© Peuples Noirs Peuples Africains no 2 (1978), 83-120.



GUINÉE-CONAKRY : UN ETAT RÉVOLUTIONNAIRE ?

A.S.T.G.F.

Les lecteurs doivent être prévenus. Parler de la répression en Guinée-Conakry d'une manière exclusive et descriptive nous ferait passer à côté de notre projet. La Guinée est un cas, et l'image d'Epinal que ses soutiens extérieurs ont donnée de son Etat nous oblige à les attaquer d'abord sur la politique étrangère et sur la politique africaine de celui-ci, c'est-à-dire sur leur propre terrain.

UNE ETRANGE POLITIQUE ETRANGERE

Il y a une quinzaine d'années, lorsque les progressistes guinéens avançaient, documents en main, que, malgré l'euphorie générale, la Guinée était déjà une néocolonie, et même, en dernière analyse, un des exemples les plus exécrables d'une nouvelle forme de domination étrangère, il se passait deux choses : ou le dialogue s'abîmait dans une incrédulité moqueuse; ou ils étaient rejetés sans ménagement – entendez : par la manière forte – dans le « camp de la réaction ». « Celui qui a dit non à de Gaulle ! », « Celui qui... », « Celui que... ». On était parti pour un chapelet d'anecdotes. Il était question d'un territoire, d'un Etat, d'une société -, voilà que, sans savoir comment, on était mis en demeure de s'agenouiller devant un individu providentiel. Face à nos interlocuteurs « de gauche » toutes nuances confondues ou à nos marchands [PAGE 84] africains d'« anti-impérialisme » (pas tous, heureusement), nous étions un beau prétexte – mais rien de plus – pour mener un débat « interne » puisqu'ils commençaient rituellement par expulser de leur « sujet » le peuple guinéen.

Bref, il était urgent de nous taire. Ramener à un individu une société entière, eût-elle comme gangue un morceau de terre artificiel matérialisant l'arbitraire colonial, avait quelque chose d'insolite. Il était encore plus insolite de voir les extrêmes se rejoindre pour affirmer, sur le ton d'un verset du Coran, que la Guinée était un Etat socialiste et M. Sékou Touré son guide éclairé – ou exécré. Peut-être, prenant à la lettre ces propos, notre Robinson Crusoé politique avait-il cru devoir proclamer que, s'il le fallait, il gouvernerait les arbres... en exterminant les Guinéens

Néocolonial, capitaliste et semi-féodal !

En tout cas, éconduits ou non, nous maintenions avec fermeté que le régime (politique, économique et social) du parti de M. Sékou Touré était – et il le reste - néocolonial, proaméricain, capitaliste et semi-féodal[1]. Il ne pouvait donc, sauf mirage, avoir rien de commun avec un pouvoir populaire ou socialiste. La pluie de faits, confirmés par l'actualité, qui sont au-dessus de toute contestation, venus montrer, en matière de politique étrangère, que les actuels dirigeants guinéens sont marqués au fer rouge par la constante anti-populaire de leur pouvoir nous dispense d'une trop longue énumération

En 1960, soit deux ans seulement après le « non » guinéen à la très néocoloniale « Communauté » franco africaine gaulliste, le nouveau président américain, John Kennedy, attirait l'attention sur l'Afrique : « J'ai demandé au gouverneur [Mennen] Williams d'accepter un poste de responsabilité qui ne le cède à aucun autre. » Conscient de cette « mission », le secrétaire d'Etat adjoint aux Affaires africaines renchérissait lui-même en affirmant : « Ce qui se produira sur le continent africain au cours des prochaines années décidera sans doute si le restant de ce continent verra une [PAGE 85] expansion de la liberté (sic) ou de nouveaux gains du communisme. » A la suite d'une tournée africaine, Richard Nixon, alors vice-président des Etats-Unis, nourri au sein de l'Amérique de Foster Dulles, s'était exprimé d'une manière encore plus abrupte dans un rapport présenté en 1956 : « Contrôler l'Afrique, c'est contrôler le monde. »

Si les forces dites « de progrès » (singulièrement celles des métropoles coloniales) avaient saisi toute la portée de cet avertissement, que de cruelles désillusions, certaines très actuelles, n'aurait-on pas épargnées aux peuples en lutte, et pas seulement en Afrique ! Il n'en a rien été.

En 1961, un principe hégémonique, qui avait au moins le mérite de ne pas être un secret d'Etat, allait ainsi, tranquillement, trouver en Afrique noire un agent d'une efficacité d'autant plus redoutable que, passant de l'indifférence suspecte à la myopie politique, pays socialistes et partis dits « communistes » occidentaux s'étaient mis en devoir de conditionner une opinion mal informée de l'évolution politique du continent africain. Cette année-là, l'envoyé spécial de John Kennedy, Averell Harriman, avait rencontré un Sékou Touré au faîte de sa popularité... internationale et traité de « communiste » sur toutes les places d'Occident. La confidence recueillie alors par le diplomate américain n'en était que plus révélatrice : « Sékou Touré m'a dit qu'il voulait développer les relations avec l'Ouest et encourager les investissements privés. [C'est parce que] la France était partie de Guinée, en 1958, en laissant le pays s'effondrer [que] les Guinéens acceptèrent l'aide des communistes. Sékou Touré m'a déclaré fermement qu'il ne voulait pas tomber sous la domination des pays de l'Est[2]. »

Y'a bon, le capitalisme !

Passant de la profession de foi capitaliste aux actes, les dirigeants guinéens laissèrent investir 70 millions de dollars (17,5 milliards de francs C.F.A.) de 1962 à 1966. Les trusts français Péchiney et Ugine-Kuhlman furent vite ravalés, dans l'exploitation de la bauxite, au rang d'obscur second derrière Harvey Aluminium, Alcan, Alcoa et Olin Mathieson.

[PAGE 86] A la mi-mars 1966, à la suite d'une rencontre entre l'actuel Premier ministre guinéen, Louis Lansana Béavogui, et M. Dean Rusk, alors secrétaire d'Etat américain, l'investissement de capitaux U.S., qui avait subi une « pause » tactique, devait s'amplifier : 24,4 millions de dollars d'« aide » technique de l'U.S.A.I.D., 10,6 millions de dollars au titre du programme « Food for peace » – vivres pour la paix ! -, « aide » assortie d'une clause secrète pour l'ouverture de comptes spéciaux destinés au remboursement de la dette. Depuis, il ne s'est jamais démenti.

En 1977, la dette publique guinéenne s'élevait à 1059 millions de dollars, essentiellement d'origine occidentale. Cela explique que 96 % des exportations totales du territoire reposent sur la bauxite et ses dérivés exploités, en premier, par les trust américano-canadiens (49 % des actions attribuées à l'Etat guinéen étant couverts, en fait, par des bailleurs de fonds... occidentaux !).

Ceux qui seraient tentés d'objecter que nous dévoilons là des secrets d'Etat, alors inaccessibles au commun des mortels (qui auraient dû se le tenir pour dit afin de modérer leur suivisme), seront sans doute intéressés de savoir qu'à l'instar des Volontaires du progrès, en France, le Peace Corps, corps d'espions légalisé, particulièrement pervers puisqu'il s'insinue jusque dans l'intimité de la vie du peuple et opère au grand jour, comptait au moins quatre cents membres en 1966, en Guinée, au moment de sa très brève expulsion. C'est ce qui a fait dire à M. William Attwood, l'ambassadeur américain nommé en février 1961 à Conakry : « Le fait, pour un pays comme la Guinée, qui a la réputation d'être sous l'influence communiste, d'accepter de recevoir le Peace Corps, au moment même où Moscou et Pékin[3] faisaient une propagande tapageuse pour le discréditer, ouvrait la voie à la pénétration du Peace Corps dans les autres pays en la rendant politiquement plus acceptable[4]. »

Du reste, Washington était si sûr de l'orientation capitaliste des dirigeants guinéens (ce qu'établirait scientifiquement, aujourd'hui, la plus superficielle analyse sociale) que l'administration Johnson avait garanti pour 72 millions de [PAGE 87] dollars contre toute nationalisation les compagnies nord-américaines désireuses d'investir en Guinée. Déjà, au moment où il était en poste à Conakry, M. Attwood s'était convaincu que la Guinée ne serait jamais communiste puisque ses dirigeants rejetaient le matérialisme historique et la lutte des classes[5] Magistrale leçon de marxisme donnée à ceux qui ne peuvent s'offrir des cours particuliers !

Faut-il le dire, notre propos n'est pas, ici, de prendre la défense d'une théorie, mais de montrer que ceux qui en faisaient leur carte de visite avaient tout pour être fixés, à l'époque, sur la nature de l'Etat guinéen dirigé par M. Sékou Touré. Ils se sont tus : comment s'en étonner ? L'Union soviétique a ainsi fait en Guinée son apprentissage colonialiste : le territoire sur lequel règne le parti de M. Sékou Touré est, en dehors de l'Est européen, le seul où l'Union soviétique ait appliqué un colonialisme limité, certes, mais de type classique : elle exploite directement la bauxite par l'intermédiaire d'une compagnie, l'Office des bauxites de Boké, spécialement créée à son intention en août 1970 et inaugurée le 23 février 1972; elle extrait la quantité de minerai qu'elle veut; elle fixe comme bon lui semble le prix à payer (il était du tiers du prix mondial jusqu'en 1977, il est maintenant des deux tiers).

Aussi ne faut-il pas s'étonner si les conflits africains que Moscou met à profit (en Egypte, dans l'Est africain, en Angola) pour imposer son ordre (lorsqu'elle cherche, par exemple, à bricoler une fédération anti-africaine entre Ethiopiens, Somaliens et... Sud-Yéménites, mariage de continents où l'Afrique a tout à perdre) et jeter les bases d'un nouvel impérialisme (telle son ancienne base de Berbera, en Somalie) n'ont jamais été appréciés par les dirigeants de Conakry autrement que pour rester dans les bonnes grâces de M. Leonid Brejnev.

... Et pour quelques pétrodollars de plus

La soumission de l'Etat guinéen à la réaction arabe, singulièrement l'Arabie Saoudite, a, elle, quelque chose de déconcertant. Elle a des incidences directes sur l'attitude de [PAGE 88] Conakry à l'égard des Peuples palestinien et sahraoui. La mollesse d'initiatives toutes verbales montre que le parti de M. Sékou Touré sait jusqu'où il faut ne pas aller trop loin. Parfois même, oublieux de ses engagements platoniques, il s'acoquine avec le camp adverse (Israël, Maroc) pour faire monter les enchères.

