de dire que la prochaine bataille africaine sera culturelle car c'est aujourd'hui le seul continent qui dispose d'une potentialité exprimée par le refus de Soweto.

L'Afrique du Sud, c'est surtout l'apartheid et l'apartheid, c'est surtout une morale universelle de l'homme au pouvoir, qu'il soit noir, ou blanc, de droite ou de gauche. En tant que président de la République ou citoyen, professeur ou étudiant, père de famille ou enfant, l'homme se situe dans ce champ de l'apartheid, de lutte pour le pouvoir de soi et pour soi. D'où la réflexion actuelle de tous les animaux-pensants pour détruire toute forme subtile ou violente de pouvoir socio-historique. Mais le pouvoir est toujours mort là où il apparaît très vivant dans son aboutissement totalitaire. En Afrique et ailleurs, la question du pouvoir n'a jamais été qu'une question sexuelle et affective, une aspiration légitime chez chaque être humain dans sa lutte solitaire pour son équilibre biologique et social. Dans une autre langue et langage que celui de Pierre Bourdieu (Centre de Sociologie Européenne, M.S.H. 54, bd Raspail, 75007 Paris) les Manding disent qu'il y a pouvoir et reproduction de pouvoir : « Kooro bè a mònyòiò fari da ». [PAGE 185]

A cet égard, l'Apartheid Sud-Africain est la représentation territoriale et étatique de toute la civilisation Européocentriste, le produit le plus fini de sa volonté de puissance pré-Hitlérienne, depuis quatre siècles de procès esclavagiste en Afrique.

Vu de Paris, l'apartheid sud-africain apparaît comme la mauvaise conscience de l'ex-Programme Commun, cette gauche honteuse de la bourgeoisie française que le comité Europe Tiers-Monde n'a pas manqué de critiquer en 75 dans un ouvrage collectif « White Migration to Southern Africa » en des termes sans ambiguïté : « But the case of France is more disturbing as they seem to be an increasingly strong prosouth african lobbies in that country. We therefore hope one of the resultas of this study will be to stimulate sympathizers in France to undertake the same rechearch in their country and subsequently to take the necessary steps to prevent their compatriots from going to South Africa ». Il n'y a pas que la bombe atomique française ou la firme Peugeot en Afrique du Sud, il y a aussi des Français que Kruger recrute quotidiennement à Paris pour aller tuer des enfants noirs sur notre continent. En cette période de crise du système capitalo-totalitaire, matérialisé par le chômage des jeunes Français, sa tâche d'enrôleur de mercenaires doit être très aisée puisqu'un blanc d'Afrique du Sud a le niveau de vie le plus élevé du monde. C'est dans un contexte très électoraliste, qui occulte toutes les questions de fond au nom du marchandage politique et de la vente publicitaire de tel produit giscardien contre tel produit miterrandais, qu'un certain nombre d'organisations de la gauche française, à l'appel du Comité Outspan ont participé le jeudi 25-01-78 à 20 h 30 à un meeting intitulé : « Non à l'apartheid, Afrique du Sud-France, Non aux liens nucléaires ».

A l'évidence, le thème de ce meeting bonne-conscience a plus de connotation écologique qu'africaine. Le ton et la qualité des intervenants étaient à la mesure de cette église de la gauche française pour un publie de la messe du dimanche, dans le jeu du confesseur et du confessé. Ce ton mélodramatique fut brisé violemment, de manière très symbolique, par un Africain.

Les discours marxisants se capitalisant à la tribune par accumulation de propos luttes-de-classes, les orateurs ont voulu, une fois de plus, nier la lutte des races au nom de la primauté de l'uniformisation économique sur la diversité culturelle [PAGE 186] des individus. Ceci, malgré la réalité de l'apartheid français en France. Nul n'ignore qu'à Marseille et à Paris en 1978, il existe des prisons clandestines pour parquer les travailleurs immigrés avant de les expulser vers leurs différents pays africains. Tous les amis français des Africains savent qu'ils doivent éviter l'axe parisien Sud-Nord, leur zone d'habitation et de loisir, s'ils ne disposent pas d'une carte de séjour. Quelle différence entre la carte de séjour en France, exigée pour un professeur noir et un balayeur de rue noir et le pass sud-africain ? Ces remarques de lutte de races donc de lutte culturelle, ne veulent en aucun cas éluder la question tant rabâchée de la surexploitation économique des travailleurs africains, migrants à Paris ou dans les mines de diamants d'Afrique du Sud. De même qu'on situe aisément le viol sexuel des travailleurs immigrés à Paris et à Johannesburg, du fait qu'ils sont entassés dans les mêmes conditions de célibat et qu'on leur refuse, ici et là, le droit de jouir en famille. La question fondamentale, c'est qu'il n'y a pas d'intérêt humain sans la synthèse courageuse de l'intérêt de race et de l'intérêt de classe. Le cynisme de nos donneurs de leçons blancs à l'Université est le même que dans les partis politiques français (les immigrés n'ont pas ici le droit de vote comme en Afrique du Sud) si l'on juge par la multiplication des livres relatifs à ce pays depuis que plus de 1600 jeunes lycéens noirs y ont été assassinés en juin 76 à Soweto.

Mais, comme chante cet auteur du reggaë jamaïcain, Peter Tosh : « Tout le monde veut aller au paradis mais personne ne veut mourir » ... ... James Matthews, un de ces jeunes poètes de la nouvelle génération Soweto d'artistes-politisés, écrit en s'adressant à ses maîtres blancs :

« Vous nous avez appris
que vous n'aviez pas de raison
alors rengainez vos raisonnements
le jour où notre rage vous trouvera ».

Tandis que Basile Somlahlo enchaîne [2] :

« Ne fais pas les choses à ma place, laisse-moi les faire
Ne penses pas à ma place, laisse-moi penser tout seul
Tu m'ennuies avec tes pensées
Je n'ai pas besoin de mère-poule »[3] [PAGE 187]

Il est vrai que la poésie n'est pas encore au pouvoir en Afrique. Malgré tous nos poètes-présidents de Normandie et d'ailleurs, tous les nègres sauvages de Paris sont des Sud-Africains !

Dans les conditions actuelles. l'Africanisme Français, médiéval dans sa conception totalitaire, creuse sa propre tombe, sans un seul nègre comme fossoyeur de service et comme disent les Manding « Don ka jan, nka a sebali tè ». Mais quand le Français exorcisera-t-il son hypocrisie de gauche honteuse pour que s'exprime la véritable amitié avec les Africains, par une liquidation concrète des pratiques de l'apartheid à Paris et à Johannesburg ? Soweto est un message de justice, de liberté et de soleil contre le totalitarisme universel. Le soleil est d'abord sud-africain, chers amis français, même si l'ignorance et le mensonge institutionnalisé sont au pouvoir dans ce monde de violence.

Amidu MAGASA
Enseignant chercheur en Manding
INLCO (Université Paris III)


[1] Galliéni, Voyage au Soudan Français 1880-81, Paris, p. 58.

[2] Poètes Noirs d'Afrique du Sud, Présence Africaine, Paris, p. 31.

[3] et p. 135.