En revanche, avec le féodal Khaled d'Arabie Saoudite, M. Sékou Touré répond amen à tout : de la mosquée construite avec des millions de dollars, au moment où le peuple a le plus grand besoin de moyens financiers pour assurer sa survie aux froids rapports d'argent sur lesquels veille avec impénitence la Banque arabe de « développement » économique de l'Afrique.

Depuis 1974, M. Sékou Touré n'a rien épargné pour s'assurer, en vain, le concours des capitaux arabes : accueil de feu Fayçal d'Arabie, de l'imam de La Mecque, du président du Conseil islamique mondial; érection de l'islam en religion d'état de fait et en théorie de la... révolution « socialiste » création d'une Société guinéo-«arabe» d'alumine et d'aluminium, etc. Il attendait quatre milliards de dollars destinés à des projets économiques divers (dont la bauxite d'Ayékoyé en Basse-Guinée), chiffre vite ramené à deux milliards, puis à des broutilles... qu'il attend toujours de pouvoir ramasser, mendiant guinéen. Il y a loin de la recolonisation des esprits aux miettes de pétrodollars devenus les troupes de choc d'une nouvelle djihad contre les « moussa » qu'ont toujours vus en nous, Africains noirs, ces princes d'un autre siècle 1

France, paradis retrouvé

Passons le Viêt-nam, Cuba, la République démocratique allemande, à propos desquels s'étaleraient les mêmes accusations irréfutables contre un Etat guinéen d'un « socialisme » très particulier... Il est intéressant de clore ce chapitre par le cas français. Que de fois n'a-t-on pas soutenu que la Guinée était la seule des anciennes colonies françaises où Paris ne faisait pas la loi ! Ceux qui se faisaient l'écho d'un tel slogan savaient bien pourtant qu'il était creux. En effet, si la rupture des relations diplomatiques guinéo-françaises s'est maintenue, une décennie durant, à partir de novembre 1965, des compagnies françaises n'en opéraient pas moins en[PAGE 89] Guinée : tels Pechiney, Ugine-Kuhlman, Jean-Lefèvre et U.T.A. (pour l'acheminement du courrier), parmi les plus importantes. Simplement, du temps du général de Gaulle, le trust Pechiney ne voyait pas d'un bon œil un nouvel échange d'ambassadeurs, car il redoutait de faire les frais d'un éventuel éclat de la politique gaulliste. Depuis juillet 1975, les rapports ont été rétablis. Des contrats d'un montant de 250 millions de francs français ont été signés avec Renault-Saviem, M.T.E.-Francorail, Berliet et Degrémont. De nombreux autres, infiniment plus importants, sont en cours d'exécution ou de discussion – C.F.P., Usinor-Solmer, Commissariat à l'énergie atomique, Philips-Thomson, Peugeot, etc. Si ces retrouvailles ont quelque intérêt pour nous, c'est surtout dans la mesure où elles montrent le degré d'essoufflement de l'économie capitaliste de l'Etat du P.D.G.[6]. C'est ainsi. qu'en 1977 Conakry a vu dans le paiement de l'arriéré des pensions des anciens combattants guinéens une source inespérée d'argent frais pour calmer les esprits. La somme ne s'élevait pourtant qu'à cinq petits milliards de francs C.F.A. (100 000 000 F.F.), presque aussitôt et entièrement dépensés... en France ! De même, le « parti-Etat » (comme le dit sans peur du contresens le dictateur guinéen) est tellement à court de liquidités pour ses paiements extérieurs qu'il a dû contracter, auprès de la France, il y a un an, une dette de vingt millions de francs pour honorer ses engagements envers l'entreprise française de travaux publics Jean-Lefèvre installée... à Conakry !

En profitant des déclarations d'un anonyme Guinéen du Parti socialiste français, en mars 1977, pour abreuver d'injures celui-ci, sans reculer devant le mensonge, le gouvernement guinéen s'était simplement acquitté d'une dette : montrer que la gauche française, rouge ou rose, était bien morte dans l'esprit des responsables du P.D.G.

Comme pour lui rendre la pareille, le président français, M. Giscard d'Estaing, a décerné un brevet de radicalisme à l'Etat guinéen dans une conférence de presse. Bien placé pour apprécier un tel « radicalisme », le gouvernement de Boumediène, aux dépens duquel avait été faite la comparaison, n'a pas dû s'en offusquer outre mesure. Le gouvernement français a évidemment le droit d'avoir son avis sur un.[PAGE 90] Etat africain. Mais cette incursion « idéologique » dépasse largement une simple digression. En 1974, l'interdiction d'un bulletin intérieur ronéotypé, l'Etudiant guinéen, dont la publication avait été interrompue deux ans plus tôt, et celle d'un ouvrage, Prison d'Afrique, en 1976, montrent assez, semble-t-il, qu'entre Conakry et Paris a été fait davantage un constat d'alliance que celui d'une différence. Il faut savoir reconnaître ses amis. Pauvre « regroupement des Guinéens à l'extérieur[7] » !

Cette profusion de relations publiques nous dispense d'examiner la thèse d'un pouvoir révolutionnaire encerclé : des cas précis, connus de tous ceux qui savent comparer, rendraient justice d'un tel truc.

Ainsi, les citadelles dans lesquelles les soutiens à distance de l'Etat capitaliste guinéen se barricadaient – car, depuis quelque temps, l'autocritique n'étant pas leur fort, ils préfèrent s'enterrer – s'effondrent au moindre contact des faits, simple énumération dont on ne peut pourtant dire qu'elle s'apparente à un tir d'artillerie.

Reconnaissons-leur une évidence qu'ils n'ont pas voulu formuler : enfermé dans des frontières qui sont non la marque physique d'une souveraineté, mais le rappel matériel d'une impossibilité de développement progressiste indépendant, l'Etat guinéen ressemble, dans un monde où l'impérialisme, le chauvinisme de grande puissance, l'opportunisme diplomatique et l'arrogance des nouveaux riches vont tout cynisme dehors, à un bien frêle esquif sur la scène mondiale. Mais lui demandait-on tant ? L'Afrique, continent où tout doit renaître depuis que l'Occident y a plongé ses griffes d'anthropophage, ne lui offrait-elle pas l'occasion de donner sa mesure ? Encore une question pour rien.

UNE POLITIQUE ANTI-AFRICAINE SUR TOUTE LA LIGNE

Dans sa politique africaine, la tactique du P.D.G. est constante. Elle consiste à soutenir verbalement les « bonnes causes » pour mieux les trahir dans les faits. Toute l'histoire.[PAGE 91]récente de la lutte des peuples africains se charge de donner autant d'exemples que l'on veut de cette politique de prestidigitateur, car depuis vingt ans le parti unique et l'Etat guinéens sont entièrement au service de l'impérialisme américain et de la réaction internationale contre la libération et l'unification des peuples du sud et du nord de l'Afrique. Nous ne serons jamais assez d'accord – une fois n'est pas coutume - avec M. Sékou Touré lorsqu'il livre, comme il l'a fait devant des journalistes américains, la recette pour apprécier la politique appliquée par son régime : « Ne nous jugez pas sur ce qu'on dit de nous, ni même sur ce que nous disons, jugez-nous seulement sur nos actes[8] » Voyons, à l'aide de quelques exemples précis, qui ne sont nullement des exceptions, les voies sinueuses de cette étrange diplomatie « révolutionnaire ».

Mobutu, champion de l'indépendance

Nous sommes en 1960, année cruciale où l'Occident inquiet marmonne à rebours les paroles obsédantes lâchées par Richard Nixon en 1956 : « Qui contrôle l'Afrique contrôle le monde » qui ne tient pas l'Afrique est donc condamné à périr. A la demande du Premier ministre congolais Lumumba, aux prises avec une coalition réactionnaire qui le mangerait vivant, le gouvernement guinéen envoie, après d'autres, un contingent militaire dans le cadre de la force des Nations unies.

Le principe même de l'envoi de cette force au Congo a été décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies[9], décision prise dans une grande confusion, sur l'insistance de la délégation américaine qui y voit un moyen efficace (étant suffisamment camouflé) pour garantir le maintien du nouvel Etat indépendant parmi les satellites de l'Occident. Etendue, richesses minières fabuleuses et, surtout, précédent politique qu'elle risque de créer, celui-ci ne peut, sans risque, laisser Lumumba et ses ministres patriotes éclairer les masses PAGE 92] congolaises nouvellement libérées de cette république africaine. Il faut donc, de toute nécessité, que son chef de file prenne en charge l'organisation de toutes les opérations engagées au nom des Nations unies. Les Etats-Unis vont donc offrir de transporter les troupes onusiennes avec le matériel de l'armée américaine. Tout est fait en sorte que l'ambassadeur américain à Léopoldville, entouré de tout ce que la C.I.A. a de plus jusqu'au-boutiste, assure la coordination de tout ce qui se fera dans le cadre de cette force devenue armée d'intervention.

Rien d'étonnant donc si, au lieu de se mettre à la disposition du pouvoir démocratique congolais, la force « onusienne » s'emploie au contraire à le neutraliser et, finalement, à couvrir sa liquidation. Devant une situation aussi inattendue, le gouvernement Lumumba demande à en assurer directement le commandement. Le président Nkrumah propose alors que les contingents guinéen et ghanéen soient directement mis à la disposition du gouvernement congolais. Le refus du gouvernement guinéen est net : il a pourtant fermement promis son aide militaire dès mars 1960 au cours d'une rencontre secrète entre Antoine Gizenga et Sékou Touré. Cette promesse est répétée publiquement à Lumumba à son retour des Nations unies en juillet 1960.

Le contingent guinéen sera retiré en 1961, laissant Lumumba, ses deux ministres M'Polo et Okito aux mains de leurs assassins.

Ainsi, après avoir abandonné le peuple congolais au moment où il a le plus grand besoin du soutien réel des véritables patriotes africains, l'Etat guinéen, en bon metteur en scène, n'a aucun complexe à décréter un « deuil national » à l'annonce d'une liquidation physique dont il a été un des agents.

On sait que par la suite, lorsqu'ils engageront en 1964 la lutte armée pour éliminer la clique installée au pouvoir par les Occidentaux, les héritiers politiques de Lumumba devront se contenter, eux aussi, de bonnes paroles à la place des armes qu'ils demandent à Conakry. Pis, le 24 juin 1972, Mobutu est reçu en grande pompe et décoré à Conakry, lui, l'un des principaux assassins de Lumumba, à propos de qui M. Sékou Touré déclare au cours de cette visite : « Si le peuple de Guinée avait autrefois conçu de graves inquiétudes quant à l'avenir du Congo-Kinshasa, il a maintenant acquis la conviction que le Mouvement populaire de la révolution [PAGE 93] sous la conduite du général Mobutu Sese Seko, travaille dans le sens de l'indépendance et de l'unité africaine[10]. »

L'U.P.C. contre le Cameroun

A la même époque, l'Union des populations du Cameroun (U.P.C.) est engagée dans une lutte armée – la première dans l'ouest de l'Afrique - contre le colonialisme français et ses serviteurs locaux M'Bida puis Ahidjo. La lutte est difficile. Le gouvernement guinéen, alors prolixe en promesses verbales de soutien aux mouvements de libération du contingent, autorisera seulement l'ouverture d'un bureau de ce mouvement anticolonialiste radical à Conakry. Le président de l'U.P.C., Félix-Roland Moumié, a sa résidence en Guinée. Mais il est évident que la situation du mouvement patriotique camerounais exige alors une aide militaire, politique et diplomatique concrète et permanente (camps d'entraînement, bases logistiques, armes, facilités de déplacement, formation politique et technique) que seul le Ghana de Nkrumah lui accorde. Quant au gouvernement guinéen, il ne faut pas trop lui en demander - discours démagogiques, oui; soutien approprié, non. Voici ce que M. Sékou Touré déclare à ce propos : « Il est incontestable que ces réfugiés camerounais n'auraient jamais été autorisés à constituer sur le territoire guinéen une organisation militaire ou paramilitaire dirigée contre le Cameroun, l'Etat camerounais et les institutions nationales de ce pays frère. Mieux, nous sommes chaque fois intervenus auprès des intéressés pour les encourager à réintégrer leur pays en vue de participer aux consultations électorales mises en œuvre en 1960 par le gouvernement légal du président du Conseil d'alors, le président el hadj Ahmadou Ahidjo. Il s'agit là de faits historiques, irréfutables et contrôlables[11]. »

Cette intervention récente du chef de file du capitalisme guinéen a au moins le mérite de la clarté. Donnons cependant quelques précisions sur les conditions dans lesquelles le parti « démocratique » de Guinée a participé à la liquidation [PAGE 94] de l'U.P.C. Les « interventions auprès des intéressés Pour les encourager à réintégrer leur pays » ont consisté à négocier le ralliement des patriotes camerounais au régime sanguinaire et antiafricain d'Ahidjo et, en cas de refus, à les expulser du territoire guinéen. Il a offert à d'autres d'opter pour la nationalité guinéenne à la condition qu'ils ne s'occupent plus de « politique » ! Admirons au passage la formule assimilant les patriotes de l'U.P.C. à des « réfugiés » agissant contre le Cameroun !

Sékou Touré-Roberto Holden-C.I.A. : même combat

L'attitude du gouvernement guinéen dans l'affaire angolaise mérite aussi d'être brièvement évoquée.

Lorsque des patriotes angolais regroupés au sein du Mouvement populaire de libération de l'Angola (M.P.L.A.) déclenchent, le 4 février 1961, la lutte contre le colonialisme portugais, les puissances de l'O.T.A.N. (Organisation du traité de l'Atlantique nord) sentent la nécessité de préparer des marionnettes capables de jouer, le moment venu, le jeu néocolonial. Elles décident la mise sur orbite de Roberto Holden, à qui il sera demandé de créer un contre-mouvement de libération. Le gouvernement guinéen, dont le prestige sur la scène africaine et internationale est suffisamment importante pour camoufler alors les menées américaines, assure la couverture de l'opération.

Sur le rôle joué par l'Etat guinéen dans cette affaire, laissons parler M. Sékou Touré. C'est l'hebdomadaire parisien Afrique-Asie du lundi 29 décembre 1975, peu suspect d'hostilité à l'égard du pouvoir installé à Conakry, qui recueille une confidence proprement criminelle : « Tout d'abord, qui est Roberto Holden ? La vérité, c'est que Roberto Holden a été en fait lancé dans l'arène politique internationale, puis encouragé à devenir le porte-parole du mouvement de libération de l'Angola par la République de Guinée. Ce qu'on ignore généralement, en Afrique et dans le monde, en raison de notre discrétion volontaire sur cette page de l'histoire africaine... c'est que c'est nous qui l'avons guidé dans ses premiers pas. C'est nous qui avons sorti cet homme de la clandestinité... C'est ainsi que, sur notre intervention, le G.R.A.E.[12] fut reconnu, en juillet 1963, par le Comité de libération [PAGE 95] de l'O.U.A., et Roberto Holden, considéré comme chef d'Etat, put siéger comme tel à l'O.U.A. Le gouvernement de Kinshasa, sous la direction de Mobutu, s'empressa d'interdire au M.P.L.A.[13] toute activité sur le territoire zaïrois, bouclant la frontière entre le Zaïre et l'Angola sur toute la longueur : un coup terrible venait d'être porté à la lutte de libération en Angola. »

Après de tels aveux, le traître peut toujours « découvrir », par la suite, que Roberto Holden était manipulé par « certains services secrets de l'impérialisme ». Espérait-il cacher cette trahison des intérêts du peuple angolais en lutte en envoyant un contingent-suicide en Angola en 1975 ? Il est à noter que cette mascarade lui a en tout cas permis de se débarrasser d'officiers gênants. Certains parmi ceux qui avaient eu la mauvaise idée de revenir autrement que dans un cercueil ont été arrêtés dès leur retour à Conakry en juillet 1976. Hassan Il n'avait pas mieux fait en expédiant, lui aussi, un contingent-suicide sur le front du canal de Suez en 1973.

Sahraouis ? Connais pas !

La lutte du peuple sahraoui contre les menées expansionnistes du dernier féodal africain et de Nouakchott donne un autre exemple de l'attitude antiafricaine et pro-impérialiste du régime du P.D.G. de M. Sékou Touré.

Officiellement, le gouvernement guinéen soutenait la lutte du peuple sahraoui. Ce soutien, verbal comme toujours, ne l'a pas empêché de renforcer les liens avec la monarchie de Hassan Il, principal agresseur du peuple sahraoui et assassin du grand patriote africain Mehdi Ben Barka. Mamadi Kéita, beau-frère du dictateur guinéen, a effectué, en avril 1977, une visite officielle de six jours à Rabat. Entre la Guinée et le Maroc a été signé un important accord incluant le domaine islamique. L'alignement du gouvernement guinéen sur les positions de la réaction expansionniste marocaine et mauritanienne est clairement affirmé par Sékou Touré dans un discours prononcé le 19 décembre 1977 au stade du 28Septembre-1958 à Conakry : « Entre le Maroc et l'Algérie, il [PAGE 96] y a tension, tout comme entre la Mauritanie et l'Algérie... »

Voilà donc le peuple sahraoui nié sans précaution de style et sa lutte ravalée au rang d'une vulgaire tension entre le Maroc, la Mauritanie et l'Algérie. Le gouvernement guinéen met d'autant moins les formes qu'en bonne logique capitaliste il a tenté, apparemment sans succès, de monnayer son soutien verbal auprès de son compère algérien aux prises avec ses propres contradictions. Malgré le black-out imposé à la presse des deux Etats « révolutionnaires », on sait que leurs relations sont au bord de la rupture. C'est pourquoi, à Fès le 11 avril, le gouvernement guinéen s'est aligné sans façon sur Rabat.

Conakry, souricière des patriotes africains

Le président Nkrumah fera lui aussi, l'amère expérience de cette politique à double face du P.D.G. : il en mourra même. Plutôt que de lui donner les moyens matériels d'organiser la lutte contre le gang militaire proaméricain qui l'a renversé, les dirigeants du P.D.G. se lanceront dans des discours provocateurs dont l'unique objectif sera d'empêcher cette lutte de s'organiser efficacement et de se déclencher : ils enfermeront le président ghanéen dans des fonctions aussi imaginaires qu'inattendues de « coprésident de la Guinée », alors même qu'il ne manquera pas une occasion pour réclamer de l'aide afin de reconquérir le pouvoir. Ils obligeront peu à peu tous ses compagnons réfugiés à Conakry à se démobiliser et à se disperser.

Abandonné, neutralisé, étroitement surveillé sous prétexte de le protéger, les autorités guinéennes l'ont sans doute acculé, après la rédaction de ses derniers ouvrages, à noyer ses soucis dans l'alcool, conscient qu'il était d'être tombé dans une souricière. Il devait mourir le 27 avril 1972 d'un « cancer » – dans des conditions obscures qu'il appartient aux progressistes guinéens d'éclaircir un jour –, du « cancer de la trahison », dira Amilcar Cabral à ses obsèques.

Qui a tué Amilcar Cabral ?

D'aucuns ont voulu voir dans la présence des camps du P.A.I.G.C. en Guinée pendant sa lutte anticoloniale une preuve [PAGE 97] de l'anti-impérialisme « conséquent » du P.D.G. C'est ignorer que les régimes néocoloniaux savent, à leur façon, donner l'illusion de faire des concessions aux aspirations des masses populaires et peuvent être acculés, dans certaines conditions, à accorder une forme de soutien aux luttes patriotiques... Cela suffit-il à prouver la nature progressiste d'un régime Pourquoi alors ne pas considérer comme anti-impérialistes le pouvoir de Mohammed V et celui de Bourguiba pour l'unique raison qu'ils avaient dû accorder au F.L.N. algérien un soutien logistique incontestable pendant sa guerre de libération ? Qui oserait l'affirmer sans faire douter sérieusement de ses positions ! Mais en Guinée-Conakry il y avait pis : aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'accueil des patriotes de Guinée-Bissau à Conakry répondait essentiellement à des visées impérialistes. En effet, c'est connu, contre le Parti africain de l'indépendance de la Guinée et des îles du Cap-Vert, l'impérialisme américain armait le Portugal colonialiste dans le cadre-du bloc agressif de l'O.T.A.N. Incapable de freiner de l'extérieur l'essor de la lutte libératrice du peuple de Guinée-Bissau, il devenait urgent pour l'Occident (l'enjeu se situant surtout en Angola et au Mozambique eux aussi en armes) d'user d'autres moyens pour la maintenir dans des limites « acceptables ». Or la position dominante des Etats-Unis en Guinée-Conakry offrait les conditions idéales d'une surveillance étroite de l'évolution politique du P.A.I.G.C. N'oublions pas que la Guinée-Bissau est le prolongement géologique des mines de bauxite de Boké, entièrement aux mains des impérialistes américano-canadiens.

La stratégie de ceux-ci coïncidait parfaitement avec les craintes du parti néocolonisé de M. Sékou Touré de voir un jour s'installer à ses frontières – tout près des mines yankees – un pouvoir radical imposé par la lutte armée., Mieux valait, par conséquent, apparaître comme un ami de patriotes en armes que de les combattre ouvertement : ils pouvaient d'autant mieux être espionnés. De plus, le P.D.G. avait senti tout le profit qu'il pouvait tirer d'une telle « hospitalité ». Et, de fait, jamais opération politique n'a été aussi payante pour lui, car, vue de l'extérieur, elle créait un réflexe : un Etat qui soutient une lutte armée populaire ne peut qu'être anti-impéraliste. Un postulat aussi primaire conduisait à s'interdire – et à interdire – toute mise en question [PAGE 98] du reste de la politique de cet Etat. Le parti de M. Sékou Touré avait manifestement pris là une bonne assurance sur l'avenir. Mais il n'est, pour se convaincre des véritables fins de l'« hospitalité » de M. Sékou Touré, que de se rappeler les difficultés politiques et militaires de toute sorte rencontrées par le P.A.I.G.C. en Guinée.

Une preuve de cette tension permanente a été la mise en résidence surveillée en 1963 à Ratoma, près de Conakry, d'un Amilcar Cabral farouchement attaché à l'indépendance de son organisation et qui ne cessait de le rappeler fermement à son hôte.

De même, courant 1972, Amilcar Cabral s'était chargé de préciser, avec les mots qu'il fallait au même Sékou Touré (qui conseillait de faire preuve de « souplesse » à l'égard du colonialisme portugais), que le P.A.I.G.C. savait mieux que quiconque l'attitude à adopter envers l'occupant étranger.

On peut dire que, depuis cette date, le secrétaire général du P.A.I.G.C. était un condamné en sursis. Cela explique assez l'assassinat de ce dernier, le 20 janvier 1973, dans une ville où pullulent policiers, miliciens et mouchards. Il est clair que cet assassinat ne pouvait, en aucune cas, se faire sans la complicité du P.D.G. et de son « responsable suprême », M. Sékou Touré, dont une des résidences secondaires, à Bellevue, dans la banlieue de Conakry, est située en face du domicile d'Amilcar Cabral – le lieu du crime était donc surveillé en permanence.

Notons en passant que le séjour prolongé du P.A.I.G.C. dans l'atmosphère de capitalisme d'Etat totalitaire pourri qui règne en Guinée a certainement laissé des traces dans ses rangs : il est de notoriété publique que des camions du P.A.I.G.C. avaient servi à transporter des marchandises volées dans les magasins d'Etat et revendues au marché parallèle. Le régime du P.D.G. a par ailleurs tiré plus matériellement parti de la présence du P.A.I.G.C. en détournant à son profit une partie de l'aide internationale qui transitait par Conakry. De plus, lors de l'intervention des fascistes portugais flanqués des éléments fantoches du prétendu « F.L.N.G.[14] », le 22 novembre 1970, ce sont les unités du P.A.I.G.C.,[PAGE 99] qui ont, pour l'essentiel, fait face à la situation et contribué, d'une manière décisive, à chasser les assaillants portugais et leurs nègres de service du dit « Front ». Il n'est peut-être pas trop tôt pour que les dirigeants de Bissau et du Cap-Vert ouvrent enfin la bouche afin que la vérité éclate, d'autant que leurs rapports avec Conakry sont loin d'être au beau fixe.

Israël, soutien de la « révolution » guinéenne

On ne le sait que trop, l'Etat d'Israël est l'œil et l'exécuteur arrogant des basses œuvres du monde occidental au Moyen-Orient et en Afrique. Depuis toujours, cet Etat raciste est un des soutiens déclarés de l'apartheid et de toutes les autres formes de domination occidentale appliquées sur des bases raciales dans le continent africain. Il passe pour un des partenaires diplomatiques, commerciaux, financiers et militaires les plus résolus des pouvoirs racistes minoritaires blancs d'Azanie, de Namibie et du Zimbabwe. Et, aujourd'hui, aucun Africain attaché à l'intégrité de notre continent ne peut oublier que l'Etat colonialiste et expansionniste d'Israël occupe et annexe le Sinaï, terre africaine qu'un vocabulaire raciste d'une autre origine dissimule sous le nom de « terre arabe ».

Par principe et dans les faits, nous soutenons tous les peuples en lutte pour une cause juste. S'ajoute à cela la solidarité objective qui lie désormais le peuple noir dAfrique et le peuple palestinien contre un ennemi commun[15] : l'Etat sioniste d'Israël, qui, du Sinai à Entebbe, n'use désormais à l'égard de l'Afrique tout entière que de la diplomatie de la canonnière, fort d'une aide occidentale sans limite et ne comprenant, pour déguerpir de notre terre, que le langage de la force.

Or cet Etat antiafricain a longtemps eu des liens étroits avec le régime du P.D.G. Les relations diplomatiques n'ont été rompues qu'en juin 1967. Des actions d'éclat de ce type, faut-il le rappeler, sont en vogue à Conakry. Mais il est également.[PAGE 100] connu, dans le monde capitaliste africain, que la rupture ou même l'inexistence de relations diplomatiques par trop compromettantes n'a jamais entravé des relations d'affaires juteuses. L'Etat raciste d'Afrique du Sud et Israël n'ont pas, non plus, de représentation diplomatique à Abidjan, Libreville ou Kinshasa, mais leurs firmes y opèrent tranquillement. Pour ceux qui seraient tentés de conclure à l'amalgame, voici, malgré le soutien proclamé à l'Organisation de libération de la Palestine, dont un bureau est ouvert à Conakry, une « sortie » de Sékou Touré lui-même : « Nous devons rappeler par honnêteté que la direction de l'Etat d'Israël, quant à elle, a constamment observé une attitude de haute considération à l'endroit de la révolution guinéenne qu'elle n'a jamais attaquée ni par la radio de Tel-Aviv, ni par un journal d'Israël, ni, non plus, au niveau des organismes internationaux. Nous réaffirmons, en conséquence, notre attitude résolue de tenir compte d'un tel comportement du gouvernement d'Israël que nous ne voulons plus confondre avec les éléments sionistes bornés[16] ». Begin ne serait donc pas un sioniste borné ?

Curieuse « révolution » que porte aux nues un Etat qui nie aux premiers habitants de l'Afrique jusqu'à leur attribut humain ! Il est vrai qu'entre agents proaméricains on se doit de s'épauler. On a les alliés que l'on mérite. Le peuple palestinien appréciera de tels éloges à ses bourreaux. Les peuples du sud et du nord de notre continent aussi, devant cette collusion flagrante avec un de leurs pires ennemis.

Esclavagistes demandent urgent agent « révolutionnaire » nègre

Dans l'affaire du Shaba au Zaïre (en avril 1977), le pouvoir du parti de M. Sékou Touré n'a pas ou un mot pour dénoncer l'expédition militaire franco marocaine financée par le féodal et esclavagiste Khaled d'Arabie Saoudite pour le compte du camp occidental et de la réaction. Cette expédition avait pour but de sauver de la faillite le régime sanguinaire et antiafricain [PAGE 101] de l'agent de la C.I.A. Mobutu. Sur les visées interventionnistes de la France giscardienne, affirmées à Dakar à la conférence d'avril 1977 (au cours de laquelle fut signé un pacte militaire prolongeant, dans l'Ouest africain, l'action de l'O.T.A.N. contre les peuples de la région), l'« anti-impérialiste » gouvernement guinéen a préféré se taire. Le peuple sahraoui est aujourd'hui directement confronté aux conséquences de ce pacte si ouvertement impérialiste, auquel M. Senghor a offert, avec l'utilisation de l'aéroport de Dakar-Yoff, un champ d'application qui n'est pas fait pour grandir les peuples africains.

Le conflit de la corne de l'Afrique, lui, ne nous semble pas avoir été cerné dans toutes ses implications par les patriotes africains. Au silence trop systématique de nos frères progressistes du nord de l'Afrique répond le traitement intellectualiste de l'« extrême » gauche négro-africaine de l'exil, aux ordres d'organisations européocentristes. Pour notre part, nous sommes d'autant plus à l'aise pour exprimer notre position sur cette question que nous sommes opposés au principe pro-impérialiste d'intangibilité de frontières imposées, à nos peuples, par ses ennemis colonialistes et par les classes exploiteuses africaines. De même, nous n'avons rien à voir avec le régime sanguinaire de Minguistou d'Ethiopie, allié d'Israël, bourreau de son peuple, ni avec ses soutiens soviétiques et leurs tirailleurs cubains (qui protègent aussi Sékou Touré et son parti contre notre peuple). Ce conflit, par ses protagonistes, ne peut être réduit à une simple querelle de frontière entre l'Ethiopie et la Somalie. N'y voir qu'une simple péripétie de la lutte des superpuissances est aussi une manière de masquer de nouvelles formes de reconquête. L'occupation passagère de l'Ogaden par la Somalie, avec l'aide de l'Arabie Saoudite, de l'Iran, de l'Irak, du Pakistan, des émirats arabes et de l'Egypte, avec la complicité de l'Occident auquel se joint machinalement la Chine de Hua Kuo-Feng dans toutes ses menées antiafricaines, a pris le caractère d'une véritable croisade raciste et esclavagiste anti-noire, vraie djihad du vingtième siècle !

Même l'Occident a préféré, par calcul, ne pas cautionner trop ouvertement une telle entreprise. Il a laissé ses agents de la région accomplir la besogne. Aucun gouvernement africain tant soit peu soucieux de notre simple existence en tant que peuple ne pouvait ne pas dénoncer une entreprise dont le but avoué est de faire des Noirs des étrangers sur un continent [PAGE 102] dont ils sont les premiers habitants depuis plus de deux millions et demi d'années. Que fait le régime du P.D.G., qui n'a à la bouche que les mots de dignité africaine, d'indépendance et d'anti-impérialisme ? C'est de déclarer sans vergogne : « Entre l'Ethiopie de la révolution populaire (sic) et la Somalie socialiste (sic), il y a tension. Entre l'Ethiopie et le Soudan, il y a également tension. Les jeunesses d'Ethiopie, de Somalie et du Soudan ont ainsi des liens particuliers à sauvegarder en contribuant au rétablissement des rapports de fraternité militante entre l'Ethiopie et le Soudan, entre l'Ethiopie et la Somalie[17]. »

Voilà un problème crucial pour l'avenir libre et fraternel des peuples d'Afrique, et particulièrement du peuple noir, qui n'a que trop souffert du racisme et de la domination étrangère. Qu'un tel enjeu devienne, dans la bouche de M. Sékou Touré, un mythique problème entre jeunes, on ne pouvait attendre moins d'un agent patenté de l'Occident et de la réaction féodale et bourgeoise arabe en Afrique.

Il est intéressant de voir aussi quelle a été l'attitude du parti de M. Sékou Touré en face d'une question aussi vitale pour l'avenir des peuples africains : la restructuration du continent en ensembles régionaux viables, pouvant servir de base à une réelle unité des peuples africains débarrassés de la domination étrangère et de ses agents africains.

Sous l'impulsion du président Nkrumah du Ghana, et parce que, à l'époque, le mot d'ordre d'unité des peuples africains était déjà très populaire, Sékou Touré et Modibo Kéita du Mali avaient dû consentir à la création de l'Union Ghana-Guinée-Mali en avril 1961. Comme on pouvait s'y attendre, cette union éphémère est restée toute formelle. Les trois Etats se contentèrent d'échanger des ministres résidents sans mission précise. Du reste, cette union fut mise au rencart au profit de la stratégie pro-impérialiste qui a prévalu à Addis-Abeba, lors de la création de l'O.U.A., en 1963. Les justes positions ghanéennes sur l'abandon de souveraineté territoriale au profit d'ensembles africains plus vastes furent rejetées. Sous la houlette des Etats-Unis triomphait le principe micronationaliste et néocolonialiste de l'intangibilité des frontières. M. Sékou Touré, en bon haut-parleur de la [PAGE 103] diplomatie américaine, était de ceux qui chargeaient sans retenue le président Nkrumah, qualifié d'idéaliste pour avoir courageusement soutenu des positions conformes aux aspirations profondes des peuples africains. Pourtant, les travaux historiques de Cheikh Anta Diop, que les dirigeants guinéens refusent toujours de considérer comme les seuls valables pour l'étude du passé du peuple noir (au profit des œuvres du cryptonéocolonialiste Jean Suret-Canale, qui se dit communiste), ont pourtant jeté, depuis 1955, les fondements scientifiques d'une telle restructuration, base intangible de l'indépendance du continent noir.

Enfin, sur une question où il aurait pu prouver son engagement panafricain à peu de frais – l'adoption d'un alphabet commun pas trop antiscientifique, avec le Mali, pour la transcription des langues –, le gouvernement guinéen a choisi de faire cavalier seul dès 1966 (en adoptant un alphabet fantaisiste, tout imprégné de l'esprit de soumission à la culture bourgeoise française, et des manuels folkloriques financés par le... shah d'Iran), ce qui était tout à fait conforme à sa pratique micronationaliste et à ses visées hégémoniques sur la région (tels sa volonté de faire main basse sur la Sierra Leone de Siaka Stevens ou son désir à peine camouflé d'annexer la Guinée-Bissau). Les frontières séparant les territoires étant tout ce qu'il y a de plus artificiel, cette décision consacre la coupure de nationalités unies par l'histoire et la culture.

Depuis 1961, les articles les plus inutiles de la Constitution guinéenne, après ceux qui se rapportent aux libertés, sont sans nul doute ceux qui évoquent l'abandon total ou partiel de souveraineté au profit de la nécessaire restructuration du continent.

Le régime guinéen en est arrivé à un tel fanatisme dans sa pratique micronationaliste que même un match de football offre l'occasion d'opposer les peuples africains pour faire de ceux-ci les boucliers de classes exploiteuses dans leurs règlements de comptes internes. La victoire de l'équipe guinéenne. de football dite « Hafia-Club » sur son homologue ivoirienne l'A.S.E.C., le 7 novembre 1976, est devenue, dans la bouche de M. Sékou Touré, la « victoire de l'islam sur le fétichisme[18] » ! Le match du même Hafia-Club contre le.[PAGE 104] Mouloudia d'Alger, le 5 décembre 1976 à Conakry, a été le prétexte d'une campagne ouvertement antialgérienne. Il faut dire que Hafia-Club est devenu, aux mains des dirigeants guinéens, un triste symbole de micronationalisme aux crocs blancs.

Le gouvernement de Sékou Touré revendique à présent la Casamance située au Sénégal[19]. Démantèlement du voisin, comme tentait de le faire la Somalie. Abandon de souveraineté à sens unique. Voilà comment on applique en haut lieu la Constitution guinéenne !

Il faut réellement avoir pris parti contre les intérêts des peuples africains pour continuer à fermer les yeux sur des faits aussi accablants et à qualifier d'anti-impérialiste une politique antiafricaine sur toute la ligne !

Nous ne pouvions pas, malgré la clarté apparente du sujet - à propos de la répression en Afrique noire -, ne pas camper la politique extérieure et la politique antiafricaine d'un régime bourgeois néocolonisé, doublé, en la personne de son chef de file, d'un micronationaliste et d'un féodal enragé. C'était là une mise au point nécessaire. En effet, par une sorte de « négociation à côté », nos adversaires refusent de s'interroger sur le sort de notre peuple – ce qui, après tout, est leur droit -, mais croient se ménager des positions de force en se plaçant sur le terrain miné de la « dynamique révolutionnaire » de la diplomatie de l'Etat guinéen.

Notre argumentation ne pouvait donc en rester à la simple description impressionniste du sort de notre « malheureux peuple ». Il nous fallait souffler sur le château de cartes qu'ils utilisent, depuis dix-sept ans, comme rempart d'une bourgeoisie néocolonisée, vestale de la toile d'araignée tissée, par l'occupant étranger, pour prendre le peuple noir au piège de la division.

Les idéologues délogés, il convient maintenant de leur imposer le spectacle d'une misère populaire, celle qu'ils ont couverte de leur autorité usurpée, et dont les manifestations du 27 août 1977, à Conakry, épilogue d'un vent de révolte qui a balayé tout le territoire, ont montré la cruelle permanence. [PAGE 105]

UNE POLITIQUE ANTIPOPULAIRE... SUR TOUTE LA LIGNE

« Le R.D.A. [Rassemblement démocratique africain] n'appartient pas au peuple, le peuple lui sert d'instrument » (Sékou Touré : « l'Afrique et la Révolution », s.d.).

Comment un Etat peut-il être à la fois avec l'impérialisme et la réaction à l'extérieur, et le peuple à l'intérieur ? Les soutiens les plus aveugles du parti de M. Sékou Touré ont toujours admis, au moins implicitement, que sa politique intérieure soulevait plus d'un doute. Il est vrai que c'était pour affirmer aussitôt : ce n'est pas à nous de changer la situation en Guinée. Si les dirigeants guinéens n'étaient pas, comme nous en sommes persuadés, définitivement perdus pour nos masses, nous leur dirions : regardez comme vos soutiens supposés méprisent votre peuple ! C'est donc vers ces « soutiens » que nous dirigerons nos flèches, car il nous faut déchirer le masque derrière lequel ils s'avancent. Comment n'ont-ils pas semé le doute sur leurs propres conceptions chez ceux qu'ils se sont longtemps efforcés d'abuser ? Ignorer un peuple pour ne considérer que son Etat et, le plus souvent, son chef d'Etat, n'est-ce pas un défi au bon sens ? Dialecticiens de service, ils auraient pu se rappeler tout seuls qu'une politique extérieure n'est que l'illustration d'une politique intérieure, l'aspect principal étant celle-ci. En d'autres termes, c'est la politique intérieure qui définit la diplomatie, et non l'inverse, car elle est la résultante du rapport de force des classes de la société considérée et permet seule, en dernière analyse, d'avoir ou de ne pas avoir telle ou telle position à l'extérieur. Si, à son tour, la politique extérieure peut agir sur le rapport de force des classes de cette société, c'est pour autant que l'une ou l'autre de ces classes s'est ménagé des positions qui permettent de renforcer ce qu'elle fait et ce qu'elle est à l'intérieur.

Ce que nos superviseurs de « révolutions » venues d'ailleurs savaient de la politique intérieure de l'Etat guinéen (et ils étaient informés à la source) aurait dû par conséquent, ne serait-ce que pour être en règle avec leurs positions affichées, les inciter à s'interroger sur cette distorsion apparente. Ils ont refusé de se poser des questions.

La première conséquence – théorique – a été l'incroyable [PAGE 106] postulat (jamais explicite, mais qui apparaît toujours en filigrane dans leurs laborieuses justifications) selon lequel la Guinée est un territoire dont le gouvernement (en la personne de son président) serait révolutionnaire et le peuple... réactionnaire !

Dans la pratique, ces éléments, qu'ils soient africains ou étrangers, isolés, organisés ou placés à la tête d'un Etat, ont puissamment contribué à soutenir l'Etat néocolonial, proaméricain, bourgeois et semiféodal de Guinée, agent d'un capitalisme d'Etat totalitaire dont nous allons voir comment il est devenu, pour notre peuple, le rouleau compresseur des libertés qui a créé, de toutes pièces, les conditions d'une sécheresse dans un château d'eau et dont les conséquences risquent, si des mesures énergiques ne sont pas prises – c'est-à-dire si l'on n'impose pas à l'Etat de dictature bourgeois guinéen les conditions d'un retour à sa propre légalité –, d'être plus effroyables que la famine du Sahel en 1974.

Avoir une peur bleue du peuple

Lâchés par le peuple, le parti et l'Etat de Sékou Touré ont éprouvé le besoin d'inventer, dès 1961, un complot. Dans cet Etat dont les amis avaient imposé contre les faits l'image socialiste, l'accusation rendait un son étrange : « complot des enseignants et des marxistes ». A suivi une répression si inouïe que l'on achevait parfois, à l'hôpital de Donka, à Conakry, ou à Labé (Fouta), les élèves transportés là (le plus souvent des jeunes filles mutilées) après avoir été grièvement blessés par des grenades. Unique grief : ils avaient protesté, en manifestant dans la rue, contre l'arrestation injustifiée d'enseignants dans l'exercice légal de leur mandat syndical.

Tous les établissements secondaires, y compris ceux où l'on n'avait pu manifester, avaient été fermés de la troisième semaine de novembre 1961 à la mi-janvier 1962. Beaucoup d'élèves, surtout parmi ceux qui étaient d'origine modeste, allaient perdre définitivement leur scolarité et leur carrière. Tous ceux qui étaient connus pour leurs opinions progressistes – élèves, enseignants, fonctionnaires, ressortissants de Guinée ou d'autres territoires – avaient été arrêtés. De la plupart des pays de l'Est ou d'Union soviétique avaient été rapatriés de force des étudiants aussitôt emprisonnés et qui [PAGE 107] le restaient à l'insu de leurs parents (le plus souvent jusqu'à leur éventuelle libération). De même, tous ceux qui s'étaient fait remarquer par leur soutien au mouvement des enseignants et des élèves avaient été incorporés d'office dans l'armée, presque toujours après de cruelles séances de torture.

Après la liquidation du petit carré de progressistes expérimentés, presque tous universitaires, qui faisaient figure de gêneurs (d'origine féodale, petite-bourgeoise ou bourgeoise, ils avaient des positions peu fermes, pour ne pas dire inconséquentes), la vie politique guinéenne a été dominée, jusqu'en 1977, par l'affrontement des deux fractions de la bourgeoisie (schématiquement les tenants du capitalisme d'Etat contre les défenseurs d'un capitalisme à brides abattues). Malgré des révoltes fréquentes mais isolées, le peuple était réduit au silence ou assistait, impuissant, c'est-à-dire sans organisation propre, à des règlements de comptes dont il était l'enjeu et la principale victime.

C'est ainsi qu'en 1964 a été votée une loi, dite « loi-cadre du 8 novembre », dont l'objectif de classe était de gêner, sinon d'étouffer, le développement du capitalisme privé pour l'empêcher de distancer son concurrent d'Etat, alors obligé de prendre un essor « en coulisse », et grâce auquel, en volant les deniers publics (à la faveur de liens inextricables entre politique et économique), les dirigeants du parti et de l'Etat pouvaient asseoir leurs bases matérielles et garantir leur prééminence.

De là le projet de création d'un parti de commerçants, le Parti de l'unité nationale de Guinée, prétexte à la première répression en règle dirigée contre la fraction bourgeoise qui s'était trop longtemps satisfaite du seul négoce et n'avait pas vu le rôle économique décisif des leviers de commande de l'appareil d'Etat, derrière lequel s'étaient solidement retranchés les bureaucrates. Arrêtés à plus de deux cents, ses animateurs et sympathisants n'ont jamais été revus.

La lutte des classes n'existe pas ?

En mars-avril 1965, de jeunes travailleurs, chassés de la campagne par le sabotage de l'agriculture et réduits au chômage à Conakry, ont été pourchassés et parqués dans une cellule presque étanche d'où l'on n'a extrait, le lendemain [PAGE 108] que des cadavres et des mourants. Le chef d'état-major de l'armée de l'époque, Nournandian Kéita, confessait en 1971 : « Nous avons constaté au petit jour, quand nous avons été voir les lieux, un spectacle indescriptible de la masse des jeunes gens (plus de trois cents), qui se tenaient la gorge, râlant, agonisant... Fodéba [Kéital disait qu'il fallait les enlever de là avant le jour. » Si suspectes que soient les « dépositions » des détenus politiques guinéens (et le général en était un : il devait du reste mourir peu après, froidement abattu), ces propos ont été plus d'une fois confirmés à d'autres sources.

Dix ans plus tard, le 9 mai 1975, les ouvriers des mines de bauxite de Fria - pourtant considérés, toute proportion gardée, comme les éléments les moins défavorisés de la classe ouvrière – engageaient une grève aussitôt réprimée par la milice et l'armée. Cette dernière devait longtemps, blindés à l'appui, occuper l'usine où avait éclaté le mouvement. Exemple d'une démagogie typique des idéologues du système : les ouvriers ne peuvent faire la grève parce qu'ils font partie du peuple (mais ne sont qu'une partie du peuple 1) et qu'en Guinée tout appartient... au peuple ! Beaucoup de grévistes de Fria ont été emprisonnés, très peu sont sortis, et tous leurs acquis sociaux ont été supprimés.

Le paysan est né pour courber l'échine

Quant aux paysans, on a assisté chez eux, dès 1963 et par la suite, à des mouvements de révolte contre les structures antidémocratiques et les exigences démesurées du parti de la bourgeoisie.

En 1963, à Macenta (Guinée-Orientale) puis Siguiri (Haute Guinée), ils avaient rendu en masse leurs cartes du parti pour protester contre l'enrôlement dans une formation ennemie dont les dirigeants, comme pour le leur faire sentir, les privaient presque entièrement du produit de leur récolte et, par la suite, de leurs terres au profit de « gentlemen farmers » qui faisaient fructifier ainsi l'argent volé dans les caisses de l'Etat. La même année, en Guinée-Orientale, une grève des marchés, décidée par les paysans eux-mêmes, avait affecté la ville de N'Zérékoré.

Tous ces mouvements répondaient à une longue répression en milieu rural, où l'on était obligé, parfois en présence [PAGE 109] d'un détachement de l'armée (envoyé sur place sous le couvert d'une participation à la production), de livrer l'essentiel d'une maigre récolte, M. Sékou Touré se rappelle sans doute les circonstances dans lesquelles il avait fait la connaissance de Marcel Mato Barna Soua (tué depuis au camp Boiro), qui était alors secrétaire général du Comité directeur de Guélo, dans la région administrative de Guéekédou. Une insurrection née de l'autoritarisme de M. Tournani Sangaré, gouverneur de région avait embrasé cet arrondissement fin 1960 début 1961. Elle avait été réprimée dans le sang, et le plus grand silence avait été imposé par les autorités sur cette répression. En 1964, toujours à Guéckédou, sommés de livrer chacun quinze kilos de palmiste (ce qui était nettement excessif au regard du produit moyen par tête), des paysans avaient préféré abattre les palmiers pour tenter une reconversion aléatoire. Egalement en Guinée-Orientale, dans la région de Kissidougou, sévissait un cruel chef de poste. Il avait une pratique digne du corps expéditionnaire américain au Viêt-nam – encager avec... des serpents venimeux (oui, des serpents venimeux !) des paysans qui n'arrivaient pas à s'acquitter d'un impôt fixé sans aucune considération de leur revenu réel ! C'était dans la localité d'Albadaria.

Plus récemment, en mars 1977, à Takhoubéa, dans l'arrondissement de Mambia, région de Kindia (en Basse-Guinée), la femme enceinte d'un paysan a été tuée par un maire qui l'avait soumise, sous un soleil de plomb, à la plus cruelle des tortures sous prétexte que son mari n'avait pas pu paver l'impôt en nature exigé, là aussi, contre tout sens de la mesure.

La voix du peuple

Voilà qui explique largement pourquoi les campagnes manquent depuis longtemps de bras et pourquoi le risque de désertification oblige les dirigeants guinéens à promettre aujourd'hui n'importe quoi (c'est-à-dire sans aucun engagement précis, qui aurait pu prouver leur bonne foi) dans l'espoir de décider les millions d'émigrés à retourner au pays et à regagner la campagne.

En fait, ce sont les gigantesques manifestations antigouvernementales organisées en août dernier par les marchandes [PAGE 110] de condiments, la couche sociale la plus éprouvée de la petite bourgeoisie urbaine, qui rendent désormais impossible toute « couverture » théorique de la politique de M. Sékou Touré. Ce que l'on sait moins, c'est qu'elles n'ont été que l'épilogue d'un mouvement de révolte à l'échelle de tout le territoire et qui, à N'Zérékoré (fin juin) à Macenta (à la même époque) puis à Conakry (le 27 août 1977), Kindia (le 28 août), Forécariah, Fria, Dubréka, etc., a failli prendre l'allure d'un soulèvement populaire généralisé.

Contrairement à ce que prétend un groupuscule de notables et d'intellectuels réactionnaires – l'O.U.L.G. –, le mouvement était sans direction politique, la meilleure preuve étant la suite des événements : malgré le choc, l'Etat bourgeois s'est ressaisi, l'étau contre lequel il se débat à l'intérieur étant le problème posé par la désertification et l'absence de main-d'œuvre.

Par son ampleur, ce qui s'est passé à Conakry a dépassé tout ce qui s'était fait depuis 1958 en matière de manifestation de masse, y compris les rassemblements officiels, dont on connaît pourtant le caractère contraignant – et donc l'affluence.

Les treize officiers, héros de notre peuple, qui avaient refusé de donner l'ordre de tirer sur la foule à N'Zérékoré, en juin, ont été transférés à Conakry et aussitôt fusillés. Le 27 août, à Conakry, puis le 28 août (jour où tout le peuple de la capitale était dans la rue), seule une nouvelle désobéissance a évité la boucherie : la chose est confirmée de toutes les sources. Il y a eu, malgré tout, des morts à Conakry et à Kindia. Forécariah a été occupé par l'armée.

Par mesure de représailles, un grand nombre de femmes et de jeunes ont été jetés dans les geôles, des rafles organisées pour vider Conakry de son trop-plein de manifestants venus en renfort de l'intérieur.

Contre les femmes du peuple, la répression prend parfois l'allure d'une humiliation publique pure et simple, rappelant en tout point les méthodes utilisées par les nazis dans les camps de concentration. En 1965, des marchandes soupçonnées, sans un commencement de preuve, de faire du trafic illicite ont été obligées de défiler nues dans les rues de Conakry. Il est difficile de rendre compte du traumatisme qui résulte de semblables méthodes. Le suicide, naguère inconcevable en milieu traditionnel africain, est ainsi devenu l'ultime recours de celles ou ceux que l'on accule à assumer des [PAGE 111] actes ou des paroles qui révoltent le plus profondément leur conscience.

« La jeunesse doit dire la vérité »

Sont frappés aussi les jeunes scolaires et universitaires, que le pouvoir bourgeois présente comme les enfants gâtés du système, mais qui ont plus d'une fois exprimé ouvertement (par exemple par des tracts apposés de nuit sur les murs des établissements) leur ressentiment envers les injustices de la société guinéenne bourgeoise. En mars 1970, les responsables du conseil d'administration de l'institut polytechnique Gamal-Abdel-Nasser, de Conakry, ont traité de voleurs et de démagogues, en plein conseil « national » de la « révolution », les dirigeants guinéens réunis et comparés à Houphouët-Boigny. Beaucoup ne sont jamais reparus. Parmi les rares relâchés, plus d'un avait perdu la raison.

Même au sein de la bourgeoisie se sont élevées des voix pour dire : assez ! Moriba Magassouba, Bala Camara, Bangali Camara, Lofo Camara (tuée en 1971), tous anciens ministres, se sont opposés, à un titre ou à un autre, aux méthodes du parti et de son autocrate. Ils ont tous été supprimés sous de faux prétextes.

Oppression religieuse

Selon les sources, les musulmans sont entre 60 et 65 % de la population (en fait, pour la plupart, ceux-ci portent incidemment un prénom arabe déformé, ce qui n'a jamais été une confession), les animistes entre 30 et 32 %, les chrétiens et divers 3 %. Pour sortir de difficultés sans nombre créées par sa politique, l'Etat guinéen s'est successivement ou simultanément aplati devant les Soviétiques, les Américains, les réactionnaires arabes et l'Etat français. La période « arabe », inaugurée en 1974, s'est caractérisée par une oppression religieuse sournoise mais constante entre les non-musulmans.

Une des conséquences est la volonté de destruction des valeurs culturelles intrinsèquement négroafricaines. La profanation de la forêt sacrée toma, outre le mépris renforcé qu'elle engendre à l'égard d'une nationalité qui en souffre [PAGE 112] déjà trop, met en grand péril un patrimoine culturel inestimable (les Toma étant la seule ethnie guinéenne à avoir conservé l'écriture originelle négroafricaine, héritée de l'Egypte pharaonique[20], et la forêt sacrée un des sanctuaires d'un savoir authentiquement noir préservé, à travers les millénaires, contre toutes les tentatives d'anéantissement extérieur – ce qui explique assez la rigueur du secret chez les initiés). Mais M. Sékou Touré ne connaît pas l'histoire vraie de son pays : il l'a malheureusement prouvé une autre fois en traitant les Peul de non noirs.

D'une manière plus immédiate, sous couvert de « démystificafion », c'est en fait aux poches de résistance populaire que s'attaque l'Etat bourgeois. En témoignent les révoltes paysannes de Macenta, en 1963.

Oppression culturelle

C'est sans doute dans la musique que se manifeste le plus, à travers les disques, le phénomène d'oppression culturelle en Guinée. Celle-ci s'exprime à trois niveaux. Le premier est l'utilisation de rythmes étrangers, puissant facteur d'aliénation de la jeunesse (ce que la bourgeoisie a compris partout en Afrique, y compris le Nord), et de thèmes féodaux ou bourgeois contre l'épanouissement de la musique populaire traditionnelle. Le deuxième est l'utilisation de la musique d'une nationalité contre les autres. Cela donne à la composition des disques un curieux air de mutilation culturelle, à la fois unilatéral et monotone. Le dernier est l'utilisation de l'aspect le plus féodal de la musique de cette même nationalité pour étouffer le côté populaire de la même musique (parce que ce côté, infiniment plus riche, plus vivant, exprime crûment, comme les airs populaires des autres nationalités, les préoccupations directes des classes exploitées)... D'autre part, la musique officielle, où sont exhumés thèmes ethnocentriques,.[PAGE 113] misogynes, fatalistes, bourgeois, antinégroafricains, -montre à quel point elle vole bas : tous les thèmes sont ramenés à des flagorneries sur le nom du « responsable suprême ».Une troupe de Forécariah (en Basse-Guinée) a involontairement fait l'expérience d'une formation non conformiste; les compositions présentées par ses soins à l'occasion d'un festival ne comportaient aucune allusion, même indirecte, au nom du dictateur bourgeois de Conakry. Ses membres ont échappé de peu au cachot.

Oppression des nationalités

Depuis son accession au pouvoir, le parti de M. Sékou Touré à toujours fait de la division des nationalités une composante essentielle de sa politique. L'aboutissement naturel de ce processus a été l'attaque portée, le 22 août 1976, contre une nationalité en bloc et l'arrestation injustifiée de Telli Diallo et de nombreux cadres peul. Déjà, en mai 1958, même si la responsabilité du parti d'opposition, le P.R.A. (Parti du regroupement africain), était entière, le P.D.G. avait eu une grande part dans l'affrontement sanglant entre Peul et non Peul. Aujourd'hui, il est connu que l'accès à l'enseignement, à certaines branches (médecine, pharmacie), à certaines fonctions et faveurs (parti, diplomatie, crédits d'Etat) est en grande partie subordonné à l'appartenance à telle nationalité plutôt qu'à telle autre[21]. La pression est telle que, en Guinée-Orientale, par exemple, des Guinéens changent...d'ethnie !

Cynisme suprême, on se sert d'ethnies moyennes (Kissi, Toina, Guerzé, Soussou) ou considérées comme « assimilées » (Bassari, Coniagui) pour mener contre d'autres (tels les Peul) une lutte qui les conduirait fatalement à leur propre disparition.

Tout, y compris le recrutement des tortionnaires, est actuellement mis en œuvre pour opposer les nationalités sur la base d'un dangereux regroupement bipolaire (Peul/non-Peul)

[PAGE 114]

Des prisons parmi les plus inhumaines du monde

En résumé, la Guinée est un vaste bagne pour son peuple. Le pouvoir antipopulaire a mis tout en place pour imposer silence – le plus souvent le silence des cimetières – à tous ceux qui osent relever la tête. Il existe des prisons dans tous les centres administratifs de quelque importance. Mais les plus inhumaines de toutes sont sans aucun doute les « camps », au nombre de douze à seize. Un écrivain zaïrois a pu dire que « les prisons de la Guinée sont parmi les plus inhumaines du monde[22] ».

Les camps les plus tristement célèbres, non compris les camps secrets, sont sans aucun doute le camp Boiro, à Conakry, et le camp Kémé-Bouréma, à Kindia, avec leurs installations spécialisées de torture, fournies notamment par l'Allemagne fédérale et la Tchécoslovaquie.

Le réseau d'indicateurs est si dense que les camps ne désemplissent jamais, même en période « calme ». Et ceux-ci alimentent en permanence eux-mêmes, à Ratoma et à Yéguémato (entre Conakry et Kindia), des charniers où sont jetés, dans le plus grand secret, les corps de milliers de détenus dont les familles, tenues dans la plus grande ignorance de la disparition des leurs, attendent toujours de savoir ce qu'ils sont devenus.

On peut évaluer à neuf dixièmes le nombre de détenus morts dans de telles conditions. Le chiffre de 3 000, avancé jusqu'ici dans nos documents, représente, après enquête, le total de celles et de ceux qui ont pu survivre aux conditions de détention et de torture. Avant les vagues de liquidation massive entreprise à la faveur de chaque complot préfabriqué (il y en a eu au moins cinq) ou réel, le nombre des prisonniers politiques peut être évalué en moyenne à quinze mille.

Ceux qui se servent du pouvoir néocolonial et antipopulaire guinéen ont eux-mêmes perçu le danger d'une situation explosive qui pourrait remettre gravement en cause leurs intérêts en Guinée et dans la région. C'est dans ce cadre que se placent les initiatives tapageuses des dirigeants du parti bourgeois. Ils ont ainsi lancé, le 18 juillet 1977, un.[PAGE 115] appel « à propos des Guinéens à l'extérieur »... en oubliant sans doute que moins d'un mois plus tôt ils avaient fait fusiller treize officiers qui avaient refusé d'obéir à un ordre criminel. De plus, il apparaît nettement que Cet appel s'adresse presque exclusivement à ceux des émigrés qui ont amassé une fortune malhonnête, mais colossale, et aux grands diplômés mûrs pour l'exploitation de leur peuple : « Que vous ayez cent mille, un million ou dix millions de dollars, le pays vous fait confiance et vous lui faites confiance[23]. » Un vrai langage de truand !

D'autre part, les sbires guinéens accordent généreusement une « grâce amnistiante » à des exilés qui s'en passeraient bien, pour la simple raison qu'ils ne sont coupables de rien, alors qu'ils n'ont pas soufflé mot de détenus non moins innocents qui croupissent par milliers (quand ils vivent encore) dans les geôles guinéennes.

La libération récente d'un petit lot de prisonniers (pour une bonne part des détenus de droit commun et d'incarcération récente) et la renonciation à toute extradition des « opposants », annoncée le 18 mars 1978 à Monrovia, cachent en réalité une manœuvre machiavélique : rendre complice du silence sur les Guinéennes et Guinéens morts par milliers en détention et sur le sort desquels ils n'ont pas le courage de dire la vérité.

Gouverneurs du désert

La pénurie de cadres, mais surtout de bras, vient rappeler, à ceux qui étaient prêts à gouverner les arbres, que l'être humain est le bien le plus précieux. 600 000 ha de forêts dévastés par une politique économique criminelle. Une récolte céréalière de moins de 100 000, tonnes sur les 500 000 ou 600 000 officiellement jugées nécessaires, en 1978, pour la satisfaction des besoins minimaux de la population (lesquels ne prennent pas en considération les deux millions ou deux millions et demi de Guinéens auxquels on demande de regagner, malgré tout, leur pays). la désertification accélérée d'un des territoires les mieux arrosés de la [PAGE 116] région. Voilà à quoi ont abouti vingt années ininterrompues d'un capitalisme totalitaire.

La volonté d'écarter le spectre d'une émigration aussi massive aux portes de la Guinée. Tel est, à moyen terme, l'objectif de la fraction de la bourgeoisie guinéenne au pouvoir.

Un jeu d'échecs

Le marché guinéen étant très convoité, une véritable entreprise de colonisation du territoire guinéen par les bourgeois des Etats voisins serait engagée avec l'application du principe capitaliste de la « libre circulation des personnes et des biens ». Il est probable, alors, que la Guinée subisse à brève échéance le sort du Mali après la chute de Modibo Kéita pour la monnaie et que, selon un « abandon partiel ou total de souveraineté » non prévu par la Constitution, elle soit absorbée par l'Union monétaire de l'Ouest africain, c'est-à-dire replacée dans le giron des néocolonies traditionnelles où chaque impérialisme occidental tenterait sa chance dans cette nouvelle « zone franche ».

La nécessité d'atteindre le but commun des impérialistes américains et français, d'une part, de la bourgeoisie des territoires limitrophes, d'autre part, de la bourgeoisie guinéenne, enfin : faire, à l'extérieur et à l'intérieur de la Guinée, la jonction entre le capitalisme d'Etat (qui a permis d'asseoir les bases des cadres du parti au pouvoir et peut donc se saborder) et le capitalisme privé au profit de ce dernier. Voilà la stratégie des impérialistes américains et français enfin mis d'accord sous la houlette de Washington et qui prennent la bourgeoisie guinéenne comme pion principal (parce qu'elle est actuellement le maillon le plus faible de la chaîne de domination capitaliste en Afrique de l'Ouest) pour résoudre les contradictions interimpérialistes dans la région (entre les Etats-Unis et l'Union soviétique... pour évincer de Guinée l'impérialisme soviétique, entre les Etats-Unis et la France), les contradictions entre pouvoirs bourgeois (Houphouët-Boigny/Senghor/Sékou Touré) et les contradictions internes de la bourgeoisie guinéenne (rétrécissement puis suppression de la base étatique du capitalisme à l'intérieur, réintégration des tenants du capitalisme privé rejetés jusqu'ici hors les murs ou soumis aux caprices de leurs concurrents d'Etat). Ce regroupement répond à une double nécessité : [PAGE 117]

– faire face à la montée des révoltes populaires dans chaque territoire et des révoltes des peuples de toute la région;

– créer, par le biais de la Communauté économique des Etats d'Afrique occidentale (C.E.D.E.A.O.), d'inspiration américaine (et placée sous surveillance nigériane), une zone de « libre-échange » qui serait le pendant économique de l'Organisation de l'unité africaine dans la région... ce qui signifie, l'O.U.A. l'a largement prouvé, qu'il s'agira d'un simple regroupement d'Etats destiné à constituer un vaste Marché, mais nullement d'une union des peuples, contraire aux intérêts des exploiteurs, l'impérialisme et la fraction la mieux armée (en capitaux) et la plus clairvoyante de la bourgeoisie ouest-africaine (surtout au Sénégal et au Nigeria) ayant seulement en commun avec les peuples du sud et du nord du continent, à l'heure actuelle, de voir dans les frontières actuelles de l'Afrique un carcan.

On aboutirait à cette situation machiavélique, qui est la logique même du système capitaliste, que, faute de forces d'avant-garde progressistes organisées, solidaires, celui-ci utiliserait les pires difficultés d'un peuple pour raffermir contre ce peuple le système responsable de ses malheurs et, en même temps, asservir toute la région. En théorie, l'impérialisme et la réaction locale résoudraient en leur faveur les contradictions aiguës qui les opposent au peuple noir de cette région.

Le peuple aura le dernier mot

Il est hautement improbable que soit expédiée cette série inextricable de questions.

D'une manière spécifique, l'Etat bourgeois guinéen est devant une échéance : convaincre le maximum d'émigrés de rejoindre le pays, et surtout la campagne, afin que, à la place des arbres, il ne soit plus bientôt devant un désert à gouverner. Mais – c'est une amère leçon de l'histoire – il est plus facile de chasser durablement d'un pays des milliers d'habitants que d'obtenir leur retour. La bourgeoisie guinéenne a donc là, dans la gorge, un véritable os.

Plus généralement, toute l'histoire du capitalisme prouve qu'il n'a jamais accordé de plein gré la liberté au peuple.

Néanmoins, uni autour de ses meilleurs fils – ce qui exclut tous les notables du « Front » féodalobourgeois aux ordres [PAGE 118] de l'impérialisme le peuple guinéen pourra poser ses premières conditions :

– Que l'on fasse toute la lumière sur les geôles guinéennes.

– Que soient solennellement levées toutes les condamnations (par coutumace ou non) décidées par on ne sait quel « tribunal populaire » contre les meilleurs enfants du peuple (exilés ou non), les démocrates guinéens de tous horizons et relâchés les détenus politiques... même s'ils ne sont que des épaves humaines; que soient ainsi libérés sans délai et sans condition toutes les femmes, tous les jeunes (comme le petit Mamadou Lamarana Diallo) et tous ceux qui ont été arrêtés en 1976 en raison de leur appartenance ethnique; de même que doivent être élargis au plus tôt nos frères d'autres territoires africains arrêtés alors qu'ils servaient en Guinée, quel que soit le motif retenu contre eux. En revanche, nous nous refusons catégoriquement à nous faire les avocats des éléments portugais blancs arrêtés en novembre 1970.

– Que soit abrogé le décret scélérat no 192 P.R.G. du 29 août 1973, qui exige toujours d'être enrôlé dans le parti totalitaire de la bourgeoisie, et reconnu (comme l'autorise la Constitution) le droit d'association sur des bases démocratiques, antiethnocentriques, antirégionalistes, indépendantes du pouvoir. Les travailleurs : ouvriers, paysans, intellectuels progressistes et patriotes, doivent pouvoir s'organiser, à tous les niveaux (culturel, syndical, politique), sur des bases indépendantes, conformément à leurs intérêts de classe. Le P.D.G. ne doit pas faire moins que le parti de Senghor... qui lui aurait demandé à Monrovia, comble d'ironie, de prendre des engagements internationaux en matière de libertés !

– Que la liberté de circulation ne favorise pas les seuls capitalistes, mais aussi que puissent aller et venir, sans risquer leur tête, les dignes enfants du peuple de Guinée, acculés, en Afrique, en Europe et en Amérique, à subir tous les aléas de l'exil (privations matérielles, humiliations quotidiennes, sentiment d'inutilité, etc.).

Le cas de notre territoire montre d'une manière cruelle, après vingt ans d'« expérience guinéenne » dont notre peuple aura été l'unique cobaye, que l'impérialisme et tous les réactionnaires ne pourront, même ligués, régler les problèmes de fond des peuples. Etats-Unis, Union soviétique, Etats esclavagistes et racistes arabes, impérialistes japonais et français y sont tous passés., En vain. Tant que les richesses de la Guinée n'appartiendront pas réellement au peuple (ce qui [PAGE 119] exige, entre autres, dans un premier temps : la révision de la politique économique pour accorder la primauté à l'agriculture sur des bases non capitalistes, donc le blocage de toute extension de l'exploitation minière, la nouvelle Société des bauxites de Dabola devant être supprimée en raison du très grave danger de désertification qui pèse sur la Moyenne-Guinée; le refus de tout contrat léonin dans l'exploitation du fer du Simandou et du Nimba, contrairement à l'accord signé par M. Sékou Touré à Monrovia au profit des exploiteurs yankees –, la fixation de justes prix pour les produits agricoles, à égale distance de la spoliation et de la spéculation; une active politique de l'emploi, obligeant les trusts miniers et les compagnies étrangères à recruter un grand nombre de salariés guinéens, de même que les entreprises d'Etat et privées; l'étude sérieuse de la construction de barrages hydroélectriques qui respectent l'équilibre du milieu et la population; une politique non démagogique de reboisement; une politique de formation professionnelle et intellectuelle favorisant les femmes du peuple et les jeunes d'origine paysanne et ouvrière, etc.), tant que des mesures concrètes n'auront pas été prises, dans un minimum de temps et de libertés démocratiques, mais sans incitation capitaliste, pour montrer au Peuple (paysannerie, classe ouvrière, femmes d'origine modeste, jeunes ... ), qu'il ne se tuera plus pour des trusts ou leurs larbins guinéens ou autres, il n'y aura rien de nouveau sous le soleil dans l'Etat bourgeois du parti de M. Sékou Touré.

L'exigence de l'heure est que les libertés démocratiques soient rétablies et garanties par des mesures concrètes. C'est au gouvernement guinéen de faire la preuve de sa bonne foi, sans laquelle aucun immigré conscient de la nature de ce régime sanguinaire n'ira, dans cet Etat de coupeurs de têtes, se mettre le couteau sur la gorge.

Quant à nous, nous saluons, côté extérieur, la création du Comité Telli-Diallo (14, rue Nanteuil, 75015 Paris), qui s'est donné pour tâche de défendre tous les prisonniers politiques guinéens et les libertés démocratiques en Guinée.

Notre conviction n'en demeure pas moins : seule une mobilisation entreprise en comptant sur les forces de notre peuple comme base absolue d'un changement radical permettra, à terme, de créer toutes les conditions d'une vraie libération. La période actuelle n'est qu'une étape.

A.S.T.G.F


[1] Il est vrai que nous n'avons aujourd'hui encore, ni Radio-Pékin, ni Granma, ni L'Humanité pour le dire.

[2] Voir William Attwood : The Red and the Black (Londres, Harper and Row, 1967).

[3] Les dirigeants soviétiques et chinois savaient donc exactement à quoi s'en tenir.

[4] William Attwood : The Red and the Black (Londres, Harper and Row).

[5] Idem.

[6] Parti « démocratique » de Guinée.

[7] Il s'agit d'une « opposition guinéenne » aux ordres des services secrets occidentaux, principalement les services secrets français, tout au moins à l'origine.

[8] Discours prononcé à Blair House au cours d'une visite aux Etats-Unis, en octobre 1962.

[9] La demande congolaise de l'envoi des « casques bleus » sera introduite par Thomas Kanza, représentant du gouvernement congolais aux Nations unies, sur les conseils trompeurs d'un agent noir américain de la C.I.A., Ralph Bunche.

[10] Marchés tropicaux du 30 juin 1972, p. 2015.

[11] Extrait d'une intervention faite, le 18 juillet 1977, par Sékou Touré devant la trente-neuvième session du conseil « national » de la « révolution » au « palais du peuple » à Conakry.

[12] Gouvernement « révolutionnaire » angolais en exil.

[13] Notons-le, bien que seul présent sur le terrain de la lutte anti-colonialiste véritable en Angola, le M.P.L.A. ne sera reconnu par l'O.U.A. qu'en 1964 au Caire.p> [14] Prétendu « front de libération nationale de Guinée ». Après le 22 novembre 1970, il a éclaté en plusieurs groupuscules-sigles : R.G.E., O.U.L.G., U.G.G.S., U.P.G., servant de haut-parleur qui aux impérialistes américains, qui aux néocolonialistes français.

[15] D'autant que l'Egypte est la terre sacrée où reposent tous les témoins de pierre et autres vestiges de ce que fut la civilisation noire avant les invasions.

[16] A propos des Guinéens à l'extérieur (Conakry, août 1977), p. 9. Discours prononcé, le 18 juillet 1977, par Sékou Touré au cours de la trente-neuvième session du conseil « national » de la « révolution » au « palais du peuple », à Conakry.

[17] Horoya No 2306, 25-31 décembre 1977, p. 14.

[18] Horoya No, 2248, 14-20 novembre 1976.

[19] A propos des Guinéens à l'extérieur (Conakry, août 1977), p. 25.

[20] Comme l'a magistralement démontré Théophile Obenga dans L'Afrique dans l'Antiquité (Paris, Présence africaine, 1974). Nous pouvons nous charger de procurer, aux lecteurs désireux d'avoir une vue neuve de la période de l'histoire la plus soigneusement camouflée par les idéologues occidentaux, cet ouvrage capital, comme ceux de Cheikh Anta Diop, son prédécesseur (Antériorité des civilisations nègres, etc.), au prix de gros, sans aucun but lucratif.

[21] La chose a même fait l'objet d'une thèse : Cadres guinéens et Appartenance ethnique (Paris), par Bernard Charles, Canadien. C'est donc, si l'on peut dire, visible à l'œil nu.

[22] Boundzéki Dongala, dans Le Monde, 8 juin 1977. Des femmes enceintes arrêtées accouchent parfois, en prison, dans des conditions qui défient toute description.

[23] A propos des Guinéens à l'extérieur (Conakry, août 1977), p. 37.